Voici un article du Monde qui me fait bien plaisir : je ne suis plus tout seul à préférer la guitare acoustique à la guitare électrique: les jeunes générations sont également rétives aux « effets baveux », finies les années soixante dix !
Le Washington Post le signalait en 2017 en titrant sur » la mort de la guitare électrique « . L’instrument fétiche des années 1960 et 1970 ne fait plus recette et la mention de Jimi Hendrix, Eric Clapton, Jeff Beck ou Jimmy Page auprès des moins de 30 ans suscite une réponse embarrassée : » Ils jouent dans quel club ? « Comme le chantait Bob -Dylan (note aux moins de 35 ans : Prix Nobel de littérature, mais aussi musicien à succès jadis), les temps changent. La guitare électrique est passée de mode parce que la musique a évolué et que le rock, qui en avait fait son arme de guerre, est une musique de vieux. C’est ce que pense une autre superstar du genre, Paul McCartney (bassiste d’une formation de musique rythmée du nom de Beatles). » Aujourd’hui, c’est la musique électronique qui est en vogue et les gamins écoutent d’autres sons. Ils n’ont plus de guitar hero comme vous et moi « , expliquait-il au Washington Post.
Merci Sir Paul pour ce rappel historique. Et un peu convenu. Parce que ce n’est pas si simple. Si la guitare électrique est en perte de vitesse, ce n’est pas le cas de l’acoustique, dont les ventes en 2010 ont dépassé pour la première fois celles de sa version électrifiée, peut-être grâce au succès de la chanteuse Taylor Swift. Ce regain correspond aux tendances musicales et au retour en grâce du folk, dont la guitare sèche est le véhicule, mais aussi à un changement d’attitude : la création musicale est passée du mode collectif (le groupe) au mode individuel (le DJ, le MC), en même temps que le mot » chanson » disparaissait du vocabulaire des gamins mélomanes au profit du mot » son « .
Les papys du rock, restés branchés aux amplis à lampes, Eric Scotto les connaît bien : » Ils constituent un tiers de ma clientèle « , explique le patron de Scotto Musique, l’enseigne qui vend des instruments à Marseille depuis 1921. En trois générations, les Scotto ont vu passer toutes les modes musicales du siècle, et le petit-fils du fondateur replace le déclin de la guitare électrique dans celui de la musique instrumentale dans son ensemble : » Aujourd’hui, l’instrument de musique numéro un, c’est l’ordinateur. Les ventes de tous les instruments physiques sont en baisse et la moitié des magasins de musique ont fermé en vingt ou trente ans « , note-t-il, alors que le chiffre d’affaires annuel du secteur stagne à 475 millions d’euros ( » Moins que les fers à repasser ! « ).
Et même si les guitares constituent encore la moitié de ses ventes, l’électrique souffre, selon Eric Scotto, de ce handicap générationnel : » Au contraire de la guitare acoustique, c’est un instrument qui ne se joue pas seul, mais en groupe, et l’on assiste en ce moment à une forte -individualisation de la pratique musicale. Les groupes, c’est mort. Et la guitare électrique meurt avec eux. » La vente d’instruments sur Internet, en augmentation constante, a d’ailleurs favorisé cette individualisation. Mais même le jeu vidéo Guitar Hero, qui aurait pu relancer chez les plus jeunes le goût de la gratte bien baveuse en mode salon, s’est -arrêté en 2011, faute d’adeptes.
L’instrument est la victime paradoxale de sa longévité. Les Gibson, Fender, Gretsch ou Rickenbacker (fameuses marques de guitare américaines) des années 1950 et 1960 sont les Stradivarius des temps modernes. Loin de se démoder, elles s’apprécient, et le marché de l’occasion se développe au détriment de celui des guitares neuves, jusqu’à constituer aujourd’hui un tiers des ventes. Par ailleurs, constate l’Egyptien Talaat El Singaby, qui organise depuis vingt-trois ans le festival des Internationales de la guitare à Montpellier, l’époque, dans ce domaine, est au multilatéralisme : » L’Afrique et l’Amérique -latine, mais aussi l’Asie, font preuve d’une incroyable inventivité en -matière de création d’instruments à cordes pincées électrifiées, qui sont aussi des guitares électriques. Il n’y a plus d’instrument dominant, mais une multitude d’instruments originaux. « Malheureusement, -déplore-t-il, cette diversification laisse de côté la moitié de l’humanité : » Il y a très peu de femmes qui jouent de la guitare électrique. C’est un instrument qui nécessite une certaine forme de brutalité et qui est presque exclusivement masculin. «
Observatrice des rapports de genre, l’auteure (et chroniqueuse de » L’Epoque « ) Maïa Mazaurette se souvient des outrances de Slash, le guitariste des Guns N’Roses : » J’étais adolescente pendant ses heures de gloire et c’était impossible de ne pas se demander : quel genre d’homme a besoin de DEUX pénis ? « Le recul nous permet de l’affirmer – et bien sûr il y a des exceptions –, le rock est/fut une musique de mecs, limite macho. Et la guitare, brandie fièrement entre les jambes, est/fut l’étendard de ce virilisme. Lorsque, en 1969, Jimi Hendrix torpille l’hymne américain en imitant avec sa Strato le bruit des bombardements de l’US Air Force au Vietnam, il fait certes acte de rébellion, mais confirme que la guitare électrique est une arme par destination.
Sa version acoustique, en revanche, pose ses formes épanouies sur les genoux, se câline, se caresse et se cajole. Le son en est moins strident, plus rond, plus chaud. D’où la tentation de la réserver aux jeunes femmes. En 2008, une étude de l’International Journal of Musical Education concluait que les filles prédominaient dans la pratique de la harpe, de la flûte, du hautbois et du violon, alors que les garçons étaient largement majoritaires à jouer de la guitare et de la basse électriques, du tuba, de la batterie et du trombone. A elles les instruments aigus et légers, à eux les instruments graves et sonores.