Grâce à une émission musicale radiophonique, prise au vol, je ne l’ai (re)découvert que très récemment ce géant du piano, au jeu à la fois herculéen et si émouvant : Lazar Berman, « ce fauve dont la sonorité colossale peut vous plaquer au mur » selon l’expression d ‘Etienne Moreau*
Le silence relatif qui entoure les noms des très grands interprètes et dont nous faisons souvent la connaissance que bien trop tard, est une des grandes énigmes de notre temps.
Existe–t-il des époques et des lieux plus favorables que d’autres assurant à la fois carrière et renommée d’un musicien ? Il est semble que naître en 1925 à Leningrad et mourir à Florence en l’an 2005 comme le fit le pianiste russe Lazar Bermann ne lui ont pas permis de connaître de son vivant tout le succès mérité au regard de son immense talent. La reconnaissance musicale internationale si longtemps attendue et vécue dans les années soixante–quinze, par cet immense musicien tendrait à le confirmer.
Pianiste d’exception, n’émergeant pourtant d’un certain anonymat qu’aux alentours de ses quarante cinq ans, – on parla même alors du nouveau « Richter », sa renommée de son vivant fut relativement brève. *
La revue Diapason consacre en ce mois de mai 2011, un numéro spécial à Franz Liszt, fort intéressant . Plusieurs articles et dossiers critiques, (comprenant une discographie comparée, des notes biographiques, des analyses) sont signés entre autres par Etienne Moreau, Brigitte François-Sappey Patrick Szersnovicz.
L’ article intitulé « Lettres d’un condamné » (Revue Diapason, mai 2011, p.6-7) signé Etienne Moreau rend hommage particulièrement à Lazar Berman. La revue s’accompagne aussi d’ un cd audio comprenant les Douze études d’exécution transcendante interprétées par le pianiste russe.
Si nous nous référons souvent et avec raison aux incontournables pianistes Lisztiens dont nous avons appris à aimer les admirables interprétations : Arrau, Cziffra, Brendel, Horowitz, Cicollini, Jorge Bolet, Ashkenazy et plus proches de nous, François-René Duchable, Jean Philippe Collard, Kissin, et bien d’autres encore, il est surprenant que le nom de Lazar Berman soit demeuré si discret, et même si absent dans l’officiel du monde musical. Je n’ai pas souvenir que son nom ait été souvent prononcé,tant sur les ondes musicales les plus distinguées (à quelques rares exceptions près) que pendant les riches et longs cycles de musique et musicologie, subis en conservatoire ou à l’université.
Qu’à cela ne tienne, il reste pour y remédier, plusieurs enregistrements incontournables à écouter de lui interprétant
Liszt, dont Les Douze études d’exécution transcendante
(Les Indispensables de Diapason) citées plus haut, et Les Années de Pélérinage (DG, Deutche Grammophon)
Fait marquant dans la vie de Berman, il semble qu’il ait choisi d’interpréter les œuvres de Franz Liszt, au détriment de celles de Frédéric Chopin, à la suite d’un concours prestigieux dont les résultats l’auraient fortement déçu. Sa déception a dû être grande pour qu’il s’obstinât un certain temps à ne plus interpréter en public une seule pièce du compositeur franco-polonais !
On ne mesure jamais assez les enjeux et les conséquences possibles d’un concours musical. Le célèbre Ivo Pogorelich lui-même ne doit il pas la naissance de sa notoriété (sans diminuer aucunement son immense talent) à un premier prix que le jury refusa justement de lui accorder lors d’un certain concours Chopin et qui provoqua la vive réaction de Martha Argerich ? Mais c’est une autre histoire.
Il est curieux que les athlètes du piano, soient parfois soupçonnés de n’être ni assez sensibles ni réellement musiciens, cherchant plus à plaire à un public exigeant. Le concert devenant prétexte à briller , à éblouir plus qu’à émouvoir.
On le sait Lazar Berman dans sa jeunesse aimait ces compétitions brillantes et les courses de vitesse à même les claviers !
C’était aussi un peu le cas de Franz Liszt,en son temps, admiratif d’un Paganini, dont il voulait égaler l’extrême virtuosité, très marqué aussi par l’enseignement d’un Czerny, (contrairement à Chopin), Czerny lui-même obsédé par la technique et la toute puissance pianistique (influencé certainement par le génie démesuré de Beethoven), il n’y a qu’à consulter son catalogue interminable d’études et d’exercices.
Composer douze études d’exécution transcendante est déjà une folie en soi , les réunir en un tout, en un cycle entier est un autre défi, réussi par le compositeur Franz Liszt. Décider d’interpréter et d’enregistrer ces merveilleuses études c’est un peu affronter les travaux d’Hercule. Bien peu d’artistes s’y sont mesurés.
Ecoutons Lazar Bermann dans la terrifiante Mazeppa :
Ecouter Liszt par Lazar Berman risque de vous « plaquer au mur » tant son jeu est puissant et prégnant, il peut apparaître bien souvent aussi tel un enchantement et ne laissera personne indemne .
L’entendre ici dans cet enregistrement des Etudes d’exécution transcendante, (Indispensables Diapason ) est un digne et double hommage rendu à la fois au compositeur hongrois dont en fête le bicentenaire de la naissance et au grand pianiste justement réhabilité.
Et pour conclure, parce qu’au fond il aima beaucoup Chopin, écoutons-le dans cette polonaise en do mineur:
Emilie A.
– Pour en savoir plus
et feuilleter quelques pages de :
Diapason
* cf. revue Diapason :
– Etienne Moreau, Lettres d’un condamné, Notre Cd, indispensables de diapason n°25, pp 6-7, Diapason mai 2011, ,
– Etienne Moreau,Franz Liszt, Douze Etudes d’exécution transcendante,pp 78-80, Diapason mai 2011.
Merci JLF ! Il est vrai que ce Mazeppa est un tsunami pianistique : tourmenté, violent et exacerbé, ce n’est pas le plus facile « à écouter »… mais cette œuvre n’est pas moins « musicale » ni moins romantique pour autant.
Les années de pélérinage correspondent plus à l’idée qu’on se fait de la musique romantique Lisztienne :
http://www.youtube.com/watch?v=RABb9a15oxg&feature=related
Merci Emilie ! Pour ma part, je ne connaissais pas ce pianiste.
J’aime pas trop ce ce Liszt des études transcendantes, je préfère la Polonaise en Do mineur de Chopin, plus musicale.