Olivier Calmel, portrait d’un compositeur lauréat

Un long jeune homme à l’allure d’éternel étudiant entre derrière moi dans ce café de la place de la Nation où nous nous sommes donnés rendez-vous.

Ce que je préfère dans la vie ? Les jolies femmes !
Hum ! Avec cette affirmation souriante, Olivier voudrait donner le ton. Mais cet entretien de deux heures nous brosse le portrait d’un homme certes enjoué, mais réfléchi, résolu, passionné par son métier de compositeur, un brin romantique nous dit-il, bref… tout sauf un dilettante!

Dans la vie, j’ai un principe : je vais toujours jusqu’au bout de ce que j’entreprends.
Ça, avec cet air sérieux et décidé, on veut bien le croire  ! 🙂

J’ai 34 ans, marié, père de deux enfants de 6 et 3 ans, une épouse qui travaille à l’INSERM. Elle n’est pas dans le milieu musical, non, heureusement, il faut varier les plaisirs, les préoccupations. Elle assure, elle fiabilise ! Et au moins, pas de risque de concurrence entre nous ! Mon enfance ? Elle s’est écoulée heureuse dans une famille de musiciens, avec un père compositeur et directeur du conservatoire du 14e arrondissement. Il a fréquenté les classes d’Olivier Messiaen et Darius Milhaud et a commencé à travailler au Studio d’Essais de la Radio avec Pierre Schaeffer. Il a beaucoup écrit : pour choeur (ou voix) et orchestre, pour orchestre dont un magnifique concerto grosso pour quatuor de saxophones, énormément de musique de chambre, des mélodies et choeurs a capella, des œuvres pédagogiques évidemment.
Il a fait de la musique post-sérielle, de la musique concrète avant de s’orienter vers une musique d’essence plus vocale et plus simple, en apparence tout du moins.
Il est connu, il est encore joué régulièrement. Il est décédé il y a dix ans.
Il venait d’épouser ma mère en secondes noces, organiste diplômée de l’Ecole Cesar Frank dans la classe d’orgue d’Edouard Souberbielle, agrégée d’Education musicale, Docteur d’Etat en Musicologie. Elle a fondé en 1979 le Choeur Arioso. Maître de Conférences à l’Université de Paris IV-Sorbonne et avait donc une activité entre l’enseignement, la recherche en musicologie et la direction du chœur et d’ensembles vocaux.
Nous avions la chance d’habiter une grande maison parisienne, avec un grand espace pour la musique, un orgue, (un vrai ! avec des tuyaux !) ; un grand piano et même une salle de chant. Avec ma grande soeur, nous baignions dans la musique, dans le chant, nous participions avec grand plaisir aux Choralies de Vaison-la-Romaine, organisé par le mouvement « A Cœur Joie ».
J’ai des souvenirs extraordinaires de cette époque, j’ai pris conscience de ce qu’est la création.
Mon père écrivait très vite. Je le revois à sa table, écrivant avec son conducteur ses « trois messes basses » d’après le livre de Daudet, à l’encre de chine, avec ses multiples renvois, ces traits tirés à la règle. Et je me souviens, ému, du résultat, ce concert retransmis sur France 3, instant oh combien émouvant ! J’avais 7 ans…

Mes études? Piano, dès l’âge de 7 ans puis étude du hautbois au conservatoire du 14e. Mais je n’abandonnais jamais le piano. Au contraire, pendant cette même période, j’étais claviériste dans divers groupe de pop-rock, de funk. Avec mon synthé YS200 Yamaha (le petit frère du DX7), on « singeait » Toto, Prince, on faisait du « caf-conf ».

Mon père ? Il voyait ça d’un œil curieux, il avait la gentillesse d’écouter, de s’intéresser. Ma mère, elle, était, comme toutes les mères plus soucieuse de me voir me « structurer ». Il fallait « assurer ». J’ai passé le bac C à 18 ans, j’ai intégré une école d’ingénieur, l’EFREI, j’ai fait ensuite un troisième cycle, un master spécialisé à l’ESCP, et à 23 ans je gagnais ma vie (j’ai travaillé longtemps à mi temps). Mais la musique restait mon affaire.
Concurremment je continuais mes études musicales : Vers 18 ans, j’avais découvert le funk (merci James Brown), Prince, Maceo Parker, etc. et … la musique improvisée, le jazz.
A 21 ans j’ai repris les études musicales dans divers conservatoires parisiens en commençant par les classes d’écriture, harmonie, contrepoint, etc. avec l’obtention du Prix, puis de 27 à 30 ans, j’ai étudié l’orchestration avec Guillaume Connesson au CNR d’Aubervilliers.

Trois ans d’orchestration c’est long ?
Non, d’abord je me sens volontiers une âme d’éternel étudiant, et puis, quand il faut étudier trois siècles de musique, de Haydn, Mozart et Beethoven en première année jusqu’à Varèse en 3e année, en passant par Dvorak, Brahms, Wagner, Debussy et les impressionnistes en fin de deuxième année puis Respighi, Strauss, Ravel, Stravinsky, Bartok, Orff, Messiaen, Stockhausen, sans oublier les américains, Cage, Adams (mon chouchou), et même Williams…
J’ai obtenu un premier prix avec Thierry Escaich, Olivier Kaspar, un jury exceptionnel ! (Petite étincelle de plaisir dans les yeux) En parallèle, encore, dès l’age de 21 ans, j’étudiais le jazz. Au conservatoire du centre avec Jean Bardy, a l’IACP où j’ai appris à jouer des standards d’hier et d’aujourd’hui. Et évidemment des cours particuliers avec des maîtres qui appuient là ou ça fait mal, comme Bojan Z, Nico Morelli, Antoine Hervé.
Tiens je jouais par exemple hier soir dans une jam session !
C’est à 28 ans que j’ai définitivement lâché mon boulot d’ingénieur, que j’ai sauté le pas vers la musique à temps plein. Oh, bien sur, j’ai divisé mes revenus par trois, mais finalement un compositeur vit bien, avec 900 ou 1000 euros par mois !

Mes compositeurs préférés ?
Y’en a trop ! Aller .. Bach, Ravel, Debussy, Saint-Saens, Messiaen, Bartok, Stravinsky, Penderecki, Reich, Adams. Je ne connais pas de génies, aujourd’hui (mais il y en a sûrement!), je ne connais que des gens qui bossent dur, qui ont beaucoup appris. Tout le monde compose, aujourd’hui, il suffit d’avoir son ordinateur. Mais être capable d’écrire en oreille interne, transcrire sa musique sur un papier (ou un autre média), exactement -ou presque- comme on l’entend, avec toutes les subtilités que l’on ne retrouvera jamais dans le super « patch » de la plus belle des librairies de sons, et l’écrire sur une feuille de papier, n’importe où, dans le métro. Je trouve qu’écrire en oreille interne permet une plus grande liberté.
J’écris aussi bien sûr ‘au piano’. Et cela s’apprend tout simplement, même s’il y a des personnes douées et d’autres qui ne le sont pas !
Oui, je sais on va me traiter d’élitiste, mais je crois profondément au travail, à l’apprentissage de la technique, à la connaissance, à la compétence pour obtenir vraiment ce que l’on veut.
Thierry Escaich, pour l’orchestration, la synthèse qu’il réalise entre les différents courants, le post-tonal. J’ai une affection particulière pour le travail de Pascal Zavaro. J’aime beaucoup Jérôme Combier, Franck Bedrossian. Mais aussi Adams, Penderecki… Et puis dans le jazz, le plus grand pour moi : Henri Texier. J’aime beaucoup Benoit Delbecq , Stephan Oliva, Mederic Collignon, Vincent Courtois, Olivier Sens …. j’en oublie beaucoup !

C‘est quoi, ma musique?
Ma musique, ma musique personnelle, mon style, c’est une musique d’une grande vitalité rythmique (enfin j’essaye !), et contrapunctique, une musique très dense. Certainement car, étant pianiste, j’ai une appétence naturelle pour l’harmonie que j’essaie donc d’équilibrer avec d’autres paramètres, notamment de contrepoint. Par exemple, ma création pour l’ONG « L’eau vive », une œuvre pour orchestre d’harmonie qui sera créée prochainement à Pantin.
Récemment également mon quatuor pour quatre violoncelles. Cette année j’ai également écrit un conte pour enfant, œuvre musicale pour piano et percussions, des pièces pour mes formations de jazz, des musiques de film évidemment.

Ce qui me fait vivre?
Mes revenus de musicien sont pour 30% des leçons d’écriture et d’orchestration, d’harmonisation au clavier (pour les non pianistes), pour 30% encore des droits d’auteurs, des commandes pour 15%, des concerts et des disques pour moins de 10%.
La musique de film est l’essentiel de mes commandes. J’ai une trentaine de courts et moyens métrages à mon actif.

Comment je les « dégote »?
Non, ce n’est pas par copinage, j’ai seulement deux films dont la musique m’a été confiée par des copains. Non, il faut fréquenter beaucoup tous les endroits où « ça se passe ». Le réseau est fondamental : ce sont les festivals, les castings, les contacts par intérêt, les rencontres, « La maison du court« , bref… il faut se bouger !

Mes œuvres en cours ?
Une commande pour orchestre, quatre films (deux documentaires, un moyen et un court métrage, tous produits). Je fais des maquettes, oui, j’ai tout le matériel nécessaire à la maison, je travaille avec Finale, c’est vrai que c’est moins intuitif que Sibelius, mais c’est une question d’habitude.
Non, je n’enregistre pas chez moi, je fais toujours appel à un studio, avec de vrais musiciens ça va sans dire. Et puis je maquette de plus en plus au piano, quand le réalisateur ne m’impose pas du symphonique, ou qu’il accepte une réduction pour piano.
Parfois les réalisateurs proposent des « temp tracks », très courant dans le métier. Tu ne sais pas ce que c’est ? C’est quand le réalisateur te donne une œuvre connue pour illustrer tel passage, une œuvre dont tu dois t’inspirer dans ton travail de compositeur, d’orchestrateur, d’arrangeur. Marrant, parfois, cela donne des choses inattendues. C’est bien aussi de travailler avec des contraintes. La contrainte peut être féconde. Quel musicien a dit ça, déjà : « Sans contrainte, on fait des pets » . 🙂
©Jean-Louis Foucart. pour MusiComposer , d’après un scénario original de Jean-Louis Foucart, revu, corrigé et réinterprété par Olivier Calmel.

2 réflexions sur « Olivier Calmel, portrait d’un compositeur lauréat »

  1. Grande question, apparemment ça te travaille
    La même chose que toi de t’être présenté : des personnes qui ont écouté nos travaux, rien de plus
    Ha si : un bon repas où¹ on a plus parlé de bêtises informatiques que de musique (mais bon aussi un peu de musique quand même faut pas pousser..)
    Bonne musique à  tous !

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