J’ai assisté hier à l’avant derniêre du Chanteur de Mexico , au Châtelet à Paris.
Double erreur.
D’abord, il ne faut pas accepter de prendre une place (même et surtout à 75€) dans un théâtre à l’italienne pour se retrouver au parterre sous le balcon, obligé de tortiller du cou pour entrevoir l’ensemble des décors de ces 20 tableaux, décors somptueux au demeurant, comme au bon vieux temps des années 60s quand on m’emmenait voir des opérettes. 🙂
Ensuite il ne faut pas assister à l’avant dernière d’une spectacle qui demande autant d’énergie de la part des chanteurs, danseurs et autres interprètes. En fin de parcours, l’athlète est fatigué, alors on remplace le ténor Ismaèl Jordi par un autre ténor qui chante bien, certes, mais qui manque cruellement du coffre qui fit le succês d’un Luis Mariano.
On change aussi l’orchestre, on remplace l’orchestre Philharmonique de Radio France par l’Orchestre National d’Ile de France (mais on l’aime bien, cela nous permet d’entrevoir notre charmante violoniste Julie Oddou).
Heureusement, le « Maestro Fayçal » (Fayçal Karoui) est toujours là pour mener tout ce beau monde à la baguette (encore qu’ il boite pour rejoindre la troupe sur scène en fin de rideau, mais ça, c’est à mettre au compte de la moto nous dira t-il ensuite).
Les gens sont ravis, tout le monde apprécie les prestations de la grande Rossy de Palma (Eva), de la charmante Clotilde Courau (Cricri), bonne actrice à défaut d’être une grande chanteuse, et bien sûr de Jean Benguigui (sacré fumeur !) en Cartoni. Musique délicieusement kitsch de Francis Lopez (mais pas plus kitsch que certains airs de Debussy ou Ravel), un livret moins sot que bien des opéras du répertoire, de beaux décors, les chœurs et ballet du Châtelet bien réglés par Samuel Jean. Bref un bon spectacle, sûrement pas au niveau de la « premiêre » dont on lira l’excellent article reproduit ci-dessous de Renaud Machart dans Le Monde du 22/09/2006 (nous étions au Canada à l’époque :-/ ) ni comparable aux spectacles des années 50 (trop jeune).
En tout cas un spectacle qu’il faut renouveler, pour renouer avec la tradition mais surtout pour tenir compte d’un succês populaire qui rencontre un besoin : voir et entendre des spectacles musicaux de qualité.
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L’article de Bruno Machart (Le Monde du 22/09/2006)
Crâne et malicieux, le programme indique 906e représentation ». Il annonce pourtant la nouvelle production du Chanteur de Mexico, de Francis Lopez, au Théâtre du Châtelet, sous l’êre commençante de son nouveau directeur, Jean-Luc Choplin. Longtemps avant que ce dernier n’annonce ses projets, une nouvelle dévastait la mine des bien-pensants: cet ancien de chez Walt Disney (M. Choplin fut le collaborateur direct du PDG Michael Eisner, de 1995 à 2002) allait traîner le Châtelet dans la boue de l’opérette. Les plus tempérés se disaient: l’opérette « chic », oui; Francis Lopez, non.
On avouera qu’on était de ces derniers, tout en ayant l’intuition qu’il se tramait autre chose que le retour aux paillettes. Petit à petit, on a appris que Roberto Alagna, qui projetait la sortie de son récital Luis Mariano chez Deutsche Grammophon, serait Vincent, le héros de cette «opérette à grand spectacle en deux actes et vingt tableaux » ; puis qu’il n’y participerait pas ; qu’Emilio Sagi, metteur en scêne espagnol raffiné et intelligent, familier de l’opéra comme de la zarzuela (le genre léger espagnol), serait de la partie.
En février, les affiches de la nouvelle saison du Châtelet confirmaient que le ton pratiquerait le second degré: une photo, signée Pierre et Gilles, montrait un accorte torero, la hanche ployée et le sourire finement moustachu, à la Zorro, entouré d’un décor rose shocking à faire pâlir la plus kitschissime des drag queens.
Jean-Luc Choplin s’est enfin expliqué sur ce choix paradoxal qui faisait tant frissonner le landerneau: «Non, je ne vais pas refaire le Châtelet d’avant 1980. Mais il y a, dans l’histoire de cette maison, un «trou noir», une part d’elle-même qu’on voudrait ignorer. J’ai envie que le Châtelet retrouve une certaine tradition du grand spectacle, mais revisitée, décalée » ( Le Monde du 2 mars).
D’où, quelques mois plus tard, cette mention, « 906e représentation », pour marquer la continuité, la reconnaissance de ce que fut ce temple, et un spectacle détonnant qui déshabille et rhabille Le Chanteur de Mexico originel.
On pouvait craindre qu’une réécriture du livret n’enlève un peu de son charme à l’œuvre. Mais Agathe Mélinand a réécrit l’histoire en la mettant entre guillemets ou en italique, si l’on veut. De sorte que ce traitement habile et le luxe de soins administrés par Emilio Sagi satisfont aussi bien l’amateur traditionaliste que le spectateur branché. Des représentants des deux bords semblaient également ravis à l’issue de cette première, mercredi 20 septembre, qu’ils ont acclamée longuement.
DU MINIMALISME AU DELIRE KITSCH
Traité sur le principe de la mise en abyme (on tourne au cinéma Le Chanteur de Mexico), le récit permet des décrochages et des raccrochages du réel assez intéressants. Si bien qu’on passe du minimalisme au délire kitsch le plus insensé, avec des costumes et des couvre-chefs aux côtés desquels ceux de Liberace et de Carmen Miranda semblent des créations monacales de Martin Margiella. On est à la fois dans Les Bijoux de la Castafiore, à Bollywood, à la Grande Eugêne et dans les albums de bandes dessinées doux-amers et décalés de Régis Franc, dans les années 1980.
Dommage que le final n’en rajoute pas une couche supplémentaire dans le kitsch (on est loin des 350 participants au spectacle d’origine) et que le milieu de l’acte II fasse retomber la tension : le jeu est d’évidence trop relâché. Rossy de Palma est tordante, mais on ne comprend pas grand-chose à son faux-vrai accent espagnol. Clotilde Courau chante décidément très mal, mais Frank Leguérinel est parfait comme toujours. Ismael Jordi, l’idole des matinées, emporte la mise dès son premier air, même si son français est perfectible. En sus de ses qualités physiques, c’est un subtil musicien qui confère une poésie troublante à la chanson Acapulco. Tout d’un coup, la parenté entre Lopez et Gounod ou Massenet, deux autres grands mélodistes, éclate. On n’y avait jamais pensé…
Fayçal Karoui dirige avec une fougue élégante et convaincue l’Orchestre philharmonique de Radio France, swingue et s’amuse dans de riches drapés sonores qui sonnent avec un glamour aussi voulu qu’indispensable.
Renaud Machart