Jeudi 4 décembre 2008
Immense, l’admiration portée à un génie du piano, tel que Murray Perahia.
Tout aussi grande la déception éprouvée par son public parisien à l’annonce de l’ annulation d’un concert si chèrement attendu !
C’est bien ce qui arriva ce 10 juin 2008 au Châtelet. Il fut décidé de le remplacer – heureuse initiative, mais est-il si facile de « remplacer » un monstre sacré du piano ? L’audacieux défi fut en tous cas relevé par une pianiste de 21 ans, Yuja Wang.
Yuga Wang
Flash back au Châtelet, juin 2008
D’elle, on ne sait pratiquement rien encore, à Paris, ne l’ayant jamais entendue sur scène. Le public, gagné à la cause du grand Perahia, est mécontent, cela s’entend, on marmonne, on s’inquiète pour « lui », mais aussi on gronde de tous côtés, on exige même des remboursements …
Pourtant …
Pourtant, les hôtes du grand théâtre parisien rivalisent de conseils et de sourires pour canaliser un peu toutes les déceptions, qui, distribuant les nouveaux programmes, fraîchement rédigés, qui, rassurant les plus effarouchés sur la « modernité » du programme proposé, qui, les conviant aimablement à gagner leurs places dans la salle. Comme beaucoup d’auditeurs présents, mes amis et moi-même hésitons, discutons encore dans le grand escalier; il s’agit bien d’une jeune pianiste chinoise, déjà très remarquée par la critique internationale… Finalement, c’est le contenu du programme que l’on vient de nous remettre qui nous décide à rester tout à fait. « Ligeti, Scriabine, Liszt, Bartók, Ravel ! » * Un programme aussi ambitieux et original ne peut être joué que par une pianiste d’exception et …de caractère ! De ce récital phénoménal de virtuosité et de sensibilité, offert avec une telle force expressive et un tel naturel par Yuja Wang, nous en gardons encore un souvenir ébloui et ému. Et c’est bien volontiers que nous avons depuis pardonné à Murray Perahia une absence, certes regrettée, mais qui nous valut une telle découverte. Satisfait de nous avoir convaincus d’assister au concert plutôt que de nous éclipser, le théâtre du Châtelet eut le geste élégant de nous inviter à nouveau Salle Pleyel, ce 4 décembre 2008 pour entendre Yuga Wang dans un autre programme tout aussi remarquable. Du Châtelet à la Salle Pleyel Salle Pleyel , 20 h Autre lieu, autre salle, autre ambiance : même public mélomane et passionné. Entre nous soit dit, parisiens et franciliens sont souvent en retard (20H00 n’est-ce pas trop tôt pour un récital ?) On a beau marcher vite, rouler vite, traverser en diagonale et au feu vert le célèbre Faubourg, (ce qui est fortement déconseillé!) la sonnerie-couperet retentit souvent quelques secondes après que l’on ait franchit les portes magiques. Le tout étant d’échapper au petit salon d’attente conçu spécialement pour les retardataires. Salle Pleyel: diaporama 20H10 Le silence se fait presque complet, la lumière blanche s’atténue, Yuga Wang entre en scène, vêtue d’une longue robe bleu azur. Répondant aux applaudissements par un salut réservé, elle se lance, très concentrée, dans la première partie de son récital, consacrée à l’art de la variation. Deux pièces magistrales, assez peu jouées en concert, se succèdent : – les variations sérieuses de Mendelssohn et les variations sur un thème de Paganini de Brahms, op 35 . Au-delà de la virtuosité et des prouesses techniques exigées, ce sont surtout les qualités artistiques que l’on remarque d’emblée, servies par la légèreté du phrasé, la précision du toucher, la clarté du discours. 21H00 et quelques minutes, l’entracte terminé, nouvelle entrée en scène de Yuga Wang, très applaudie; elle s’installe au piano, vêtue cette fois d’une robe rouge vif. C’est un rituel chez Yuja Wang. Déjà au Châtelet, nous avions noté cette élégance vestimentaire, et les changements de tenue de scène qui semblent souligner et sacraliser des moments exceptionnels et contrastés. La seconde partie du récital dédiée au piano post-romantique et néo-classique, nous réserve une surprise. Entre une sonate de Scriabine (sonate n° 4 en fa # majeur, op. 30) très dense et intériorisée, et le vertigineux Stravinsky (trois mouvements de Petrouchka, un des sommets d’exigence de la virtuosité pianistique) Yuja Wang nous proposa une sonate aux accents plus intimes, issue des mélodies oubliées d’un compositeur russe, Nicolai Medtner, (Sonate – Reminiscenza en la mineur op 38 n° 1), un contemporain de Rachmaninov, compositeur aussi estimé que lui, et qualifié de « Brahms russe ». Auteur d’un corpus d’œuvres important, il a également composé des mélodies sur des poèmes de Goethe. A la fin du concert, c’est une standing ovation du moins parmi les fauteuils d’orchestre, qui fit écho aux danses de Petrouchka et le public, conquis, en aura pour ses applaudissements chaleureux. Yuja Wang se montre généreuse et pleine d’humour. Déjà, au Châtelet, elle avait répondu près de quatre fois aux rappels, enchaînant des morceaux de bravoure, d’autres plus tendres, on avait alors reconnu « la fameuse marche turque de Mozart » revue et enrichie, ou la célèbre vocalise de Rachmaninov.
Mais Yuga Wang aime à choisir ses « encore » dans un large répertoire, « le vol du bourdon » de Rimsky korsakov, ou la danse macabre de Liszt -Saint Saëns. Ce soir là on écouta aussi avec ravissement la valse en ut# mineur de Chopin. Les premiers récitals d’une jeune pianiste dans une capitale doivent–ils prouver absolument sa toute-puissance pianistique ? Les presque « trop difficiles » programmes, certes magnifiquement défendus par Yuja Wang, nous ont plus que convaincus. Généralement, les cadences effrénées des athlètes du piano n’ont de sens que soutenues par un souffle artistique, un supplément d’âme.
D’où notre admiration devant tant de jeunesse et de maturité à la fois : la grande maîtrise artistique de Yuja Wang impressionne. L’intelligence conceptuelle du programme frappe particulièrement, car retenir des deux romantiques, Brahms et Mendelssohn, leurs Variations monumentales, n’est-ce pas finement souligner leur impressionante modernité ? De ces œuvres redoutables, des études dites « transcendantes », Yuga Wang retient surtout le sens premier de « transcendance », c’est-à-dire l’art de sublimer une technique consommée, fut-elle vertigineuse, au profit de l’émotion pure.
© Emilie A. pour MusiComposer.fr N.B. : Programme de concert du 10 juin 2008 donné par Yuga Wang au Châtelet à Paris : Deux Etudes de Ligeti/ Sonate de Liszt/ Sonate de Bartók bb 88/ Sonate n° 2 de Scriabine/ Valse de Ravel. …et pour compléter : film Yuja Wang medici.tv site yuga wang
La « toute-puissance pianistique » c’est bien la meilleure caractéristique de ce talent musical que j’ai eu jamais la chance d’entendre. Vous êtes bien opportune avec ce billet , c’est sà»r!
Les pianistes, surtout ceux provenant des pays orientaux font chaque fois mon coeur battre de la nouvelle force. Bellissimo ! Pianissimo !
Ah! Une pianiste racontée par une autre pianiste, quel beau billet cela fait !
Moi je vous dois aussi un billet sur le concert du lendemain à Pleyel, le 5 décembre, avec l’orkestre filarmonique (ortografe moderne) de Radio France avec au programme Carter, Messiaen, et Benjamin, le tout dirigé par Benjamin, avec un autre grand pianiste, P.L. Aymard… ça va viendre ! 😉