Concert arabo-andalou, association Maya

Samedi dernier j’ai assisté dans un conservatoire à  un beau concert de musique « selon l’école de Tlemcen ».

Commençons par les choses qui fâchent, pour ne plus y revenir : sur plusieurs affiches, le concert était annoncé à 20h. J’arrive donc à 20h exactement, avec ma fille. Là, on nous annonce que le concert était en fait à 20h30…

Bon, nous achetons une patisserie et un thé à la menthe pour passer le temps.

Les portes de l’auditorium n’ouvrent qu’à 20h45. Le public s’y presse mollement. Il doit y avoir au plus 20% des personnes qui ne sont pas des fans de l’orchestre ou des parents des musiciens.

A 21h10, les 20% commencent à applaudir pour faire venir les artistes. Rien n’y fait. A 21h20, un responsable descend enfin sur scène, costume, cravate, pour présenter divers remerciements. Il remercie même quelques personnes « qui ne sont pas encore arrivées »…

Heureusement, la musique commence bientôt. Ce sont tout d’abord des jeunes, puis l’orchestre proprement dit, d’une douzaine de musiciens, dirigé par Amine Allal. Il y a des ouds (luth à manche court), des mandolines, des altos, une darbouka, un tambourin. Tewfik à  la darbouka :
Le violon se tient, non pas sous le menton, mais posé verticalement sur la jambe (voyez la photo). La pose est plus naturelle que celle des musiciens occidentaux : la main gauche n’est pas tordue, le cou reste droit. Toutefois le point d’appui sur la jambe est moins solide que celui sous le menton : il est probable que l’on ne peut pas jouer aussi fort, aussi nerveusement. La musique ne le demande d’ailleurs pas : les solos, les ornementations restent toujours de bon goût, pas d’épanchement façon Paganini, pas de « guitar hero ».

La musique est de l’école d’Alger. Comme toute musique arabo-andalouse, elle est monodique, la seule « polyphonie » étant due aux passages, peu fréquents, où deux instrumentistes font deux ornementations différentes. Pourtant il existe sans doute des versions harmonisées de ces chansons, que le public connaît par coeur. Comment peut-on apprécier à la fois une version harmonisée d’une mélodie, et la même mélodie complètement dépouillée ? – Mais à y réfléchir, j’aime beaucoup certaines chansons traditionnelles françaises, et j’y suis sensible qu’elles soient harmonisées ou pas.

En tout cas cela nous rappelle que l’harmonie est une spécificité de la musique occidentale.

Chaque pièce est constituée d’une suite de « mouvements », dans un rythme de plus en plus vif. Le premier mouvement est de rythme complexe (dans un cas, 11/8, il m’a semblé). Les deux mouvements suivants sont en 6/4 ou 4/4, plus simples et plus enlevés, ce qui incite le public à battre les temps des mains.

La voix chantée passe d’un instrumentiste à un autre, parfois l’ensemble chante. Des solos instrumentaux ponctuent les pièces. Il ne faut pas imaginer derrière le mot « solo » une de ces prestations débridée, caractérielle, psychopathique, qui fait la gloire d’une cadence classique ou d’un chorus de jazz. Il s’agit plutôt de jouer le thème de façon sensible, avec une ornementation maîtrisée.

Je regrette de ne pas comprendre les paroles. Les titres sont évocateurs : « Ode à la lune », « Si le temps pouvait m’aider », « Un après-midi près de Fez », « Une tendre nuit avec l’être aimé », « Les fleurs du jardin », « Heureux qui côtoie la beauté »…

A l’entracte, ma fille me dit que c’est le meilleur concert auquel elle a assisté. Et en plus on la laisse entrer dans la pièce réservée aux artistes, ce qui lui permet de manger un bon gâteau de plus.

A la reprise, l’atmosphère s’est (encore) réchauffée, sans doute la conséquence des patisseries et du thé à la menthe. Le pulic commence à danser sur les escaliers de l’auditorium. Puis on a droit à une danse solo, sur scène, d’une dame… créole. Qui n’a d’ailleurs pas cherché à danser à la façon nord-africaine. Cette dame sortait d’une répétition de la chorale baroque à laquelle elle participe, elle a vu le concert, elle est entrée, et visiblement ça lui a plu.

A la fin du spectacle, la partie de la scène laissée libre devant les musiciens est remplie de danseurs – dont ma fille. Bien entendu l’orchestre a été copieusement bissé, mais il est minuit et demie, les musiciens commencent à fatiguer. Alors nous sommes repartis heureux chez nous.

Ce qui m’a frappé dans ce concert, c’est cette atmosphère de fête bon enfant, familiale, que l’on ne trouve pas (ou plus ?) dans la culture musicale occidentale. Peut-être est-ce parce que nous attachons un prix infini à notre culture, et que cela l’éloigne de nous. Peut-être est-ce parce que ce concert était à la fois populaire et savant, ce qui dans la culture occidentale est impossible. Peut-être est-ce parce que la musique arabo-andalouse est d’exécution moins complexe que la musique savante occidentale, et tolère beaucoup mieux les approximations. Qu’on me pardonne ce propos ; quiconque a vu des partitions de musique contemporaine ne peut qu’abonder dans mon sens. Le simple fait de jouer tous la même chose est un facteur de protection de l’instrumentiste.

L’association Maya se produit régulièrement en région parisienne. Je vous recommande chaudement de la voir en concert. Mais n’arrivez pas à l’heure…

Jean-Armand Moroni

10 réflexions sur « Concert arabo-andalou, association Maya »

  1. Je pensais à  un 5/4 par rapport au chant qui aurait un débit de croche, donc plus lisible sur un score !
    Rien à  voir mais j’avais fait un concert avec mon quartet et le duo Iyad Haimour & Ismael Mesbah, c’était un moment inoubliable ! On a fini en jouant un traditionnel algérien tombé dans l’oubli ..

  2. Bonjour Jean-Armand,

    Ce que j’ai oublié de signaler dans mon post (mais il y a tellement de choses à  dire sur cette musique que j’oublie toujours quelque chose ;)), c’est qu’elle est une pure tradition orale, elle a été transmise de maître à  élève depuis 12 siècles. Le solfège n’étant apparu que bien plus tarden Europe.

    Pas de partitions (pour le moment), chant et jeu instrumental se font par le biais de l’oreille musicale. Les informations que je vais donner ici, sont donc à  apprendre avec des réserves car même si quelques musicologues tentent de codifier cette musique, il n’y a malheureusement pas de consensus d’une quelconque école ou communauté de musiciens. Nous sommes d’ailleurs à  la recherche de personnes compétentes qui pourraient nous aider à  écrire cette musique.

    Je disais donc hier que la Nouba suivait 5 mouvements différents, les voici : (Pour avoir une illustration de chaque mouvement je vous conseille d’écouter les extraits d’un CD qui reste pour moi une référence de la Nouba de Tlemcen enregistré par Nassim El Andalous (ou j’ai fait mes débuts à  Oran – Algérie), disponible à  l’adresse suivante : musique.fnac.com/a593554/… )

    Metchalia : Introduction instrumentale, sans rythme qui annonce le mode interprété lors de la Nouba (ici Mode Sika). [CD Piste 1]

    Touchia : morceau instrumental, rythme 8/4 puis 4/4 plus vif [CD Piste 2]

    1er Mouvement : Le Meçadar, mouvement extrêmement lent et majestueux, rythme chant 16/4 (ou 16/8), réponse instrumentale rythme 8/4 [CD Piste 4]

    2nd Mouvement : Le Betaà¯hi, mouvement lent, rythme chant 8/4, réponse instrumentale rythme 4/4 [CD Piste 6 et 8]

    3eme Mouvement : Le Darj, mouvement plus rapide que le précédent, rythme chant 4/4, réponse instrumentale rythme 4/4 [CD Pistes 9 et 10]

    4eme Mouvement : Le Inçiraf, mouvement alerte, rythme 6/8 lent avec une sensation de déséquilibre qui peut faire penser à  un temps ternaire mais dont je ne suis pas certain [CD Pistes 12, 15 et 16]

    5eme Mouvement : Le Khlass, mouvement vif, rythme 6/8 avec un tempo plus rapide [CD Pistes 17 et 18]

    Touchia El Kamel : littéralement Touchia de la conclusion, morceau instrumental marquant la fin de la Nouba [CD Piste 19]

    Notez que chaque mouvement est précédé d’un Koursi (chaise en arabe) morceau instrumental assez court, annonçant le mouvement (sur lequel on va ‘’poser » le mouvement). Exemples : [CD Piste 5] pour annonce le Bataà¯hi, [CD Pistes 11 et 14] pour annoncer l’Inçiraf.
    Notez aussi l’Istikhbar, solo sous forme de dialogue entre chant et instrument qui est une variation autour du thème de la Nouba (ici mode Sika) [CD Piste 13]

    Notre association (Les Airs Andalous installée à  Paris) travaille pour sauvegarder ce patrimoine, si vous souhaitez nous soutenir, venez assister à  notre concert du 20 décembre 2008 à  Orly. Réservation possible sur notre site : http://www.lesairs-andalous.com.

    PS : j’allais oublié de répondre à  ta question, Jean-Armand, le Hawzi « Tlemcen Ya Hmam » est interprété dans un rythme appelé Berouali, la transcription que l’on m’en a donné est un 6/8, Olivier pense à  un 5/4….j’ai besoin d’aide car moi j’ai pensé à  un 5/8….ça prouve qu’il y a encore du travail à  faire pour harmoniser tout ça 🙂

    Merci.

  3. Bonjour Mehdi,

    Merci de ces explications. Effectivement, c’est plus simple de mettre le violon sur le genou si l’on veut chanter.

    Concernant les rythmes, j’ai l’impression que le Hawzi de la video est à  5 temps (ou 10), est-ce bien le cas ?

    Et pour le rythme à  11 temps qu’il m’a semblé entendre durant le concert, est-ce possible, ou est-ce que j’ai mal compté un 5 temps ou un 6 temps ?

  4. Cette vidéo est absolument superbe, effectivement !
    Jean-Armand, ton compte-rendu fait vraiment regretter de ne pas avoir été présent. Et Mehdi, les précisions que tu apportes ne font qu’ajouter à  ce regret.
    Cette musique est si chaleureuse et sensible à  la fois…

  5. Bonjour Jean-Armand,

    Je voudrais d’abord te remercier pour ce compte rendu et cette analyse que je trouve pertinente et intéressante.

    Je vais tenter d’apporter modestement quelques éclaircissements à  ton post :

    La musique arabo-andalouse est comme son nom l’indique née en Andalousie, pendant la présence arabo-musulmane dans la péninsule ibérique. Elle est à  la fois savante et simple, raffinée et populaire.

    On attribue sa création à  un certain Zyriab, la révolution apportée par cet artiste est la structuration de la musique. C’est à  cette époque qu’est née la Nouba qui est comme tu l’as expliqué une suite de mouvements (au nombre de 5) du plus lent au plus vif, on associe à  chaque mouvement un ou plusieurs morceaux (poèmes chantés en langue arabe classique, avec une réponse instrumentale pour chaque vers chanté), chaque Nouba correspond à  une heure de la journée ce qui fait 24 Noubas dont il ne reste que 12 actuellement. Une Nouba est exécutée dans un mode particulier, comme le mineur ou le majeur en musique occidentale, il existe 7 modes différents dans la musique arabo-andalouse.
    On voit ici la recherche de raffinement et d’enrichissement de la musique, d’un coté l’attention apportée à  ce qu’exprime une mélodie (une Nouba pour une heure précise de la journée) et la profusion de gammes issues du mélange de la musique arabe et de la musique occidentale de l’époque (chants grégoriens par exemple).

    Les principaux instruments de l’époque était : le luth arabe (Oud), la Kouitra une autre variante du Oud qui est une sorte de basse c’est l’instrument de Yassmine Saidi, le Rebab (ancêtre du violon, que l’on retrouve en Inde par exemple), le Qanoun (instruments à  72 cordes) la derbouka et tambourin pour la percussion.
    Le violon est apparu bien après en occident, il a été intégré aux orchestres arabo-andalous, les musiciens ont du le poser sur leur genou pour le permettre de chanter en même temps, puisque tous les membres de l’orchestres sont musiciens et chanteurs !

    Après la chute de l’empire arabo-musulman et l’exil dans andalous au Maghreb (juifs et arabes confondus), cette musique a voyagé au Maroc, en Algérie, en Tunisieet dans chaque pays on retrouve des adaptations et des styles différents, c’est comme ça qu’en Algérie on distingue 3 grandes écoles : Tlemcen (qui aurait hérité de Grenade), Alger (de Cordoue) et Constantine (de Séville).
    D’autres styles dérivées de la Nouba sont apparus comme le Hawzi à  Tlemcen, chants plus populaires car les textes sont écrits le plus souvent en arabe dialectal, on ne retrouve pas non plus la structuration de la Nouba, même si le Hawzi suit lui aussi des normes que j’éviterai de citer ici.

    Plus d’informations sur le site de l’association dont je fais partie (et dont faisait partie Amine Allal avant de créé son propre groupe) :

    http://www.lesairs-andalous.com

    Nous nous produirons le samedi 20 décembre à  Orly avec la présence exceptionnel de M. Ahmed Pirou un des grands musiciens d’arabo-andalous à  Rabat (Maroc)

    Un extrait de nos répétitions :

    http://www.dailymotion.com/video...

    Et surtout un Hawzi (sur Tlemcen) que nous avons enregistré en studio, et qui sera en vente le soir de la représentation, ici :

    Hawzi Tlemcen ya hmam par « les airs andalous »envoyé par andalous76

  6. merci Jean-Armand pour ce beau compte-rendu de concert,
    très enjoué et quelle réussite pour ces artistes, de voir leur concert se conclure sur la danse et la fête !

    Je pense que l’interprétation de la musique arabo-andalouse est assez complexe ( du moins à  analyser ) le caractère invitatoire et accessible serait plutôt du à  son caractère rythmé, dansé , et peut-être aussi improvisé.

    Les musiques qui nous touchent le plus sont souvent issues du chant,
    des chants les plus populaires, peut-être bien les plus précieux.

    Le violon joué "debout " appuyé sur la jambe de l’instrumentiste, me fait penser à  une mini "viole de gambe"

    Ont-ils réalisé des enregistrements ? On aimerait les entendre…

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