Michel Guerin nous enjoint, dans Le Monde, d’aller écouter Pascal Dusapin, à la Philarmonie de Paris,ce WE. Helas, j’en suis trop loin. Mais ce serait dommage que les parisiens qui me lisent n’en profitent pas…
Dans le métro, entre une publicité pour une robe et une autre pour un bracelet, on est tombé sur le visage de Pascal Dusapin. Il s’affiche pour annoncer le week-end que la Philharmonie de Paris lui consacre, les 17 et 18 février. C’est un compositeur de musique contemporaine. Entendez : la musique classique d’aujourd’hui. Il a 62 ans. A son actif, près de cent cinquante œuvres, de la pièce pour piano à l’opéra. Une question nous est alors venue. Quel est son statut ? Pour un écrivain ou un cinéaste, on a une idée. Pour lui, non.
Ses œuvres ne passent pas sur les radios généralistes, son potentiel commercial est faible, son rôle social incertain. Les grands noms de cet art sont inconnus. Cela tient beaucoup au côté indocile de leur musique. Inaudible, disent les plus durs. Dans un monde où l’on rêve d’harmonie, comment entendre une voix dissonante ? Pascal Dusapin est bien placé pour répondre puisque la Philharmonie le présente comme « l’icône de la musique contemporaine ». Soit le compositeur français le plus connu et joué dans le monde.
On pensait tomber sur un écorché, c’est un homme heureux qui dit en gros : venez m’écouter si vous êtes curieux, ou alors pas de problème. Il a une tête de playboy, mais ses nuits, il les passe souvent à table pour tracer à l’encre noire et à la règle des notes comme l’écrivain des mots. A l’ancienne. Sans piano ni ordinateur. Dusapin entend ce qu’il écrit, même pour soixante instruments. Il lui faut parfois un mois pour écrire quinze secondes.
Ses admirations musicales sont buissonnières
Tout va bien sauf qu’il déteste la formule « musique contemporaine ». Il dit que c’est une expression associée aux combats « ayatollesques » des années 1950-1970, qu’elle enferme le compositeur dans la case « musique de cintrés ». Ce qui fait beaucoup. Dans le cinéma ou la littérature, les esthétiques cohabitent depuis longtemps, dans la joie ou le mépris, parce que le public s’élargit et qu’il y a de la place pour tout le monde. Dans la musique contemporaine, non. Dans les années 1950 à 1970, elle incarnait la modernité, au point qu’un Jacques Chirac pouvait dire à la télévision qu’il adorait Le Marteau sans maître (1954), de Pierre Boulez. Et puis elle s’est mise à faire peur, le public n’a pas suivi, elle a perdu de son influence, les compositeurs se sont déchirés.
Dusapin a observé tout cela, y a un peu participé, mais il est surtout allé voir ailleurs. Déjà il n’est pas du sérail. Il ne s’est pas construit au conservatoire mais à l’université. Ses admirations musicales sont buissonnières – Edgard Varèse et surtout Iannis Xenakis. Il a étudié avec l’artiste Michel Journiac, qui faisait du boudin avec son sang. Dans la conversation, il est bien plus disert sur l’architecture, la photographie, la littérature que sur la musique. C’est pour lui la même question : des formes à assembler.
Des « puristes » ont vu en lui un Claude François de la musique contemporaine. Qu’il soit l’ami d’Alexandre Desplat, star de la musique de films, n’arrange pas son cas. Un confrère a refusé un jour de lui serrer la main au motif que sa musique serait trop mélodique. On l’a écoutée, il y a de la marge. Mais c’est vrai, il y a de l’harmonie chez Dusapin. Du lyrisme et de l’émotion, des voix à pleurer. Il y a des ruptures étourdissantes, entre douceur et violence, plages classiques et sentiers rugueux. Il résume d’une formule : « Avant de mourir, je n’ai pas envie de m’emmerder. »
Une musique du savoir
Il a envie de donner du plaisir. Pour cela, il faut trouver sa place. Pas simple quand 95 % de la musique jouée par les orchestres ou dans les opéras est classique. Alors que, dans le monde de l’art, les artistes vivants ont une large place à côté des morts. Dusapin en tire des enseignements. D’abord il a cent fois plus de public que Mozart à son époque – merci la mondialisation et Internet.
Ensuite il est sévère sur la musique populaire. Il a trouvé misérable ce qu’il a entendu aux dernières Victoires de la musique, mettant dans le même sac Charlotte Gainsbourg ou le rap. Nul mépris de genre. Dusapin peut vous expliquer pendant trente minutes pourquoi la chanson Good Vibrations, des Beach Boys, est un chef-d’œuvre de composition. Passéiste ? Il trouve très stimulante la musique électro actuelle, qui emprunte volontiers à son répertoire.
Dusapin défend une musique du savoir. D’où sa conclusion : l’argent ramollit les principes et appauvrit les esthétiques. « Il y a des musiques qui rapportent et des musiques qui coûtent », disait Pierre Boulez. La musique contemporaine coûte. C’est sa grandeur et sa misère. Grandeur, car c’est sans doute l’art le plus coupé de la mondialisation marchande ; quand il n’y a rien à capitaliser, reste le débat esthétique. Misère, car quand le gâteau est petit, la question esthétique cache souvent des enjeux de pouvoir. Misère, car le compositeur est sans cesse culpabilisé de ne pas faire d’audience.
Dusapin ne culpabilise pas. Il trouve normal que l’argent public serve à faire vivre des compositeurs qui contribuent à construire les rêves les plus hauts d’une société. « La vraie question, ce n’est pas pourquoi nous ne vendons pas, c’est pourquoi personne n’écoute Webern ou ne lit Michaux ».
Dusapin vit bien de sa musique. Il n’a jamais enseigné en France (sauf au Collège de France en 2006) mais beaucoup à l’étranger. Il ne manque pas de commandes et suit le précepte de Stravinsky : « Il faut se faire commander ce qu’on a envie d’écrire. » Les dernières associaient des lieux prestigieux à Amsterdam, Londres, Leipzig, Chicago ou Paris.
Depuis un an et demi, il écrit son huitième opéra, Macbeth Underworld, pour La Monnaie, à Bruxelles, et l’Opéra-Comique, à Paris. Les violonistes Viktoria Mullova et Renaud Capuçon lui ont demandé de composer pour eux. Des orchestres aussi, comme celui de Berlin et son chef Simon Rattle. La question est donc : pourquoi n’iriez-vous pas écouter Dusapin ce week-end ?
Michel Guerrin
Le 16 février 2018 à 12h59
Pourquoi faut-il que la plupart des compositeurs modernes pensent-il qu’il faut imiter l’IRCAM pour composer…
Même Enio Moricone n’a pas échappé à cette malédiction où on travaille les sons plutôt que les harmonies!?
« imiter l’IRCAM pour composer… »
Est à dire en composant sur ordinateur avec des sons acoustiques et synthétiques, image stéréotypée de l’IRCAM?
Ce n’est pas le cas de Dusapin que je sache. Ni d’ailleurs de Enio Morricone.
La plupart des compositeurs contemporains se tiennent d’ailleurs éloignés de l’IRCAM et de sa « philosophie », qu’ils considèrent souvent comme trop influencée par son créateur, Pierre Boulez. Ils se considèrent d’un autre siècle. C’est clairement ce que dit Dusapin dans cet article.
Enfin, on ne peut pas dire que des compositeurs quarantenaires comme Guillaume CONNESSON (Écoutez ici : https://www.youtube.com/watch?v=9UaesjPQoiI ) ou Karol BEFFA privilégient le son au détriment de l’harmonie. Ils font une musique qui allie le coté vertical (harmonie) et horizontal (contrepoint, mélodie) de toutes les musiques classiques.