(Extrait d’une conversation de forum (*). Merci à M.) Premier interlocuteur :
Pour composer 4 minutes de silence, c’est pas difficile, non? Deuxiême interlocuteur :
Ah mon ami, on voit que tu ne comprends rien à la musique contemporaine de haut vol: – D’abord il te faut une armée d’ingénieurs du son de chez IRCAM, où¹ il y a les plus chers au monde. – Ensuite tu utilises une flopée de microphones du type Manley, Royer, Schoeps ou autres bijoux à 5 – 8 000 EUR piêce, plus les enregistreurs Nagra digitaux (une dizaine, au cas où¹ l’un d’entre eux tomberait en panne. OK ils ne tombent jamais en panne, mais dans un milieu totalement silencieux au point de devenir hostile, ils pourraient devenir fous et réagir de maniêre imprévue).
-Tu passes 8 mois de recherche des sites du silence le plus parfait (avec un budget d’aide à la création du Ministêre de la Culture – tu attends que les Socialistes gagnent les élections, et encore tu dois recevoir ce budget dans le premier mois suivant les élections), avec une équipe de 5 – 8 techniciens, logisticiens et gestionnaires, qui s’assureront que ces lieux d’enregistrement ne seront pas distants de plus de 3 km d’un hôtel 4 étoiles; et que pour s’y rendre, on disposera d’un autobus climatisé, avec une cuisine dont le chef sera un Français ayant passé 15 ans à la brasserie NORD de Lyon (chez Bocuse – précision pour les musiciens ignorants les techniques d’enregistrement audio en vigueur à l’IRCAM). Le tout dans les pays que tu n’as pas encore visités. – Ensuite tu passes 3 mois dans le Grand studio de la Maison de la Radio, avec l’orchestre symphonique de la radio au grand complet, renforcé par 28 solistes de l’Ensemble Intercontemporain) qui vont étudier l’interprétation en dormant sur place. Pour gérer tout ce beau monde tu confies cela à un des plus grand Chefs d’Orchestre. Un Japonais ou un Israélien, voir un Chilien ayant été torturé sous la dictature s’impose. – Tu samples les différents silences obtenus et tu les écoutes – en compagnie de l’armée des techniciens IRCAM qui bossent pour toi depuis 8 mois à temps plein – tu choisis attentivement le meilleur, puis pour être certain du résultat, tu les fais tous analyser par la Marine Nationale qui en fait une recherche poussée sur les sous-marins silencieux et la détection des mines à déclenchement au pet de nonne, produit à 28 km de distance. S’entend que le pet de nonne est le pet le plus silencieux au monde, la preuve: personne n’a jamais réussi à en entendre un. – Bien entendu, pour le concert, tu prends tout ce qu’il y a de plus cher, car sinon, tu n’auras jamais un silence parfait, mais divers bruits blancs qui indiquent le boulot d’amateur pour lequel tu serais voué au mépris le plus total du public averti, fréquentant habituellement les concerts IRCAM. Et tu ne pourras jamais justifier le budget de 1,5 millions d’€ que l’Etat français t’a alloué pour ta création… OK, tu peux toujours rêver, car tu ne t’appelles pas John Cage, et lui il ne risque plus de se voir attribuer un tel budget, vu qu’il pête désormais sous un mêtre de terre… mais bon, dans la musique contemporaine, on se respecte, ou alors on fait de la musique de films, ou de la techno. Là , pour gagner du pognon, on doit baiser autant de monde, mais un à un, tandis que dans la musique contemporaine tu le fais par l’intermédiaire d’un seul mec, si possible le Directeur de la Direction Musique du Ministêre des Affaires érangêres qui doit être ton ami et ton admirateur de premiêre heure. Voilà mon ami, la musique contemporaine, c’est du sérieux et on ne doit pas se moquer… (*) A noter que ce forum n’est pas franchement musical 😉
J’arrive un poil après la bataille… mais je rejoins Laurent sur le poujadisme décomplexé de ce petit texte, et Emilie sur le fait que 4’33 n’est évidemment pas une œuvre sur le silence, mais une œuvre sur l’écoute et l’indétermination (sur le ready-made aussi). Enfin, j’espère m’exprimer sans sfumato ni pédanterie… 🙂
Nous sommes d’accord à‰milie – sans aller jusqu’à museler les musicologues ! 😉
Même si encore une fois je dirais que le problème n’est finalement pas qu’un compositeur (ou tout musicien d’ailleurs) parle de son art, mais la façon dont il en parle (n’oublions pas les médecins de Molière…).
Jean-Armand, je suis bien d’accord : la musique de Messiaen se reconnaît en quelques secondes d’écoute. Le plus intéressant dans la remarque de G. Sacre est le constat que le rythmes ajoutés par exemple, ont effectivement bien souvent le même effet que le rubato. Bien des passages de lecture difficile dans sa musique pour piano paraissent en fait beaucoup plus évidents à l’écoute (et toute mon admiration va aux Muraro et autres Loriod qui ont le courage de déchiffrer le pointillisme de la notation – sans compter le virtuosité technique bien sà»r).
Je maintiens que le jargon est condamnable, si toutefois on se met d’accord sur le sens de ce terme. Car le jargon, ce n’est pas le vocabulaire technique ! C’est une complexification abusive de langage destinée à appréhender d’une réalité simple (et souvent pour se distinguer le savant du profane – cf. Bourdieu).
Ainsi, lorsqu’un physicien parle de quark ou de boson, c’est pour désigner quelque chose de précis et qu’aucun autre nom ne peut remplacer clairement. Lorsqu’un musicologue parle de quarte et sixte, idem. Lorsqu’un géographe parle de mégalopole, idem. Mais lorsque ledit géographe commence à parler de "bidonvillisation", lorsque le politologue parle de "gouvernance", je dit que l’on entre insidieusement dans le jargon. Mais c’est peut-être affaire de sensibilité personnelle.
Je suis d’accord sur le fait que Messiaen a affublé de noms compliqués des notions qui étaient moins compliquées que ça.
Il n’en reste pas moins que les rythmes qu’emploie Messiaen ont vraiment une personnalité propre à l’écoute. Les comparer à "croche – noire – croche" ne leur rend pas justice ; "noire – croche – noire" serait déjà plus proche : les rythmes typiques de Messiaen ne font pas un nombre entier de temps.
A propos de l’harmonie, que Messiaen ait eu des visions colorées avec la musique n’intéresse personne d’autre que lui. En revanche, là encore, on reconnait certains accords de Messiaen instantanément. L’accord sol – do – mi – fa# par exemple. Qu’il est inutile de vouloir comparer à un accord classé (#11), vu la façon dont Messiaen l’emploie.
Le jargonnage n’est pas condamnable a priori. Dans les sciences dures il est nécessaire, parce qu’on doit être aussi précis que possible. Dans les arts et les lettres, en revanche, les mots sont le plus souvent flous ; en créer de nouveaux n’apporte aucun bénéfice.
Merci Laurent d’avoir citer l’excellent Tristan Murail, et comme il a raison…
En un sens la musique dite contemporaine était forcée de s’affubler d’un "paratexte " , finalement inutile, pour se justifier. et elle subit encore cette même pression.
"On vous demande toujours un discours"…c’est vrai, est-ce la faute des musicologues ? des historiens ? du public lui-même ? qui veut toujours mieux saisir ce qu’il entend.
Il y a aussi cette manie dans le geste même de la composition que "tout doit être justifié" . Or, Une œuvre bien pensée, finalement se justifie d’elle-même.
a t -on demandé à Bach de justifier sa Messe en Si, ou son Art de la Fugue, et son "traité de langage musical" à ce propos où¹ est-il ? si ce n’est dans sa musique…
Ah bas le jargon, et trève de bla bla bla,
du son ! du son ! je ne vois qu’une solution :
muselons, muselons
musicologues et donneurs de leçons.
Diapason est une bonne revue
je regrette l’ancien "Monde de la Musique"
que je lisais en biblio dans le temps.
Emilie
Et je ne résiste pas au plaisir de citer le bon Guy Sacre :
"Plutôt que de se demander si la rythmique "à valeurs ajoutées" n’est pas une manière originale de noter le rubato, [le critique] vous apprendra les termes hindous dont elle s’affuble. Il s’extasiera sur un "rythme non rétrogradable" (le développement, au fond, de la cellule croche-noire-croche, dont plusieurs siècles de musique nous offrent l’exemple), plutôt que d’avouer l’indifférence que l’on devrait avoir pour un private joke […].
Surtout ce critique nommera à son tour un accord violet veiné de blanc, un accord orangé veiné de vert avec quelques tà¢ches noires, au lieu d’écouter l’accord en question (et de s’apercevoir qu’il est moins flou et ésotérique que le langage qui le décrit)"
Le discours technique du musicien ne sonne jamais creux, car il use de termes nécessaires ; mais certains prennent souvent un malin plaisir à se draper dans le jargon (je maintiens le mot, car il est exact : c’est le mal de notre temps dans tous domaines – et l’à‰ducation nationale, où¹ je sévis, en est l’un des pires exemples).
Je maintiens que l’hermétisme est un vilain défaut, car ce qui se conçoit bien s’énonce clairement – et simplement. Le langage est un moyen de communiquer ses idées, pas de les obscurcir, et il est souvent le paravent des médiocres pour brouiller les pistes derrière un savant sfumato. C’est un des vices de la recherche actuelle d’ailleurs, pas seulement en musicologie. Loin d’être "vraiment dangereux", c’est surtout fort irritant.
Tristan Murail reconnait lui-même (dans le Diapason de ce mois-ci) : "À un moment, il y a eu une forte pression sociale pour que chaque partition soit justifiée, argumentée par un contexte littéraire, politique ou philosophique. Sans quoi la musique n’avait pas d’intérêt. Les choses ont changé, mais on vous demande toujours un discours."
non , non Jean-Armand, retourne vite voir les tableaux de Veermeer, c’est bien de lui que je parle, Malevitch ne m »intéresse pas pour l’instant. Veermeer joue avec la lumière et démontre bien que le blanc n’existe pas. vibration lumineuse : blanc-rose, blanc-gris, blanc-violet…)
Franchement je ne vois pas en quoi Mallarmé est hermétique ..
quant à Messiaen on s’aperçoit de sa complexité surtout dans ses pages de musique, moins dans ses explications et commentaires.
"passer outre le discours pour apprécier la musique" c’est un bon adage, Laurent , je trouve,
cependant le discours technique d’un musicien ne sonne jamais "creux" contrairement à celui du "pédant." ( y en a t-il encore de vrais pédants vraiment dangereux de nos jours ? ils sont vite repérés et ..moqués non ? )
Je trouve un peu facile de surligner ces verbiages des années 70, il aurait fallu le faire dès leur parution. Maintenant tous ces gens ont déjà un , voire deux genoux à terre, on peut toujours leur "taper dessus"
Quant à l’hermétisme, ce n’est pas forcément un (vilain) défaut
Chère à‰milie, je ne suis pas sà»r que le but de la charge en question fut de dire que " le silence n’existe pas " … Mais bien plutôt de dénoncer un (petit) monde copieusement nourri aux subventions pour créer ce qui pourrait très bien se faire dans un atelier d’ados motivés et sans l’appareil jargonnant et l’esprit élitiste mal placé que dénonce aussi Renaud Machard.
Cela me rappelle le jugement expéditif mais salutaire que j’ai lu, voici quelques années, sous la plume de Guy Sacre, dans sa somme consacrée à la musique pour piano. Il démonte en deux ou trois phrases acides le verbiage de Messiaen s’auto-commentant à satiété et ensevelissant ses œuvres sous un déluge de commentaires plus ou moins hermétiques, que se contente de reproduire une critique un peu trop confortable. Je précise que j’aime beaucoup Messiaen (et Sacre aussi ne s’en cache pas du reste) ; mais cette remarque m’a fait le plus grand bien : il m’est apparu, comme une évidence alors, qu’en effet, il faut savoir passer outre le discours pour apprécier la musique, et qu’entre le vocabulaire technique du musicien et le jargon boursoufflé du pédant, il y avait une limite à ne pas franchir.
Le blanc, c’est plutôt Malevitch ("Carré blanc sur fond blanc", 1918) que Vermeer.
Ah ! Emilie, un peu de polémique, voilà qui va égayer ce blog ! Avec l’esprit frondeur, voire provocateur qu’on me connait, je ne peux m’empêcher d’en rajouter une couche. Voilà ce qu’écrit Renaud Machard (Le Monde du jeudi 10 juin) dans un article intitulé ‘L’exaltante invitation au voyage de Gérard Pesson" (festival Agora, Centre Pompidou jusqu’au 19 juin) :
A l’heure de la simplification des documents administratifs, l’Ircam continue de s’exprimer en une logorrhée qui, au mieux, rappelle l’hermétisme de Mallarmé, au pire, les grandioses nanars de la musicographie jargonneuse des années 1970-1980. Ainsi l’Ircam loue -t-il sans sourciller, et sans contrepet délibéré semble-t-il, « le métier aboli de sa performance », la relation entre « nulle part auparavant » et « partout ensuite » ou encore la « présence de l’invariant au sein de ce qui mute ». C’est en tout cas ce qu’on lit dans L’Etincelle n°7 (juin 2010), un illustré savant publié par le laboratoire associé au Centre Pompidou.
pffffff…tout ce verbiage pour essayer de dire que " le silence n’existe pas " en ce bas monde ?
c’est vraiment laborieux.
Je ne trouve pas ça drôle, et bien des musiciens de l’Ircam sont bien plus intéressants que les auteurs de critiques faciles à l’écoute…limitée, ce qui ma foi rejoint le silence.
Il n’existe pas plus de "silence" en musique que de "blanc" en peinture. Veermer et Cage = même combat.
C’est mordant, c’est méchant, un tout petit peu poujadiste, mais tellement drôle !
(et probablement pas si faux que cela dans l’esprit !)