Existe-t-il beaucoup d’œuvres musicales (belles, intéressantes, originales, même si difficiles à déchiffrer) spécialement conçues pour « le piano quatre mains », en dehors des transcriptions savantes ou des adaptations musicales de pièces pour orchestre ou autre ensemble instrumental ? Voilà une question que tout pianiste (ou compositeur) peut être amené à se poser un jour en parcourant le vaste répertoire musical dédié à cet instrument.
Le Piano à transcriptions
Le répertoire pour piano à quatre mains est souvent assimilé soit à un catalogue d’ œuvres orchestrales transcrites pour lui ( pièces souvent injouables), soit à des œuvres arrangées ( quel mot disgracieux !) parfois trop simplifiées, initialement destinées à d’autres formations musicales
(chant piano, duo, trio ) et que les pianistes s’approprient avec bonheur.
On transcrit pour piano à quatre mains aussi pour enrichir son répertoire initial , de pièces que l’on a admirées et qui sont pourtant classées dans d’autres catégories ou genres musicaux (musique instrumentale ou vocale, musique de film).
Les pianistes, qui ont la réputation d’être des personnages à part et de grands solitaires, car la pratique instrumentale isole forcément du commun des mortels…, et le caractère symphonique et harmonique du piano n’incite pas forcément au partage du clavier ni de la partition, s’adonnent pourtant volontiers à cet art de musique d’ensemble.
Piano –DUO : Primo et Secundo
Le piano fut l’instrument privilégié des compositeurs et des grands interprètes notamment aux époques romantique , post-romantique et moderne, – il n’y a qu’à recenser le nombre de pièces dédiées à ce seul instrument ! Les grands compositeurs qui sont souvent eux même d’éminents interprètes, rivalisent d’imagination, font preuve d’invention développent les formes musicales jusqu’à leur parfait épanouissement. Ainsi la Ballade, le Scherzo, le Nocturne, sous la plume géniale de Frédéric Chopin, ou la Sonate, la Rhapsodie sous celle de Franz Liszt, non moins brillante.
Si Liszt dédie au piano un nombre incalculable de transcriptions, celles de Schubert plus particulièrement, on n’en connaît moins réalisées par Chopin, compositeur dont la démarche artistique fut tout autre toute préoccupée à la gloire du piano solo.
Et qu’en est-il du piano à quatre mains à l’époque romantique ?
C’est plutôt dans le répertoire allemand celui de Schubert ou de Schumann, et avant eux, celui de Beethoven que l’on trouve le plus d’exemples de pièces pour piano à quatre mains. Certainement la pratique du concert de salon y est pour beaucoup. Souvenons nous des fameuses schubertiades. C’est aussi en qualité de pédagogue que des compositeurs destinent de telles pièces à leur instrument, tel Schumann.
De grands compositeurs comme Ravel, Fauré, Debussy ont composé simultanément deux versions d’une même œuvre, l’une pour orchestre et l’autre pour piano quatre mains, ce ne sont pas simplement des réductions , car leur intention première était bien de réaliser une œuvre pianistique à part entière pour le concert.
De nos jours, on reconnaît les vertus pédagogiques d’un tel répertoire, d’une telle pratique artistique, elles sont d’ordre ludique technique, et mêmes psychologique, l’ acquisition de précieuses qualités d’exécutant: précision rythmique, développement de l’oreille, gain d’assurance et de confiance en soi pour le jeu instrumental en public, ouverture d’esprit et sensibilisation à d’autres répertoires, etc.
Composer pour le piano quatre mains : Huit questions posées aux compositeurs d’aujourd’hui :
1 ) Composer pour piano à quatre mains de nos jours, n’est ce pas risquer de retomber malgré soi dans une écriture du passé ?
Et si c’était effectivement le cas, serait-ce si dérangeant ?
2) Le piano contemporain est-il « percussif » , mélodique ou résolument symphonique ? Le « jeu dans les cordes« , transformant le piano en instrument à cordes pincées est-il toujours d’actualité ?
4) Le piano quatre mains est-il assimilable à un orchestre ? Faut- il penser orchestration en composant une telle pièce ? Inversement, une œuvre pianistique écrite pour quatre mains est-elle forcément « orchestrable » ?
5) Comment organiser le partage du clavier entre les deux interprètes ? Sur 88 touches (ou un peu plus) divisées en deux régions strictes,(grave/aigu, harmonie/mélodie,ensemble/soliste) ou une série d’octaves, entrecroisées, superposées ou jouées à tour de rôle ?
6) De la jalousie éventuelle entre les interprètes :
les deux parties confiées aux pianistes primo et secundo offrent -elles un égal intérêt musical ?
Faut-il viser l’équilibre entre eux deux dans le choix et la répartition des mélodies, des motifs rythmiques, des timbres, pour tendre vers une même puissance, une égale expressivité, et tout cela réparti entre les deux protagonistes ? Est-il révolu ce temps où Primo était le seul à « chanter » au dessus de Secundo, « le faire-valoir », (invariablement en clé de fa) chargé d’une multitude d’accords ?!
7 ) Piano contemporain signifie -t–il :
Des éléments de langage musical précis: clusters, glissendo, notes étrangères, dissonances, réminiscences légères, rythmique complexe, minimalisme, forme élaborée, atonalité, polytonalité, piano préparé, sur-préparé, piano amplifié, dispositif électronique, distorsion et détournement du son, fracas d’accords, polymétrie, polyrythmie, jeu aléatoire, série, piano désaccordé et finalement hyper contrôle ou totale liberté d’écriture ?
8 ) Et parmi les compositeurs suivants quels sont ceux que vous préférez ou qui vous ont le plus marqué ?
Bartók, Stravinski, Janáček , Dvořák, Scriabine, Messiaen ,Dutilleux,Ligeti, Ohana, Kagel, Ives, Cage, Berio, Berg, Barraqué, Reich, Glass,Carter, Chaynes, Copland, Varèse , Xenakis, Stoctkhausen, Crumb ? Aucun de ceux-là ?
Exemple de « jeu dans les cordes » le piano-percussion et cithare:
Adoration des Mages de George Crumb:
Chopin est passé de l’écriture dédiée à un piano intimiste à celle du dialogue suprême du piano avec le grand orchestre (ses deux grands concerti). Schumann, Schubert, Liszt, Mendelssohnn ont eu des intentions et des démarches différentes, et en quelque sorte plus complètes (Pièces pour solistes, musique de chambre, grand concerto).
Ou ce morceau de Crumb joué par notre ami Jean-Baptiste Millon
Plus proche de nous, la musique classique-contemporaine d’un Phillip Glass aux influences multiples, représente le courant de musique minimaliste, ce compositeur adepte de la sobriété alliée à une grande expressivité, excelle en répétitions savamment dosées, par sens inné de la résonance, spécialement pour les pièces dédiées au piano, et par l’opposition franche entre les deux registres, grave et aigu.
De Philipp Glass un solo qui n’est pas un quatre mains:
De la pratique du piano quatre mains, des mauvais souvenirs :
La pratique des pièces pour piano à quatre mains permet d’apprendre le partage et la patience, d’enrichir et entretenir une grande complicité entre les interprètes; mais il vaut mieux éviter :
– Les parties secundo affublées de leurs inévitables deux clés de Fa, dans le registre grave, et si souvent chargées en accords. Le malheureux pianiste prénommé « secundo » erre parfois dans des harmonies sombres, lourdes, répétitives et donc nettement moins gratifiantes que celle de « primo » (souvent plus mélodieux) et libéré par la même occasion de l’usage des pédales (forte et una corda)
– Les intervalles injouables pour les mains de dimension courante, (tout le monde n’a pas la main d’un César Franck). Ainsi trop d’accords de neuvièmes et dixièmes, découverts ça et là, flanqués de rythmes simultanés, et intercalés par des fusées musicales… Des notes « muettes », écrites comme telles, à jouer comme telles, des vraies fausses notes appelées dissonances (impromptues).
Des bons souvenirs :
– Claires et belles partitions écrites sur deux pages (gauche / droite : secundo/Primo) au lieu d’une superposition des quatre portées clé de sol et fa.
– Changement pratique de clés, le moins possible de lignes supplémentaires…
– Harmonies et modulations fines, intérêt musical et dramatique maintenu jusque la fin
– Le secundo ne doit pas être forcément le faire-valoir du primo, et le primo n’est pas une « prima donna ». (et inversement, oui j’insiste…!)
– La gestique simple et ludique, voire « pianistique » favorisant un partage du clavier aisé. En effet, on ne devrait pas avoir l’impression de jouer à l’étroit sur un demi-clavier. Au quel cas il vaudrait mieux opter pour un jeu à quatre mains et deux pianos. Mais ce serait alors une toute autre aventure musicale!
Ecouter et lire le répertoire du piano quatre mains
– Pour feuilleter et télécharger quelques œuvres du Répertoire de partitions pour piano à quatre mains.
– Se renseigner sur un des concours piano
– Ecouter des duo fameux :
Un Duo Piano Jazz deux pianos :
un duo sympathique ( désolée le son n’est pas excellent )
La partition ici
Un duo Piano quatre mains romantique: Dvorak
Un Duet deux Pianistes, deux piano pour une Danse du Sabre de Khatchatourian:
et enfin un duo Piano quatre mains comique : Max Brothers
à suivre…
Emilie A.