Dusapin au Collège de France, ou les confessions d’un compositeur


Passionnante, la lecture de cette leçon inaugurale de Pascal Dusapin au Collège de France; éclairante sur le bonhomme, bien sûr, mais également sur le processus de la composition musicale.
Pour un petit compositeur comme moi (1,70 m), il est passionnant d ‘y retrouver des réflexions partagées avec ce grand homme (1,92 m), et je ne résiste pas à en publier ici quelques « bonnes feuilles » (*) – J’ai repris quelques phrases clés pour en faire des têtes de paragraphe.



<pLa musique se parle mais condamne à la glose tout commentaire.
Est-il possible de rendre compte d’une composition en cours ? Je ne le crois pas tant l’exercice de la composition m’a enseigné que le phénomène d’invention des sons semble irréductible à l’exposé. En revanche, on peut révéler le contexte d’une création musicale en décrivant l’enchaînement des décisions qui permettent (ou autorisent) son écriture. Mais décrire une procédure de progression, dans une Œuvre musicale, n’est pas la création en train de se faire. Ce n’est qu’une description.

Pour créer de la musique, il faut souvent ne rien savoir de ce qui est en train de se faire. Car la musique ne dit rien et on ne dit jamais rien sur la musique. Dire sur elle est insensé. Mort, on n’en dit rien. Jamais. A défaut de pouvoir la dire, on en parle. Mais parler de musique semble toujours nous plonger dans l’obscurité tant son sujet se dérobe. La musique se parle mais condamne à la glose tout commentaire.

Remarquons que la nature du temps passé à écouter consiste surtout en un repérage d’ordre topographique. L’écoute se déploie d’elle-même| pour ainsi dire à notre insu. Quelque chose conduit notre cerveau à analyser extrêmement rapidement les enchaînements et les bornes énoncés par le flux.
écouter, c’est repérer les lisières d’une forme.
En vérité, il s’agit d’un mécanisme de reconnaissance des bords plutôt que des réelles limites, car nous ne pouvons encore concevoir la forme/temps de cette musique.

Ecouter nous mène aux portes d’un monde infiniment subtil : celui des émotions .l’émotion nous transforme, et c’est par l’émotion que l’esprit et le corps se recomposent. Ecouter, c’est éprouver la conscience d’une expérience qui se manifesté entre un fait psychique et un fait physique. Où naît cette expérience ? Et d’abord, d’où naît une musique ? Peut-être une œuvre musicale n’a-l-elle pas d’origine bien définie car sa provenance se perd et s’oublie dans la profusion de ses interprétations. écouter, c’est retrouver cette perte du écouter la musique, c’est inventer les Sens.

Mais composer n’est pas écouter. Celui qui compose entend, mais il n’écoute pas. Adolescent, il m’apparaissait que tout cela relevait du même empressement et, longtemps, j’ai confondu composer et écouter. Je craignais de composer parce que j’en ignorais tout. (L’oreille, organe de la crainte, nous dit Nietzsche). Je n’avais même aucune idée de la composition.
Ecouter restait le seul moyen disponible à cette impensable transgression. L’écoute était comme une ombre. L’ombre du composer.

Composer, c’est ne jamais finir

Les compositeurs connaissent bien ce paradoxe : on n’écrit pas de la musique avec du temps mais avec des durées, Composer, c’est assembler des blocs de durées. Composer, c’est fragmenter encore et encore ces blocs, puis les dilater jusqu’à l’épuisement en dissimulant les traces de leurs incessantes métamorphoses.

Mais composer c’est long, Et lent. Très lent. Très, très long et lent… ça n’avance jamais, C’est parce qu’on ne sait pas ce que ça va devenir. La question paradoxale, a n’est pas d’achever mais comment ne pas ç finir. Composer, c’est ne jamais finir. Ca prendrait beaucoup trop de temps de finir, c’est-à dire tout notre temps. Et pour autant, nous n’aurions jamais fini.

Car pour composer, il est préférable d’attendre, Longtemps. C’est dans ce temps long, presque perdu (et qui se perd dans les détails de l’écriture) que se joue l’attente. Attendre, c est trouver. Pour trouver, il faut perdre du temps. Cette perte est l’attente. Je suis toujours surpris de constater comme ce qui était l’objet de ma quête vient en attendant, plais cette attente-là n’est pas inactive, au contraire. L’écriture d’une partition est si complexe (et là, je veux dire  » compliquée « ), si généreuse en perte de temps qu’elle produit naturellement, presque d’elle-même, l’espace de cette attente.

Notons que les conditions de la prédictibilité d’une œuvre peuvent constituer de véritables enjeux musicaux.

C’est une esthétique. C’est aussi un moyen de reconnaissance stylistique, donc social, Mais il faut se garder de corrompre la qualité de l’écoute et du composer en convoquant de vieux prototypes impersonnels. Composer, c’est comme insinuer un écart dans les modèles antérieurs, comme s’il s’agissait de leur inoculer une forte dose d’infidélité. Cet incessant déplacement de la pensée s’échafaude par accumulations, recouvrements, assemblages et détours successifs, bientôt démentis par une configuration inattendue. Il faut toujours se demander de quelles résolutions ce mouvement relève, S’agit-il de confuses intuitions ou d’une aptitude à inventer sans cesse une technique de la différence? Composer, n’est-ce pas comme décomposer et recomposer sans cesse cette oscillation, entre le modèle d’une forme préexistante et l’idée d’une autre ? Il arrive de vérifier que deux ou plusieurs idées s’aménagent en une seule, alors que leurs devenir sont préalablement conçus selon des mécanismes autonomes.

La musique se fait avec des sons et non avec des idées.

Nous disions  » idée « , Quand bien même fusent les  » bonnes idées « , un jour, le peintre Degas fit cette remarque à Mallarmé : ..Je n’arrive pas à écrire des poèmes, ce ne sont pourtant pas les idées qui me manquent.’ Mallarmé lui répondit : « Degas, la poésie ne se fait pas avec des idées, mais avec des mots.  » Il est bon de rappeler que la musique se fait avec des sons et non avec des idées.

Le moindre son entendu peut avoir les plus grandes conséquences pour un compositeur.

(La suite au prochain numéro dans un prochain billet.)

(*) Bien sûr, je ne saurais trop recommander la lecture intégrale de ce petit ouvrage, ou mieux, l’achat du DVD qui permet d’écouter la musique que Dusapin a composée pour illustrer ses propos.

Une réflexion sur « Dusapin au Collège de France, ou les confessions d’un compositeur »

  1. Oui j’ai bien tout lu, tout entendu, tous ces mots sont bien sonores, moi même en recherche sur mon piano, à la recherche des mots qui n’existent pas, et puis là, une perle rare me vient, et celle là était une évidence, et tous les autres discours établis, entre cadences et fonctions harmoniques disparaissent pour laisser dans le discours les mots qui durent dans l’être entier … cela me tourne vers ces jolis mots de prévert que je sors de ses « paroles »

    « deux et deux font quatre,
    quatre et quatre font huit
    huit et huit font seize…
    et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ?
    Ils ne font rien seize et seize
    et surtout pas trente-deux
    de toute façon
    ils s’en vont…  »

    … et la musique aussi, si capricieuse et si généreuse aussi d’autres fois … enfin vous le dites tellement bien, je voulais juste vous témoigner mon plaisir de vous avoir lu … merci

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