Archives de catégorie : Ecrits et littérature

La nature des choses, les choses de la nature

1861 -La terrible Première de Tannhäuser à Paris

Pauvre  Richard Wagner ! En ce 20 mars 1861, avec la première de son Opéra Tannhäuser à Paris, il n’était pas à la fête. Voici ce que publiait Le Figaro du 10 janvier 1861 :

On répète toujours, à l'opéra, la partition de M. Wagner. Mais on ne l'a pas encore comprise. Ni les chanteurs, ni l'orchestre  n'entendent une note de ce grimoire germanique.  A défaut du mérite de la clarté M.Wagner a cependant celui de la franchise, -une franchise brutale.

Et voici ce qu’ajoutait Le Charivari le 5 mars 1861 :

La musique de richard Wagner s'appelle musique de l'avenir.On m'a affirmé qu'on n'y jouait pas de tam-tam. Cette musique doit être bien peu harmonieuse, il est vrai qu'on y entend un chœur de chien. C'est étonnant mais je n'ai pas de bonne idée de cet opéra. Pour mon compte je n'aime le chien que rôti.

Voici enfin ce qu’en pense le Figaro au  lendemain de la générale :

La cabale de Wagner
" Nous voilà quittes enfin du Tannhäuser, tombé de façon à ne plus se relever. Encore s'il s'était fait siffler! On pourrait crier à la cabale; n'a pas, après tout, des ennemis qui veut! Mais la pièce a fait rire, chose terrible; mais elle a fait bailler, malheur irréparable! On reprend la femme qui vous a trahi. Revient-on à l'homme qui vous assomme?"

André Manoukian : Sur les routes de la musique

Voici un livre très intéressant pour les mélomanes, écrit par un musicien que j’aime beaucoup. J‘en ai extrait, ci-après, quelques passages particulièrement  pédagogiques, mais le livre entier mérite  la lecture !

  • Aux États-Unis dans les années 50 il n’était pas possible pour les noirs de s’aventurer dans la musique classique. Nina Simone qui rêvait de Bach, Brahms et Chopin fut interdite de conservatoire. Pour vivre elle jouait du piano dans un bar. Un soir le taulier l’apostropha : si tu ne chantes pas je te vire. Alors elle se mit à chanter, comme personne peut-être.
    Le fait d’être noir enlevait au compositeur le droit d’écrire pour les violons. En fait tout ce qui touchait à la musique classique était réservé aux blancs. Ainsi Duke Ellington associait aux cuivres quatre flûtes doublant la mélodie pour donner l’illusion d’entendre des violons.
  • Mozart tapote sur le clavier du clavecin de son père. Celui-ci lui demande : que fais-tu? Le bambin de trois ans répond : « je cherche les notes qui s’aiment ».
  • Dans la musique indienne on joue les notes qui font mal: on joue une fondamentale sur une corde et sur l’autre corde un demi-ton au-dessus et on insiste longuement par exemple un ré bémol sur un do. C’est une torture chez nous, c’est interdit, c’est la punition. En Inde on éprouve la douleur. En appuyant sur cette dissonance, en la faisant durer, on l’épuise, on l’apprivoise, on finit par l’aimer, on est presque déçu quand la douce torture prend fin, que le ré bémol se pose sur le do.
    ‐ Dans la musique indienne il faut passer par le bas (le son grave) pour aller vers le haut ( le son aigu) il faut redescendre avant de remonter. Il est présomptueux d’aller directement au sommet : Do Fa Ré Sol Mi La…
  • Les premiers chants religieux sont des textes que l’on étire sur une seule note et que l’on va rythmer, avant de faire petit à petit des nœuds autour de ce fil tendu et d’introduire des inflexions qui vont donner naissance à des mélodies. Le chant grégorien est une ligne horizontale sur laquelle viennent se poser les mots du texte: on l’appelle la corde de récitation ou de cantillation.
  • Le tempérament en musique
    Deux musiciens étrangers peuvent dialoguer musicalement sans connaître leurs langues respectives à condition qu’ils accordent leur instrument de la même manière.
    C’est le travail colossal que va accomplir Jean-Sébastien Bach avec une œuvre magistrale qui servira de référence : le clavier bien tempéré. Le tempérament dont il est question c’est une convention d’accord adoptée au 17e siècle. En effet les divisions de la gamme en intervalles égaux est une construction humaine artificielle. Selon qu’on choisisse une tonalité ,disons Ré, c’est le Ré qui donne le La si je puis dire. Car les autres notes de la gamme vont être accordées en fonction. Si le taux choisi est Mi, alors l’accord des autres notes sera relatif aux Mi et ainsi de suite. En décidant d’adopter un tempérament égal entre toutes les notes, plus aucune d’entre elles n’impose sa loi, et on peut transposer les mélodies dans n’importe quel ton : elles auront toujours le même caractère. Il devient donc possible de moduler bien plus facilement et librement. D’une certaine manière ce procédé, cette uniformisation des intervalles!, d’abord critiquée par certains musiciens – car à quoi bon choisir une tonalité en particulier si elles expriment toutes le même sentiment ? -, va permettre d’explorer beaucoup plus de tonalités à l’intérieur d’un même morceau et de le rendre plus varié, d’y intégrer des changements contrastés de couleur. C’est pourquoi le tempérament donne la possibilité à deux musiciens de deux régions différentes de communiquer plus facilement.

Devinette

Nombreux sont les romanciers contemporains,  mélomanes célèbres ayant écrit sur la musique. Plus rares sont ceux qui ont montré leur sensibilité et une réelle érudition musicologique. Alors, qui a écrit ce dialogue réunissant un étudiant et son professeur de piano? 🙂

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– Vous êtes un intellectuel: vous faites des notes,  pas des sons. Vous pensez les hauteurs et la phrase, vous ne pesez ni le timbre ni la couleur.
– C’est-à-dire ?
– Vous êtes outillé pour Bach. Normal chez un cérébral. Bach concevait la musique indépendamment des sons, grâce à quoi on l’interprète sur des instruments variés. Des mathématiques musicales. Le clavier bien tempéré ne demeure t-il pas aussi magistral au clavecin, au piano, à l’accordéon voire au xylophone ? Bach, l’Himalaya de la musique, dominait un désert de timbre. Bach a fini sa vie aveugle mais il a composé dès le départ comme un sourd.
– Un sourd Bach ?
– Le plus grand sourd que la terre ait porté. Un pur génie sourd. Admettez que Chopin se montre un musicien plus entier que Bach : il élabore autant le timbre que la mélodie et l’harmonie.
– Vous plaisantez ? il n’a écrit que pour le piano.
– Preuve qu’il créait totalement ! cela sonne ainsi qu’il l’a entendu. Il possédait le souci exhaustif des éléments qui construisent la musique

Il maniait les timbres comme Rembrandt les pigments sur sa palette. Bach pratiquait le dessin, Chopin la peinture.

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« Pour chanter ça, il faut placer la voix derrière les yeux. »

Les confidences de Pascal Dusapin   sur sa musique sont finalement assez rares; son art de composer, sa recherche de la forme restent un mystère pour bien des musicologues.  Aujourd’hui Il  nous  fait quelques révélations. Loin de composer « à l’instinct » comme on lui en prête parfois la démarche,  « au crayon », « à la table » comme il l’affiche habituellement  (voir ici quelques exemples), il parle de « logiciel », « structure », « étais », « contraintes » dans un interview de Pierre Gervasoni au journal Le Monde. En voici quelques extraits.

L’installation sonore pour la  panthéonisation de Maurice Genevoix  Continuer la lecture de « Pour chanter ça, il faut placer la voix derrière les yeux. »