Hier soir j’étais à Bastille pour Tristan et Isolde dans la mise en scêne de Peter Sellars, avec des vidéos de Bill Viola. Il s’agit de la deuxiême représentation cette année, de cette reprise de la mise en scêne de 2005. Elle ne sera ensuite plus reprise à l’Opéra de Paris, pour des questions de droits.
Isolde était chantée par Waltraud Meier, c’est-à -dire sans doute la meilleure interprête actuelle du rôle. Elle n’a pas déçu. Le Tristan de Clifton Forbis passait moins bien la barre aux deux premiers actes, mais il fut irréprochable au troisiême acte, où¹ il occupe la scêne seul ou en compagnie de Kurwenal. Les autres interprêtes étaient parfaits. Semyon Bichkov dirigeait. Cela m’a rappelé plus d’un concert avec l’orchestre de Paris. Bychkov commença le prélude três lentement, mais finalement l’opéra tint en quatre heures. Il semble que Bychkov ralentissait les passages lents et accélérait ceux rapides – mais de telles impressions sont parfois trompeuses. A la scêne ultime, il a laissé Waltraud Meier chanter sans la couvrir, ce qui nous prive du crescendo final mais permet d’entendre une ligne musicale généralement noyée par l’orchestre. Personnellement je préfêre que l’orchestre ensevelisse Isolde sous son cataclysme, métaphore du personnage qui meurt de ce trop plein de douleur.
Un acte 2 faible
C’était la seconde fois que je voyais Tristan et Isolde en représentation. Comme la fois précédente, je me suis ennuyé à l’acte 2. A lire divers commentaires sur Internet, mon cas ne semble pas isolé : l’acte 1 est dramatique et agité, comme la mer qui porte le navire, il est tendu par l’arrivée imminente, qui force les personnages à agir et se révéler ; l’acte 3 est tragique et infiniment émouvant ; mais l’acte 2 traîne en longueur. Wagner y file une métaphore particulièrement artificielle, sur l’opposition du jour et de la nuit, le premier représentant la gloire extérieure à laquelle Tristan a tout sacrifié, la seconde sa passion pour Isolde ainsi que la détresse qui marque son destin – Tristan a perdu son père avant de naître et sa mère en naissant. Wagner se montre aussi peu inspiré et aussi obscur que dans les plus mauvais passages du Ring. En fait Wagner est mal à l’aise avec les scènes d’amour partagé : « Siegfried Idyll » est une de ses pages les moins inspirées. Mais peut-être ne serez-vous pas d’accord… Wagner aurait gagné à réduire la scène d’amour, ou à la rendre muette, seulement illustrée par la musique.
Les vidéos
Que dire de la mise en scêne, hors la vidéo ? Peter Sellars s’effaçait. Rien de trop (sauf le costume d’amiral soviétique du roi Marke…), rien de pas assez. Tout de même, au troisième acte, une propension à faire chanter les personnages – Kurwenal, Isolde – face au public, sans se soucier de Tristan. Est-ce pour dire qu’il n’est déjà plus de ce monde ? La particularité de cette mise en scène, ce sont les vidéos de Bill Viola. Elle consistent en scènes avec ou sans personnages, le plus souvent ralenties, avec de très beaux effets de matière, de flou, de grain. Dans certaines scènes, l’image est à ce point rugueuse qu’elle en devient abstraite. Dans d’autres scènes, des reflets dans l’eau, des images à travers l’eau, de l’eau qui coule, tendent également à l’abstraction. Certaines images chatoient de couleurs ondulantes, d’autres sont proches du gris mais ce ne sont pas les moins émouvantes. Les images que l’on trouve sur Internet sont toutes figuratives, comme celle-ci par exemple ; pourtant la moitié des scènes de vidéo ne comporte pas de personnage. Il y a donc un parti-pris esthétisant dans ces vidéos.
Rien n’est raconté; en revanche les rares synchronisations avec les effets scéniques et musicaux, sont parfaites. Certains symboles sont présents dans les images, mais sans insistance. L’effet est décoratif. Ce n’est pas un reproche. La musique même de cet opéra est décorative, au sens où¹ elle n’est ni fortement structurée ni emplie de leitmotivs, comme peut l’être celle du Ring. L’œil hésite entre la scène et la vidéo ; à vrai dire rien dans la mise en scène n’attire l’attention – mais c’est le propre de cet opéra, où¹ l’action est la lenteur même. Peut-on parler vraiment d’action ? Wagner, dans sa fusion du récitatif et de l’aria, penche vers l’aria. L’opéra n’est plus qu’un aria continu.
J’aurais aimé vous montrer des extraits de ces vidéos. Malheureusement rien de ce que l’on peut voir sur Internet ne rend justice à la beauté des images. Voici, aprês une présentation par l’accent délicieux de Gérard Mortier, la mort d’Isolde (le plus souvent en gros plan sur la soprano, ce qui n’apporte rien). Voici une séquence de l’acte II, assez bien rendue ici. YouTube comporte ce film, qui présente quelques extraits des vidéos, avec un son évidemment non diffusé sur scène. Encore une fois il vous faut imaginer plutôt que regarder, compte tenu de la qualité déplorable des images – imaginez-les aussi tournées de 90 degrés. J’ai un faible pour la toute dernière scène ici présentée : cette simple silhouette de femme que l’on devine – le flou ici ne doit rien à Youtube – est Isolde venant rejoindre Tristan au troisième acte – ou plutôt telle que Tristan se la représente dans son imagination mourante. Il est impossible d’exprimer l’émotion que transmet cette simple silhouette durant la représentation. Mais comment sais-je si cette émotion provient de la musique ou de l’image, ou de leur alchimie conjuguée ? Sûrement l’intégration de l’une en l’autre était réussie, car on pleurait autour de moi, et moi aussi, au moment où le roi Marke dit « Mais comment l’envoyé de la paix peut-il rejoindre la désolation dans sa course impétueuse ? J’ai ajouté à la moisson de la mort : l’illusion accumule les malheurs ! ». Hélas, point ici de distanciation brechtienne. 🙂
Jean-Armand Moroni
Je n’ai vu qu’une seule autre version, c’était il y a au moins dix ans. Elle n’incarnait pas plus la passion que celle-ci. De toute façon, vu le texte il est difficile de croire à la passion des protagonistes – qui de surcroit sont censés être jeunes.
La vidéo du baptème est effectivement un peu cloche, c’est celle qui s’intègre le moins bien à l’opéra, parce que c’est la vidéo la plus narrative.
J’ai lu les commentaire du spectacle sur d’autres blogs. Jeudi, Waltraud Meier a été annoncé souffrante, et a été doublée durant le troisième acte. Apparemment elle était déjà diminuée lundi. Toutefois on lit beaucoup de commentaires élogieux sur sa prestation : elle a une superbe présence scénique, et une voix très prenante. C’est en tout cas ce que j’ai ressenti. Tout le monde souligne également l’excellent niveau de tous les interprètes, même les seconds rôles.
A dire vrai je me rends compte que dans cet opéra je ne fais pas vraiment attention aux notes que chantent les personnages. Je me souviens maintenant avoir été surpris par moments sur ce que chantait Isolde au troisième acte, sans être choqué cependant : l’orchestre est tellement prenant ! J’ai été plus gêné par le timbre de Forbis au premier acte que par les fausses notes de Meier.
Eh bien à vous lire, on dirait que nous n’avons pas vu le même spectacle. J’y étais lundi également. J’en suis sorti profondément déçu. C’était mon premier Tristan à la scène, je suis un jeune auditeur. Pour l’occasion, et devant un tel plateau, je n’ai pas hésité à me payer un siège à l’orchestre. J’avais relativement bien préparé l’avant scène, réécoutant mes versions préférées, Solti avec Nilsson, Bohm avec Nilsson et Windgassen, Pappano avec Stemme et Domingo. Et un certain nombre de podcasts sur l’opéra Tristan, ses clefs de lecture, sa symbologie, son contexte etc
Ma déception vient d’abord et avant tout de Waltraud Meier. Je ne l’avais jamais vue auparavant sur scène, j’espère qu’elle était en méforme, autrement je ne comprendrais vraiment pas ce que le monde entier lui trouve. Manifestement dépassée par la technicité du duo d’amour dans le deuxième acte (médium souvent métallique et serré, les contre-uts qu’elle n’a pas pu sortir, les tenues sur les aigus qu’elles plafonnaient systématiquement un bon quart de ton en dessous), il me semblait qu’elle chantait tout non pas une mais trois nuances en dessous. Du coup l’orchestre pour ne pas la couvrir faisait de même. Et pour un opéra comme Tristan, on a besoin d’être submergé au moment où¹ Isolde invoque Vénus devant Brangà¤ne ou bien dans les climax du duo d’amour. Non, je n’ai pas de problèmes d’audition. Je n’exclus pas cependant un problème d’acoustique au parterre à Bastille. On m’en a parlé plusieurs fois.
Et puis cette lourdeur des deux chanteurs à incarner la passion, un toucher minimal, à peine un regard, sans parler du baiser (bien le seul) pour la forme à la fin du deuxième acte. Peter Sellars a dà» penser plutôt à Caroline et Charles Ingalls dans la Petite Maison dans la Prairie!
Enfin, mais je crois que c’est plutôt à Wagner qu’il faut le reprocher, il y a des longueurs insupportables dans ce Tristan, un peu comme dans le Ring, où¹ on répète à la satiété les histoires passées. Tristan et isolde disent et redisent et reredisent pourquoi leur passion doit se sublimer dans la mort.
Du coup je suis passé à côté du reste. Sur le moment, j’étais un peu gêné par les propositions américano-puritaines de Viola (la scène du baptême avec les parents derrière ressemblait plus à du show business mormon qu’à un rite d’initiation à la passion) Après coup, il ya des métaphores esthétiques que j’ai trouvées puissantes, notamment l’idée de nager dans un océan de véracité, en dessous, en deçà de l’illusion de la vie en société.
J’aurais aimé voir la production de 2005, avec Stemme en Isolde et Esa-Pekka Salonen à la direction. Peut être l’avez-vous vue?
J’ai vu ce spectacle aussi. Je l’ai trouvé magnifique. Le second acte était superbe, le chant de Brangà¤ne en particulier résonnait superbement. Le premier acte était bouleversant, le choeur des matelots investissant la salle et nous prenant d’autant plus à témoin de la scène. J’ai trouvé l’ensemble du spectacle parfait.
remarque :
Le système des leimotivs est bien en place dans "Tristan" c’est le premier opéra de ses opéras où¹ il l’est aussi bien.