C’est ainsi que je fis connaissance de Jean-Baptiste Milon. Il nous invita à venir prendre un café en attendant dans son studio situé dans l’immeuble, trois étages au dessus, un studio réservé aux élèves du CNSM[1], avec une grande baie vitrée s’ouvrant plein sud sur les toits de Paris; un piano Yamaha quart de queue dans un coin – « le loyer comprend la piano avec quatre accords par an » -, des doubles portes pour ne pas se gêner entre pianistes locataires de la Cité des Arts.
Je lui dis incidemment que ma pièce pour piano ne serait finalement pas au programme du concert, ce soir, le pianiste ayant déclaré forfait deux jours avant.
-Ah bon? Dommage ! Je peux peut-être essayer. Vous avez la partition?
Il s’installa au piano, posa la partition devant lui et se mit à jouer le morceau à vue avec une stupéfiante facilité, comme s’il l’avait déchiffré et joué dix fois auparavant. Il recommença une deuxième fois, s’attardant sur les passages plus délicats.
Et c’est ainsi qu’il joua cette pièce Colombine pour la troisième fois mais en concert! L’enregistrement est, ici, étonnamment différent de l’enregistrement d’origine, beaucoup plus intériorisé et expressif : le propre d’un pianiste qui « sent d’instinct » la musique qu’il interprète.
Nous nous sommes revus depuis pour faire plus ample connaissance. Il venait de passer son récital de deuxième année de Master, examen de fin d’étude au CNSM.
– J’ai écouté ton récital d’examen sur MySpace . C’est superbe! Apparemment, ça s’est bien passé ?
– Oui et non. J’estime avoir très bien joué, mais le jury ne m’a accordé qu’une mention « Bien ». Je ne me plains pas, j’ai été reçu 15e sur 16 au concours d’entrée au CNSM et j’en sors quatrième, c’est une belle progression. Mais ce jury a été féroce. Sur 12 personnes, deux repartent sans rien. Ils avaient réussi un concours d’entrée particulièrement sélectif dont le niveau est celui de sortie de certains masters délivrés en Europe. Ils ont galéré à Paris pendant cinq ans – l’une des deux vient du fin fond de la Russie. Et ils repartent sans diplôme. Cinq années de perdues. C’est incompréhensible! Et scandaleux.
Nous avons parlé de beaucoup de choses ensuite, de ses petits élèves que l’on voit sur YouTube, des cours qu’il a donné pour gagner sa vie, à l’A.I.M.P. (« C’est une tour de Babel artistique mais il faut trimer dur pour arriver à une paye décente ») puis comme accompagnateur dans un Conservatoire de banlieue (« les gamins m’ont énormément appris sur leurs instruments » ), de sa participation à une masterclass d’improvisation avec Jean-Francois Zygel (« brillantissime, ce type, mais quel ego ! »), de l’année passée en Irlande au titre du programme Erasmus (« Je suis arrivé là-bas sans connaître personne, sans boulot, mais je m’en suis sorti en jouant avec tout le monde, je me suis éclaté dans d’innombrables activités comme l’accompagnement de chanteurs -surtout les mélodies et les leader – ou comme répétiteur d’Opéra – Cosi fan Tutte et Carmen.
Que vas-tu faire maintenant?
– Je pars m’installer à La Haye avec ma copine que j’ai connue à Dublin, justement. La Haye, c’est près de tout. On va se trouver un appartement, du boulot. Non, elle n’est pas du tout dans la musique, heureusement! Je ne voudrais pas d’une copine musicienne, il n’y a pas que la musique dans la vie! Même si c’est mon pré carré… je veux pouvoir parler d’autre chose à la maison, aller aux concerts – les musiciens professionnels ne vont pas aux concerts, c’est bien connu!…– Aller au théâtre… Vivre ! Je ne souhaite pas trop me spécialiser dans une activité. 40 élèves par semaine? Je ne m’en sens pas le courage…
Je me sens plus a mon aise dans le répertoire contemporain que dans le répertoire classique. Pourquoi? Je me sens écrasé par le poids de l’histoire quand je joue du Schubert!
Faire de la musique dans un orchestre? Pourquoi pas, mais je me sens davantage chambriste. J’ai appris le violon avec ma mère dans l’école ou elle enseignait comme professeur –le violon est mon premier instrument en fait, avant le piano dont j’ai commencé l’étude à 7 ans seulement. Mon rêve serait de jouer dans un quatuor d’amateurs, par exemple!
La composition? Je l’ai pratiquée à l’age de 7 ans, j’ai écris des choses qui rétrospectivement n’étaient pas si mal! J’ai aussi écrit un quatuor à 19 ans, mais je l’ai mis de coté. Il ne me ressemble pas. J’ai envie de composer mais je n’en ai pas besoin.
Pour me faire plaisir, Jean-Baptiste me joue l’une des pièces qu’il a interprété lors de son récital de fin d’étude, The little Suite for Christmas de George Crumb.
En voici l‘enregistrement.
Pour compléter ce portrait trop rapide, Jean-Baptiste a eu la gentillesse de répondre par mail à quelques questions que je lui ai posées par la suite.
Je vais essayer de répondre vite et bien:
Ce que j’ai travaillé de plus difficile? Scarbo[2] a été un sacré bras de fer, mais ça valait tellement le coup.
La 1ère Sonate de Scriabine, inconnue au bataillon et assez géniale à mon goût, m’a attirée pour ses deux mouvements lents (très sombres), mais je me suis battu avec les deux autres mouvements. L’écriture ne correspondait ni à ma main ni à mes habitudes pianistiques. Je me souviens d’avoir passé quelques heures à rayer des notes pour le rendre jouable!!
Je pourrais te parler de Jacques Rouvier[3], qui m’a apporté méthode et solidité, mais s’il y a une personne qui mérite plus que quiconque d’être décrite ici, c’est Nathalie Fodor[3]: j’ai pris des cours avec elle à partir de 2002 je crois, car je ne comprenais rien à une Sequenza de Berio, le premier morceau contemporain que j’avais jamais travaillé.
Elle m’a suivi de temps en temps pendant cinq ans, et particulièrement lorsque je passais le concours d’entrée au CNSM (à deux reprises). Il est arrivé plusieurs fois que j’arrive à 9H00 pour le petit déjeuner, qu’on travaille jusqu’à 13H00, déjeuner, écoute de musique l’après-midi, goûter avec ses enfants, soirée déchiffrage de 4 mains ou même flûte à bec et clavecin, et que je reparte à une heure du matin, après un documentaire enregistré sur tel ou tel pianiste.
C’est comme ça qu’on apprend à aimer la musique. Merci Nathalie…
Alexandre Tharaud est quelqu’un que j’aime énormément, pour son caractère éclectique, son jeu perlé et volubile (tout le contraire de moi), et j’admire beaucoup la qualité de sa carrière. Il fait des choix musicaux, tant dans ses programmes que dans ses interprétations qui me surprennent à chaque fois. On est loin avec lui des programmes bateau du type Intégrale des Etudes de Chopin et Préludes de Rachmaninov. (c’est une très bonne nouvelle pour l’enseignement supérieur français!)
Florent Boffard a été mon professeur de déchiffrage au CNSM, une des plus belles expériences de ma vie jusqu’ici. J’ai plus appris et découvert avec lui en 2 ans qu’en 5 ans de CNSM… Il est aujourd’hui prof au CNSM de Lyon, et c’est tant mieux.
Je ne me sens pas de parler de mes musiciens préférés, parce que je n’ai jamais beaucoup d’arguments. Et même si je peux être subjugué par Richter, Andreas Staier, Hélène Schmitt (violon), le Clavier Bien tempéré par Edwin Fischer ou les oeuvres de Bartok par Klara Würtz, je ne me suis pas construit autour de grands modèles. Tout simplement parce que jusqu’au Bac, j’étais parti pour être géographe! J’ai plus écouté Björk et Billie Holiday que Gilels et Arrau. Et pourtant je les respecte énormément.
Mon parcours était assez naturel: parents musiciens, j’ai fait du piano et du violon jusqu’en seconde, sans trop me poser de questions. Mes parents sont très libéraux, ils ne m’ont jamais trop embêté, pas plus que je ne les ai embêtés moi. Le travail, c’était le travail. Mais comparé à ma prof à l’époque qui me disait qu’elle devait travailler 4h à mon âge, l’été, avant d’avoir le droit d’aller à la mer, et qu’à cause de ça elle arrivait dans la boue à marée basse, mes parents étaient des anges complaisants!
Et mon père, tout musicien qu’il est, me voyait plus à l’ENS (lettres), avec mes études payées et un métier à la sortie, que musicien, avec toutes les galères que ça impose…
Le plus dur de ma formation fut le CNSM. D’abord d’y rentrer… Quel concours! Quelle plaie! En Allemagne, on compte une vingtaine de Hochshule, ici 2 CNSM, gratuits ou presque, mais avec une concurrence terrible, du coup.
Je fais partie des quelques heureux qui ont profité d’études supérieures gratuites (voire même financées), mais pour autant je ne cautionne pas ce système d’entonnoir hyper-élitiste qui débouche sur une mentalité (entre pianistes) : « Etre ou ne pas être issu du CNSM ». C’est d’ailleurs pour cette raison, ça et le service public qui paye au lance-pierre quand on a 8 ans d’études supérieures derrière soi, mais pas la validation du CNFPT[5], que je m’en vais. Je me suis pas battu pendant toutes ces années (j’ai perdu 10kg en arrivant au conservatoire, merci le stress), pour remballer encore 4 ans avant d’être déclaré professionnel sur la fiche de paye, merci.
C’est maintenant que l’aventure commence. J’ai commencé par être vieux (je parlais de ma retraite à 3 ans!), très sérieux à l’école, et jamais content au-dessous des félicitations, et maintenant que j’ai 15 ans d’examens derrière moi, je ne veux plus jamais être sérieux. Fini. Merde.
Il est temps pour moi d’apprécier la musique pour ce qu’elle est, pas pour la mention que je vais obtenir ou pour la reconnaissance qu’elle va m’apporter. Je vais pouvoir entrer dans la danse, monter les programmes que JE veux, quitte à les jouer dans des salons privés, qu’importe. Je vais pouvoir me laisser porter par les rencontres et les projets, apprendre au contact de musiciens que j’apprécie (ou pas, on apprend beaucoup des gens qu’on déteste aussi), explorer au maximum tout ce qu’un outil tel que le piano peut m’offrir.
A suivre!
Bises,
JB.
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[1]Le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris dispose à la Cité Internationale des Arts de Paris d’un certain nombre de studios réservés à ses élèves de fin d’étude.
[2] Scarbo est une pièce de Maurice Ravel considérée comme l’une des plus difficile du répertoire pianistique classique.
La voici ici jouée par Martha Argerich :
Et ici avec un suivi de la partition :
[3] Jacques Rouvier est l’un des professeurs de piano les plus recherchés au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris.
[4] Nathalie Fodor est professeur de piano à l’école de Musique du Bouscat, en Gironde.
[5] Le Centre National de la Fonction Publique Territoriale auquel on accède par concours délivre un diplôme de Professeur d’enseignement artistique qui permet d’enseigner dans les Conservatoires de Musique.