Vue du bâtiment Bonnefoy-Sibour, un des trois bâtiments de cure de l’ancien sanatorium d’Aincourt et qui fut l’un des premiers camps de concentration français. La photo de Thomas Boivin montre l’état actuel de ce haut lieu de la Résistance et de la Déportation, après le passage des vandales et des paint-ballers.
Samedi 2 octobre dernier, dans l’enceinte de l’ancien sanatorium d’Aincourt dans le département du Val d’Oise, s’est déroulée une cérémonie émouvante, à l’occasion du 70ème anniversaire de l’ouverture du Camp d’Internement et tout particulièrement de l’arrivée des premiers prisonniers politiques, le 5 octobre 1940.
Cette cérémonie organisée par l’association « Mémoire d’Aincourt » et le Centre Hospitalier du Vexin. Une plaque commémorative, en mémoire des sept fusillés du Camp d’Aincourt fut inaugurée, tout près d’un des trois immenses bâtiments de cure de l’ancien sanatorium, le Pavillon Adrien Bonnefoy-Sibour qui servit de Camp de Concentration entre octobre 1940 et septembre 1942, avant d’être reconverti en Centre d’Entraînement de la Milice, jusqu’en septembre 1943.
Environ 1500 prisonniers politiques, résistants ou otages furent ici emprisonnés par le régime de Vichy à la solde de l’occupant nazi, avant, pour la plupart d’entre eux, d’être expédiés à Auschwitz, Buchenwald ou Sachsenhausen, d’où peu revinrent.
Considéré comme l’un des tout premiers camps de concentration installés sur le sol français, Aincourt est donc un mémorial de la Résistance et de la Déportation. C’est d’ailleurs à ce titre que des rescapés du camp et des représentants de différentes associations de déportés et résistants participaient à cette cérémonie. Des élus locaux, départementaux et régionaux figuraient également parmi les invités de marque et prononcèrent, pour certains d’entre eux des discours appelant, avec beaucoup de justesse de ton, au devoir de mémoire et à la vigilance devant la résurgence de certaines idéologies extrémistes.
L’oubli, ou plutôt la nécessité de ne jamais oublier fut donc évoquée par les plus anciens, témoins encore vivants de cette tragédie récente de notre histoire nationale, mais aussi par la présence de jeunes collégiens qui offrirent un émouvant spectacle final à l’assemblée, à partir de textes historiques et de poèmes aux accents vibrants d’un humanisme empreint de patriotisme. Un frisson d’émotion parcourut ceux qui étaient venus témoigner leur attachement aux martyrs de la Résistance, à l’écoute des différentes interventions.
Mais nul ne pouvait cependant ignorer qu’à quelques mètres de la rutilante stèle commémorative de cuivre, le bâtiment, qui fut jadis sanatorium puis camp de concentration avant de redevenir sanatorium et de fermer définitivement ses portes en 2001, est devenu, en l’espace de quelques années un véritable dépotoir, empli des débris arrachés par les vandales qui ont investi le lieu depuis son abandon par les pouvoirs publics, le dévastant et le désossant de tout ce qui n’appartenait pas au gros œuvre après l’avoir copieusement recouvert de tags et l’avoir utilisé comme terrain de paint-ball.
J’avais lancé un cri d’alarme sur ce blog, en septembre 2009, à l’occasion des Journées du Patrimoine dans un article intitulé « Il faut sauver Aincourt » qui heureusement, suscita un certain écho parmi les défenseurs de ce lieu de mémoire, remarquable également par son architecture puisqu’il fut, en son temps le plus grand sanatorium de France et le plus vaste au monde, jamais construit dans le « style paquebot » typique des années 1930.
Pour plus de détails sur cet ensemble exceptionnel et son histoire, je vous renvoie à l’article de Wikipédia correspondant : http://fr.wikipedia.org/wiki/Sanatorium_d’Aincourt ainsi que sur l’article très intéressant et assorti de photographies inédites du chantier du sanatorium qui vient de paraître sur le lien suivant http://www.aincourt.org/?q=node/20 à l’initiative de l’association « des amis du bois de la Bucaille » et sous la plume de M.Alfredo Agostini et de Mme Odette Favre-Fontana. En effet, bon nombre d’ouvriers cimentiers italiens de la Vénétie furent requis pour venir travailler à l’édification des vastes nefs de béton armé, fierté des autorités sanitaires françaises de l’époque.
Malgré l’outrage des hommes, la superstructure de béton encore en place témoigne du savoir-faire unique de ces ouvriers italiens qui formèrent, en leur temps, une véritable fratrie de compagnons bâtisseurs « ceux de la Bucaille » (du nom de la colline sur laquelle se trouve le sanatorium). Le souvenir de ce chantier hors norme reste encore vivace dans les villages de la contrée vénitienne de Valpegara qui fournirent le contingent d’ouvriers maçons spécialisés dans le béton armé.
Il y avait donc un contraste presque gênant entre la résonance historique du lieu, mise en valeur par la cérémonie, et l’état de déshérence dans lequel l’incurie et l’indifférence l’ont mis. Imaginez une cérémonie commémorant le camp de concentration de Drancy se déroulant devant une décharge publique. C’est à peu de choses près, ce qui s’est passé samedi dernier, sans que personne n’ait soulevé ce problème, dans un des discours ponctuant le dépôt de nombreuses gerbes devant la nouvelle stèle que l’on inaugurait pour l’occasion.
L’an dernier, l’association « Mémoire d’Aincourt » avait pourtant exprimé sa colère devant l’état de délabrement du bâtiment en question, colère à l’époque relayée par les médias.
Depuis, un projet immobilier a laissé entrevoir la possibilité de « réhabiliter » ce bâtiment tout en aménageant un complexe résidentiel haut de gamme, assorti de commerces et autres parkings.
Il a surtout permis la modification du PLU par la commune d’Aincourt, afin d’autoriser la déforestation d’une partie de la colline, laquelle avait été plantée de pins des Vosges destinés à restituer une atmosphère montagnarde, à l’époque propice à la guérison des malades atteints de phtisie.
Outre les impacts désastreux qu’un tel projet aurait sur le milieu naturel du site, il ne garantit pas une véritable réhabilitation du bâtiment de l’ancien sanatorium et ancien camp d’internement. Rappelons que ce complexe comprenait également deux autres bâtiments de cure, tout autant imposants, et que l’un d’entre eux, le Pavillon du docteur Vian, lui aussi à l’abandon depuis 10 ans, n’est même plus accessible, envahi par la végétation environnante qui a succédé, là encore, aux vandales et autres squatters… Ne subsiste qu’un seul bâtiment encore en fonctionnement, devenu l’actuel Centre Hospitalier du Vexin.
L’inertie n’est heureusement plus de mise puisque « l’Association des Amis du bois de la Bucaille » regroupant les riverains opposés à cette juteuse opération immobilière drapée des habits vertueux de la « réhabilitation » patrimoniale, mobilise les bonnes volontés, unissant ses efforts à « Mémoire d’Aincourt » qui, elle, tient à préserver le lieu de l’oubli, en hommage aux patriotes et otages qui y furent détenus avant d’être déportés ou fusillés.
Pour en savoir plus sur « l’Association des Amis du bois de la Bucaille » et la menace qui pèse sur ce haut lieu de la mémoire et de l’architecture moderne, cliquez sur le lien suivant : http://www.aincourt.org/?q=node/13
Le temps presse. Il serait navrant d’assister à la disparition d’un complexe sanitaire de tout premier plan, alors que l’OMS enregistre un regain de la tuberculose dans le monde, notamment en provenance de l’Europe de l’Est et sous des formes rétives aux actuels traitements antibiotiques. Alors que les hollandais et les italiens réhabilitent leurs anciens sanatoriums, les français les ferment, les livrant au vandalisme ou, pire encore, à l’appétit insatiable des promoteurs immobiliers.
Vue d’un des immenses couloirs intérieurs de l’ancien sanatorium, dévasté et livré aux intempéries.
Les photographies prises en 2008 par Thomas Boivin sont éloquentes et témoignent, mieux que de longs discours, de ce qui pourrait bientôt devenir une ruine irrécupérable…donc vouée à la destruction : http://www.thomas-boivin.fr/2008/06/13/sanatorium-du-vexin/
Yves RINALDI
merci de cet article