Voici un article de Nathaniel Herzberg dans Le Monde qui nous apprend de bien belles choses sur ce noctambule :
Jim Morrison, Mick Jagger, Elvis Presley, Frank Sinatra… Les grandes voix masculines ont depuis toujours exercé un formidable attrait sur les femmes. Injuste, diront certains. Peut-être pas. Et si la musique cachait autre chose ? Et si, derrière ces douces ou saisissantes mélopées, la gent féminine décelait des promesses inattendues ?
Chez les rossignols, en tout cas, la démonstration est achevée. Dans un article publié, jeudi 18 juin, dans la revue BMC Evolutionary Biology, une équipe de chercheurs allemands a démontré que, lors de sa parade nuptiale, le mâle ne séduit pas seulement l’ouïe de sa promise. Il la renseigne également sur ses futures capacités paternelles. Et mieux il chante, mieux il s’occupera de leur descendance.
Beaucoup a été écrit sur le chant du plus célébré des passereaux. Harmonieux, bien sûr. Incroyablement varié, puisque pas moins de 250 motifs ont été répertoriés par les ornithologues. Fascinant aussi de par les conditions mêmes dans lesquelles il est réalisé. A peine arrivé d’Afrique dans nos contrées tempérées, vers la mi-avril, le mâle se lance dans son grand récital. Qu’il trouve partenaire et il arrêtera sa parade – il est monogame. Sinon, il poursuivra ses concerts, chaque jour, jusqu’à la seconde moitié du mois de juin. Ou plutôt chaque nuit, car le génial siffleur ne chante que le soir venu. Or, la nuit, tous les rossignols sont à peu près gris. Là où d’autres oiseaux exhibent des couleurs, des mouvements, des attitudes susceptibles de séduire les belles, lui ne détient qu’une arme : son chant.
Les chants de 20 mâles
Les chercheurs de l’Université libre de Berlin ont suivi 20 mâles, enregistré les chants, et analysé ceux-ci. En moyenne, les oiseaux offraient près de 180 enchaînements différents, réalisés à partir de trois types de sons : des trilles, suites rapides de sons sur une large bande de fréquence ; des sifflements, plus longs mais sur une fréquence précise ; et des « buzz », plus longs et plus graves.
Ils ont ensuite suivi ces mâles après l’accouplement. Ils ont d’abord constaté que tous présentaient une activité familiale très soutenue. Protéger la mère pendant qu’elle couve, surveiller et défendre le nid, une fois les petits éclos, mais surtout nourrir les oisillons. « Le mâle fait 50 % du travail, estime Silke Kipper, une des signataires de l’article, aujourd’hui en poste au département de zoologie à l’Université technique de Munich. Mais certains en font plus que d’autres. » Les moins actifs reviennent ainsi au nid six fois par heure pour veiller ou alimenter leur progéniture ; les plus attentifs, vingt fois…
Des sons difficiles
« Et nous avons vu que les meilleurs pères étaient justement les meilleurs chanteurs », insiste Silke Kipper. « Meilleurs » signifie les plus variés dans leurs figures, ceux capables de réaliser des sons difficiles. Surtout, ceux qui savent éviter la répétition et l’aléatoire, autrement dit l’ennui et la fatigue. Ceux-là ordonnent leurs figures, les font revenir périodiquement, mais savent aussi surprendre. Leur chant, du reste, évoluera avec les années et avec le contexte (proximité d’autres mâles, de plusieurs femelles…). Ce n’est donc pas par simple amour de la musique que les femelles rossignol privilégient les bons chanteurs. Car cette compétence en cache une autre, bien plus fondamentale : assurer la descendance.
Les scientifiques allemands n’entendent pas s’arrêter-là. Avec des linguistes, ils vont tenter de voir s’ils peuvent, comme cela a été fait chez certains singes, identifier une syntaxe dans l’enchaînement des motifs chantés. Mais aussi observer les femelles. « On les a délaissées car elles ne chantent pas, explique Silke Kipper. Mais après tout, ce sont elles qui choisissent. » Après la rock star, la groupie.
Nathaniel Herzberg
Journaliste au Monde