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Confidences de pianiste

J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’interview d’Alexandre Tharaud dans Le Monde.
Entre autres confidences il nous apprend qu’au programme de son concert demain à la Philharmonie, il a mis une oeuvre signée Alexandre Tharaud. Nouvelle carrière du musicien? il se sait atteint d’une maladie potentiellement incapacitante pour un pianiste, mais surtout il a envie de se faire connaître comme compositeur…. « Attention les chevilles » ajoute -il 🙂 .
Dans la même veine, je me suis amusé à demander à Chap GPT si elle me connaissait. Réponse : « Jean-Louis Foucart est un compositeur et pianiste de jazz ». J’ai bien ri !  😀

Pourquoi un piano Steinway ?

En 2022, la salle de concert de Toronto  a acquis un piano de concert Steinway. Le quotidien canadien “The Globe and Mail”  relate les péripéties de cette opération  « à 300 000 dollars » dans un article*  qui exalte les qualités  intrinsèques des grands pianos de la marque. En voici quelques extraits.

Presque personne n’est conscient de la difficulté de choisir un nouveau piano de concert. La plupart des gens s’imaginent que tous les pianos à queue se ressemblent, mais ce n’est pas vrai : il y a de bons pianos, des pianos grandioses, et puis il y a les pianos exceptionnels qui se comptent sur les doigts d’une main. Quand vous dépensez quelques centaines de milliers de dollars de donateurs dans un instrument sur lequel vont jouer les meilleurs pianistes du monde, les plus exigeants, devant des milliers de clients ayant payé leur place, vous voulez être sûr de dénicher un piano d’exception.

“Bien sûr, on peut dire que les instruments sont tous fabriqués de la même façon, les pièces sont les mêmes. Mais ils n’ont pas le même son, pas le même rendu pour qui en joue. Et certains sont uniques.”

L’exigence numéro un est que le piano ait le plus grand registre possible, le plus de couleur, le plus de nuances possibles. Un artiste travaille sur du son ; c’est tout ce que nous avons, souligne-t-il. Il faut que l’instrument vous permette de faire tout ce que vous puissiez rêver en matière de son.” Ou pour dire les choses autrement : “Beaucoup de pianistes s’attendent à avoir ici un Steinway de Hambourg.”

L’une des mille histoires liées au piano de concert nous ramène à Hambourg [dans le nord de l’Allemagne]. En 1850, Heinrich Engelhard Steinweg [qui allait fonder sa fabrique de pianos en 1853 et devenir Henry Engelhard Steinway en 1854] a émigré d’Allemagne pour fabriquer des pianos à Manhattan. À l’époque, il en avait déjà construit environ 400. Mais les pianos étaient devenus par excellence un signe de réussite sociale en Amérique du Nord : avant que les voitures ne fassent leur apparition, un piano était le plus gros achat que pouvait faire une famille, et sa principale source de divertissement à la maison.

Jusque dans les années 1950, avant que la télévision n’évince la musique classique comme passe-temps, le secteur des pianos était le théâtre d’une concurrence féroce : les Steinway de New York bataillaient ferme avec les Baldwin et bien d’autres en Amérique du Nord, tandis qu’en Europe les Bösendorfer et les Bechstein ferraillaient avec les Steinway de Hambourg [la branche allemande de Steinway & Sons, créée en 1880].

Mais les gens de Steinway étaient les rois du marketing. Ils dirigeaient leur société de pianos comme Nike fonctionne aujourd’hui : pendant des décennies, ils ont accordé un traitement de faveur à des pianistes célèbres qui faisaient de la publicité pour le piano de concert Steinway (Franz Liszt, Arthur Rubinstein et Cole Porter, pour ne citer qu’eux). Aujourd’hui encore, les vendeurs de Steinway sont connus pour leur mépris envers des marques moins artisanales, comme les pianos Yamaha, dont le montage est plus mécanisé. Steinway insiste sur le fait que les éléments qui déterminent le son des 2 400 pianos qu’il produit par an (tous sur commande) sont fabriqués à la main. Leurs tables d’harmonie – le diaphragme en bois du piano, qui amplifie le son – sont uniquement en épicéa de Sitka (Alaska). Mais ce n’est pas tout. Ils sont en épicéa de Sitka, débité sur quartier à partir de petits arbres poussant sur des pentes orientées au nord, qui reçoivent moins de soleil et par conséquent croissent plus lentement, en produisant un fil plus dense, ce qui donne une meilleure résonance et davantage de projection quand on joue de l’instrument. L’érable à sucre qui forme les nombreuses couches de la ceinture incurvée, si importante, vient du Wisconsin, un point c’est tout.

Aujourd’hui, les Steinway de Hambourg sont vendus principalement en Europe et en Asie, tandis que New York approvisionne les Amériques. Les Steinway de New York sont généralement considérés comme ayant un son “plus puissant”, “plus sombre”, et des basses “plus colorées”. Quant à ceux de Hambourg, ils sont réputés pour leurs aigus “chantants” et leur “plus grande douceur”, leur timbre “de cloche”.
Il est difficile de mettre le doigt sur ce qui les différencie : la société a unifié bon nombre de ses processus de fabrication. “Aujourd’hui, les pianos sont à 95 % le même piano, reconnaît Thomson, le directeur des ventes de Steinway. Mais il y a des différences.” L’une d’entre elles tient aux 88 marteaux qui frappent les cordes, dont le feutre est pressé à chaud en Europe, mais pressé à froid à New York, ce qui produit une différente densité du son et de “l’intonation”, comme disent les pianistes. Sur un piano de concert, ces détails font toute la différence.
Sur un bon Steinway, on compte théoriquement pas moins de 20 harmoniques, dont la plupart d’entre nous n’entendent que six, tout au plus. D’aucuns discutent des profondes complexités de l’accordage, de l’intonation, de l’harmonie et du rythme, comme des moines du XIIe siècle parlant d’une nouvelle technique en alchimie.

Beethoven a passé le plus clair de sa carrière à composer une musique d’une grandeur et d’une complexité qui dépassait les capacités des instruments de son époque. Lui et les autres romantiques détruisaient littéralement les pianoforte sur lesquels ils jouaient, avant que Sébastien Érard n’ait inventé l’ancêtre plus robuste du piano moderne, au début des années 1800. 

Certes, tous les pianistes ne veulent pas d’un Steinway. La Canadienne Angela Hewitt préfère un Fazioli (un fabricant de pianos italien, fondé en 1981, dont l’instrument est réputé pour son toucher quand on joue de la musique classique de la seconde moitié du XVIIIe siècle) : son propre modèle à 194 000 dollars a été détruit il y a deux ans quand des déménageurs l’ont laissé tomber. Oscar Peterson préférait jouer sur un Bösendorfer 290, dit “Impérial”, dans sa maison de Mississauga [dans l’est du Canada]. Elton John est attaché à la marque Yamaha.
Mais Steinway règne en maître. Près de 2 500 pianistes professionnels, depuis Billy Joel jusqu’à Diana Krall en passant par Lang Lang, ont choisi d’être des “artistes Steinway” – à leur propre demande, sans être rétribués en retour, souligne Steinway. Pour tous les autres, Koerner Hall loue le piano à queue souhaité par l’artiste et le fait livrer pour son concert.

En d’autres termes, choisir un piano haut de gamme est quelque chose de subjectif, voire de romantique.

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*Merci à  Ian Brown auteur de l’article et à Courrier international pour la traduction.

 

Fazil Say

A la lecture d’un compte rendu du concert de Fazil Say au Festival d’Auvers-sur_Oise, je me suis souvenu d’un concert du 12/11/2006 de l’O.N.F. consacré aux musiques américaines, dirigé par Kurt Mazur, avec Fazil Say au piano. Voici un extrait du billet que j’ai fait à cette occasion concernant la prestation de Fazil Say :

Hier (12/11/2006), on ne peut pas dire que le pianiste Fazil Say, (un surdoué comme on en voit peu) nous interprétait du Gershwin, non. En fait il se jouait du piano (comme on se joue de quelqu’un) avec la complicité de Gershwin. Très vite, on a compris que c’était pour lui l’occasion d’entamer une conversation avec son piano comme on le fait avec son voisin de table à  la terrasse d’un bistro; ils se sont raconté l’histoire de Rhapsody in blue. Pendant que le piano lui disait quelque chose dans les aigus, le pianiste le regardait affectueusement, le menaçait du doigt en souriant de la main gauche, et le piano de lui répondre immédiatement dans les graves; alors le pianiste balayait tout le clavier d’un revers de ses mains de prestidigitateur pour signifier que graves ou aigus, telle n’était pas la question. Et le piano de lui répondre d’une petite voix plaintive. Alors le pianiste tendait son bras vers le premier violon, derrière lui, la prenant à  témoin de sa bonne foi, et cette dernière, une jeune femme compréhensive de lui répondre immédiatement en musique avec tout l’orchestre. C’était fascinant. D’aucun me diront que c’est là  le cinéma habituel d’un grand concertiste. Je ne crois pas, ce dialogue était trop naturel, trop évident. Et l’orchestre, et la salle?
Avant l’entracte le public en délire avait ovationné ce pianiste génial, l’implorant de revenir encore et encore nous refaire un tour de sa magie musicale – et il obtempéra, bien sûr avec une improvisation sublime sur le thème de Summertime, façon à  la fois très jazz (c’est aussi un excellent pianiste de jazz) et très classique. Pour finir il se fit pousser amicalement dans les coulisses par le maestro, ne sachant plus comment résister à  ces ovations répétées. La scène se renouvela en fin de concert.

(Le billet entier est à lire ICI)