Yuja Wang à Pleyel

Yuga Wang à PleyelElle s’avance à petit pas prudents vers le piano, moulée dans un long fourreau de couleur sombre fendue jusqu’à mi-cuisse, juchée sur d’incroyables chaussures à semelles compensées, une mèche blonde sur le coté, face au public, dans sa chevelure brune encadrant un joli minois de jeune chinoise bien sage.

Elle se meut comme une marionnette, sourire vaguement figée – elle salue en s’inclinant jusqu’au sol dans un mouvement rapide de poupée désarticulée, puis s’assoit sagement au piano, et là, par un coup de baguette magique, la marionnette incertaine devient dragon bondissant.

C’est bien elle, c’est elle, ce petit génie du piano qu’Emilie nous a déjà raconté, et qui nous avait donné l’envie de la voir en chair et en os et de l’entendre.

Le programme avait été modifié, pas de Ravel, et autres compositeurs français initialement prévus,  mais personne ne s’en plaindra, qu’on en juge: De Sergueï Rachmaninov les Etude-tableau op. 39, n°6, Etude-tableau op. 39, n°4, l’Elégie op. 3, Etude-tableau op. 39, n°5; de Ludwig van Beethoven la Sonate n°13 op. 27 n°1 « Quasi una fantasia », d’Alexandre Scriabine la Sonate n°5 op. 53; et enfin de Franz Liszt la Sonate en si mineur. Deux heures de piano, suivies de cinq rappels et de cinq « extras » que l’artiste, infatigable nous offrira généreusement!

J’ai enregistré quelques traces sonores de ces extras, enregistrements souvenirs (hélas! de mauvaise qualité, téléphone oblige!) qui veulent témoigner moins de la virtuosité de l’interprète que de sa science à nous rendre évidents les différents plans mélodiques et harmoniques des œuvres. J’ai notamment redécouvert la sonate de Beethoven avec étonnement à cette occasion, moi qui suis loin d’être un inconditionnel de Beethoven. Le 3e extraits (Chopin) rend (mieux) compte de cette science de l’interprète.

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Oui le concert de notre jeune pianiste était superbe et restera mémorable.
Marie-Aude Roux en a fait à juste titre un compte rendu dithyrambique dans le journal Le Monde. Je ne résiste pas au plaisir d’en faire profiter mes lecteurs.

PORTRAIT

On l’appelle « Doigts volants « 

La pianiste chinoise Yuja Wang a la malice de ses tenues et une vertueuse virtuosité. Eblouissement à Paris ce week-end et album pour vérifier sa grâce.

Yuja Wang n’est pas une pianiste pour l’heure du thé et des petits gâteaux. Sa jolie silhouette moulée de longs fourreaux cousus sur elle et haut fendus, ses extravagants stilettos de petite fille qui aurait piqué les chaussures de sa maman, la petite mèche blonde qui clignote dans sa chevelure noire coupée court, tout cela donne à son style alluré une note touchante et malicieuse. Ce que l’on a entendu au clavier ce 1er décembre à la Salle Pleyel était d’une tout autre nature. Tout simplement sidérant.

La jeune pianiste chinoise a débarqué sur notre planète Terre il y a quelques années. Née à Pékin le 10 février 1987 dans une famille d’artistes (père percussionniste, mère ballerine). Premières leçons de piano à 6 ans, sept années au Conservatoire de Pékin. Premiers concerts. Dans le cadre des échanges enter la Chine et le Canada, Yuja Wang part à 14 ans pour Calgary avant d’intégrer le célèbre Curtis Institute of Music de Philadelphie. Dès 2003, elle est second couteau lorsque ses confrères stars annulent leurs concerts – Evgueni Kissin, Martha Argerich (à laquelle on la compare), Radu Lupu, Yefim Bronfman. C’est d’ailleurs en remplaçant au pied levé Murray Perahia en juin 2008 au Théâtre du Châtelet que Yuja Wang est arrivée en France, où elle se produit depuis régulièrement, notamment dans la série Piano 4**** ou au Festival de La Roque-d’Anthéron.

A 24 ans, celle que l’on a surnommée  » Doigts volants  » (son jeu n’est pas sans évoquer la dextérité chorégraphique des combats du fameux Tigres et dragons d’Ang Lee) est aujourd’hui la rivale désignée de son compatriote Lang Lang, star au jeu et à la chevelure en pétard. C’est elle qui a pris sa place chez Universal, au sein du prestigieux label Deutsche Grammophon, après que la multinationale japonaise Sony l’a  » rachetée  » pour 3 millions de dollars (2,23 millions d’euros).

Un art visionnaire

Le piano de Yuja Wang est celui d’une fée ou d’une ogresse : ses dix petits doigts constrictors, sa tête enfantine penchée sur le piano, son corps bien droit qu’ébranlent à peine la déflagration d’une mini-tornade dans le grave ou un coup de poing sur le clavier. Avec elle, le mot  » virtuosité  » est au sens premier, celui de la vertu et du courage. Celui du bien. Sans doute est-ce pour cela que le grand Claudio Abbado s’est ému de cette jeune fille, au point d’enregistrer avec elle Rachmaninov (Concerto pour piano n°2 et Rhapsodie sur un thème de Paganini). Car Yuja Wang, c’est aussi l’incarnation d’une profondeur bouleversante, un art visionnaire et grand architecte des plans sonores, une palette de couleurs à l’infini, osant parfois des quarts de teinte venus de nulle part.

Plus qu’un excellent récital de piano, Yuja Wang nous a offert ce week-end la classe folle d’une facilité portée à la pointe du génie. On se surprend à suivre ce vertige de musique comme un film en 3D qui fait qu’on saisit involontairement l’accoudoir de son fauteuil, quasi prêt au meurtre pour peu qu’une toux se fasse entendre sur le velours d’un pianissimo.

Un Rachmaninov ravageur – les Etudes tableaux n°4, n°5 et n°6, l’Elégie n°3 -, la folie poétique d’une Sonate n° 13 op. 21 n° 1  » Quasi una fantasia « , de Beethoven, l’intelligence virtuose de la Sonate n°5 op. 53, de Scriabine, tout cela touche au miraculeux. Quant à la Sonate en si mineur de Liszt ? Quasi chamanique.

Le public a eu chaud. Elle, pas bêcheuse, fait ses allers-retours en coulisse, salue brièvement de quelques courbettes sèches (elle est devenue pianiste parce qu’elle n’était pas assez souple pour être ballerine comme sa mère !), esquisse un demi-sourire et fait le cadeau de cinq bis généreux. Yuja Wang possède la clé de tous les festins.

Marie-Aude Roux

Rachmaninov, avec le Mahler Chamber Orchestra sous la direction de Claudio Abbado (Deutsche Grammophon), 1 CD.

 

Une réflexion sur « Yuja Wang à Pleyel »

  1. Beau compte-rendu en effet ! merci JLF ! .

    Par contre je trouve que ce surnom de « doigts volants » terriblement laid et réducteur…même si flatteur. ( virtuosité oblige ? )
    autant cerf-volant est joli autant l’autre terme est inélégant. A moins qu’il ne soit mal traduit de l’anglais ? ou du chinois ? ( vous avez dit flying fingers ? c’est nettement plus musical…même si le terme désigne aussi l’art délicat…du tricot )
    De toute façon les stars du piano ne sont pas uniquement des « faiseurs de sensationnel « . Bon il faudrait trouver un nom plus poétique.

    Sinon écoutons son rachmaninov dirigé par Claudio Abbado !

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