Leçon de virtuosité musicale

« Il est facile de jouer du piano. Je parle du processus physique et non des sommets de l’art du piano. Mais bien jouer est aussi difficile que faire n’importe quoi de très bien. » écrit le grand pianiste et pédagogue Heinrich Neuhaus (1888-1964) dans son Art du piano.* Et,


poursuit- il, « sachant qu’il n’est rien de plus facile que de faire naître des sons du plus faible au plus puissant et d’en déterminer le registre, du plus grave au plus aigu, on peut dire que la difficulté suprême, toujours du point de vue physique est de jouer très longtemps, très vite et très fort. C’est entre ces deux limites (…) que se situe toute la technique du piano, considérée comme un processus moteur physique.»

Jouer très longtemps, très vite et très fort…La formule elliptique est séduisante, quoique légèrement ironique, et doit se comprendre évidemment avec quelques nuances, voire au énième degré. Les pianistes, en effet, même aux doigts d’acier ne sont pas des robots, loin de là, certains se vantent même d’avoir l’âme sensible et le font parfois bien entendre.

La véritable virtuosité instrumentale ou vocale, n’était elle pas en fin de compte celle qui réussit à se faire oublier au profit de la musicalité ? Les interprètes virtuoses d’exception peuvent-ils alors servir la beauté et émouvoir plutôt que de simplement impressionner leurs auditoires?

Voici des exemples musicaux sur un même thème de Rimsky-Kosakov, le très réputé vol du bourdon,

Ecoutons-les, et à chacun donc, de se faire une opinion :

Au piano : Yuja Wang

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(Yuja Wang que de nombreux parisiens ont déjà applaudie en concert à Pleyel)

et dans un autre registre, à la guitare : Thomas Bressel

Le vol du bourdon, The Flight of Bumblebee, étant une pièce initialement destinée au violon, voici l’interprétation vertigineuse du violoniste, David Garret qui réalisait à cet instant un vrai record de vitesse, on ne sait pas si depuis il a été battu.

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Cadence folle, excès de vitesse et surpassement ? Surprendre pour mieux émouvoir ?
La virtuosité au service de l’art et non pas le contraire, jamais de toute façon, au point d’en perdre la raison, Charlie Chaplin dans ses Temps modernes était à peu près du même avis.

Emilie A.

(par Heinrich Neuhaus, version française, traduit du russe par Olga Pavlov et Paul Kalinine, éd.Van de Velde, 1971-2007, p. 90)

– Site Yuja Wang

12 réflexions sur « Leçon de virtuosité musicale »

  1. C’est vrai que Bach transcrivait beaucoup, mais d’abord pour se faire plaisir à  lui-même, et croù®tre dans son art, On pourrait supposer qu’il souhaitait jouer les concerto de Vivaldi "tout seul" sur son orgue par exemple ou les jouer avec d’autres. Une façon de s’approprier les répertoires, de les assimiler, sans les "copier" toutefois et sans avoir recours à  tout un orchestre, plus difficile à  réunir.
    D’ailleurs c’est curieux comme les transcriptions de Bach qui passent de l’orchestre à  un instrument soliste ou quelques instruments solistes, ne semblent pas "réduites", (" réduction" par opposition à  "orchestration" ) Le résultat aurait pu être catastrophique sous une autre plume que celle de Bach.
    Quoique réduction ne signifie par forcément " appauvrissement" loin de là .

    La chaconne Bach-Brahms pour la main gauche est impressionnante , c’est d’ailleurs plus une "Fantaisie- passacaille " pas ses dimensions. Ce genre d’écriture se retrouve d’ailleurs dans les œuvres originales de Bach destinées au clavier, ( dont on devine qu’elles pourraient être jouées au violon) ce qui laisse supposer que Bach devait se transcrire lui-même sans cesse.
    ( je ne dis pas du tout qu’il était à  court d’idée !!!)

    Pourquoi est-ce que Bach si génial, éprouvait le besoin d’écouter et de transcrire d’autres œuvres que les siennes ? Capter l’air du temps ? Curiosité artistique ?

    – Oui, il faut présenter ta transcription pour piano solo Laurent, du concerto de Vivaldi pour quatre claviers, et nous expliquer tout le processus : comment s’y prendre pour réduire une partition d’orchestre ou d’orchestre de chambre ! Ce sera tout un prochain billet… Chiche ?!

  2. Je suis d’accord. Ce qui est intéressant chez Liszt, du point de vue du processus créateur, c’est que son admiration pour ses contemporains (que traduisent ses transcriptions/paraphrases – déjà  des re-créations) ne semble pas l’avoir tellement influencé dans sa propre production, sauf peut-être l’harmonie wagnérienne. Du moins c’est l’impression que j’ai, mais je me trompe peut-être et j’attends avec impatience une mise au point brève mais salutaire là -dessus.

    Pour ce qui est de la transcription comme art de compositeur, Bach lui-même transcrivait beaucoup (et adaptait souvent). J’ai un faible tout particulier pour le fameux concerto pour quatre claviers d’après Vivaldi :

    http://www.youtube.com/watch?v=t...

    Je me suis amusé à  le réduire pour piano seul, si ça intéresse quelqu’un 😉

    Deuxième transcription fidèle qui me touche beaucoup (quoique moins que l’original) : la Chaconne en ré mineur du même Bach, cette fois adaptée (plus que transcrite véritablement) par Brahms pour la main gauche seule :

    http://www.youtube.com/watch?v=4...

    (Personnellement je la préfère à  la transcription de Busoni…)

  3. Merci pour l’interprétation d’Horowitz, elle est effectivement sobre et élégante.

    La transcription musicale est donc un art à  part entière, les Schubert-Liszt sont à  ce propos l’un des plus beaux exemples. Certainement parce que Liszt était compositeur tout autant que virtuose. ( trop virtuose peut-être, son maître Czerny a du le marquer un peu…j’aime moins certaines paraphrases de Liszt)

    On croit souvent que la transcription est utilisée pour voler au secours des répertoires insuffisants de tels ou tels instruments, ce n’est pas vrai pour le piano, surtout à  l’époque de Liszt, pourtant il a été prolixe en la matière. Cela prouve qu’il était aussi à  l’écoute de bien des musiques (autres que les siennes) c’est rare pour un compositeur.

  4. C’est imparable : l’interprétation de Cziffra lui-même est bien moins agressive, et passe mieux. Russo est fatiguant : c’est bavard, agité, répétitif ; bref on demande grà¢ce.

    Mais tu as raison sur le fond : c’est bien la transcription elle-même qui multiplie les embà»ches et, in fine, c’est cela qui me pose problème (la virtuosité pour la virtuosité). On ne retrouve pas l’esprit de l’original (même en tenant compte de la destination instrumentale différente). Las, il faut bien faut bien nourrir ces animaux carnavalesques que sont les pianistes (et le public en redemande, du reste).

    À tout prendre voilà  une transcription beaucoup plus sobre, bien plus fidèle à  l’original, et tellement moins laborieuse, sous les doigts d’Horowitz !

    http://www.youtube.com/watch?v=E...

  5. Ce n’est un secret pour personne, Laurent, le grand Cziffra était un passionné de virtuosité, le Paganini du piano, ceci dit un phénomène de la musique romantique aussi. Pourquoi a- t- il adapté cette pièce ? par goût de la démesure ? on a l’impression qu’il s’est lancé un défi à  lui-même…Faire disparaître les mouvements des doigts par le truchement de la vitesse, atteindre le jeu de l’extrême ?

    Le terme de "torche -doigts" que tu emploies plus haut, est un peu cru, mais il me plaît bien, dans le sens où¹ les doigts comme des danseurs " se plient" se donnent à  fond, comme des sportifs de l’extrême ( en extrapolant un peu, je l’avoue)la torche c’est aussi le feu,.

    La transcription de Cziffra c’est un pur "con fuoco" et c’est justement vers "la Fulgurance" qu’il veut tendre.

    D’autre part la partition de Rimsky est un exercice à  l’outrance du chromatisme, toujours très suspect celui là  (le chromatisme ) ne veut-il pas noyer les tonalités ? Gommer le cadre harmonique habituel ? Musique bourdonnante, folle, obsédante, tout pour déstabiliser l’auditeur,…Et l’émotion, étrange, elle commence déjà  là  ! (quand c’est bien joué)

    Virtuosité chez Cziffra ? Oui, mais pas seulement, car quand on l’écoute dans ses versions des années 50 il y a une réelle musicalité dans l’interprétation de sa pièce d’une légèreté incroyable avec des accents presque" dolce":

    à  écouter là  : http://www.youtube.com/watch?v=n...

    Contrairement aux "imitateurs" qui s’essayent à  l’exercice, (Yuga Wang elle s’en sort plutôt bien, mais elle le jouera de mieux en mieux, comme tous les grands, ils ne cessent de progresser…c’est une constante en musique)

    Pour en revenir à  Bumble-bee, j’aime moins ce que fait Sandro Russo

    ici : http://www.youtube.com/watch?v=-... ) Un jeu trop dur, trop sà»r… même si c’est extraordinairement réussi techniquement d’ailleurs.

    C’est peut-être plus facile de faire passer l’émotion de cette musique d’extra terrestre, au violon ( Rimsky-Korsakov avait destiné cette pièce au préalable pour le violon, dans son opéra) et du coup transposée au piano, la pièce paraît presque martelée,plus rythmique, alors qu’elle est avant tout mélodique.

    Cziffra a surchargé la mélodie d’une forêt d’octaves à  en avoir le vertige, cela ne joue pas en faveur de la légèreté naturelle non plus… Les octaves au piano, est une écriture connotée (Un intervalle que je n’aime pas beaucoup ) …redoutable pour la justesse et la virtuosité.

    La version sur Dailymotion des "pianistes" est sà»rement plus intéressante :

    http://www.dailymotion.com/video...

    On trouve une partition de base sur free-score de Bumble-bee

    La partition ( de base)
    http://www.free-scores.com/parti...

  6. Oui à‰milie, je ne doute pas qu’elle puisse par ailleurs être très touchante. Je suis parti un peu au quart de tour, je le reconnais ! Je me suis juste focalisé sur la virtuosité pure présente dans cet extrait : je ne trouve pas l’adaptation de Cziffra réussie du tout.

  7. Il est vrai que l’exercice ici était plus ludique que musical, mais je ne le jugerais pas aussi sévèrement. Yuja Wang est trop fine pianiste pour être réduite à  un moment "de bravoure". Ceci a le défaut de tous les extraits, n’oublions pas tout le récital offert avant ce "bis" ( je crois bien le cinquième ) Il faut absolument l’entendre en direct, dans toute sa dimension, Yuja Wang est une très grande artiste, elle ne pourra que t’émouvoir Laurent, à  mon avis.

  8. Personnellement, ces prestations me laissent de marbre. Transformer la musique en art de clown n’est pas ma tasse de thé. Et chercher la vitesse pour la vitesse est une subtilité de fans de tuning.

    Si la prestation de D. Garret est intéressante, PARCE QUE musicale (quoique la vitesse excessive n’aide pas à  goûter la fantaisie et la grà¢ce aérienne du morceau), le fatras de Yuja Wang est proprement abominable. Mais peut-être est-ce moins de sa responsabilité que de celle du massacreur qui a ravalé le petit bijou de Rimski au rang de torche-doigts amusical : on a connu Cziffra plus inspiré…

  9. Le violoniste David Garret est d’autant plus impressionnant dans son Flight of Bumblebee qu’il semble ne faire aucun effort spécial, son violon chante presque naturellement. Il ne fait aucun geste inutile, tout le jeu est concentré au plus près de la touche. Et quelle aisance ! Sa prestation accompagnée d’un tel sourire ne gà¢che rien… Les violonistes, classiques, tziganes ou de jazz marquent souvent le tempo avec le pied. On observe moins ce genre de pratique chez les autres musiciens, certainement moins rigoureux (?)

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