Il m’attend, confortablement installé sur la banquette d’une brasserie où les administrateurs de l’association MusiComposer viendront tout à l’heure pour notre réunion/dîner périodique. Il est là, souriant mais fatigué, provincial aujourd’hui confronté aux difficultés de circulation inhérentes à la grève du personnel du métro parisien. A minuit, il retournera chez lui à Dijon, après force double cafés… 🙂
Ce que je préfère dans la vie? L’amitié ! Le partage !
(Hum, ça sent la réponse toute prête, le désir de faire plaisir d’un homme porté à l’empathie. Ce n’est pas la réponse plus convenue d’un précédent lauréat qui répondait « les jolies femmes »…)
Les femmes? Ouais… pourquoi pas… l’amour fait partie de l’amitié. Les enfants aussi… Mes enfants sont ce que j’ai réussi de mieux dans ma vie. Mon fils, 21 ans, fait sa troisième année de médecine pour devenir chirurgien. Ma fille, 10 ans apprend le hautbois; elle a une oreille musicale de « tueuse ». Et ton épouse? Elle est hautboïste virtuose… c’est ma muse ! je lui dois tout.
(Je le sens ému) Parlons de ton enfance.
Mon enfance, c’est quelque chose de compliqué. Et même de très compliqué !
(Hum ! Voilà qui va peut-être expliquer les propos précédents. Manifestement, il ne sait par quel bout commencer, raconte sa vie dans tous les sens, perturbé qu’il est par un « mal vécu » d’enfant et d’adolescent.
J’ai 44 ans. Je suis né de parents jeunes, moi-même avec quelques problèmes de naissance assez grave, l’un des premiers prématurés traités en 1965 à l’Hôtel-Dieu à Paris de Mère diabétique. J’ai une soeur plus jeune que moi, elle est malentendante. Je m’en suis beaucoup occupé quand j’étais chez mes parents, mais on échangeait peu de choses ensemble à l’époque. J’ai eu deux pères, un père naturel que j’ai connu jusqu’à l’age de 10 ans. C’est lui qui m’a payé ma première guitare, à Paris, il était guitariste amateur. L’ autre, mon père légal aujourd’hui, un amoureux fou de la voile et un expert comptable de St Malo qui a épousé ma mère quand j’avais quinze ans. Il a été mon véritable père, sans me témoigner nécessairement beaucoup de compréhension quant à mes désirs de musicien… je pense qu’il serait fier de moi aujourd’hui. Mais j’ai été un enfant plutôt difficile, obnubilé par la musique et la guitare, du fait des aléas de la vie… C’est la musique qui m’a permis de trouver ma voie professionnelle, de trouver ma stabilité. Et ce sont ma femme et mes enfants, l’éducation qu’il fallait leur donner qui m’ont conduit à devenir vraiment « raisonnable » par la suite!
Alors justement, parlons de tes études
Quand j’étais en CM2, j’ai eu un vieil instituteur, je m’en souviens bien, un type extraordinaire avec le visage rouge comme ce vase, (il me montre un gros cendrier sur la table). Un type un peu alcoolo (il nous dira tout à l’heure qu’il ne boit jamais d’alcool). Il nous a passé un disque en classe, l’Oiseau de feu de Stravinsky. Ce fut la révélation. J’ai dit : c’est ça que je veux faire dans ma vie, écrire des choses comme ça. J’ai eu la passion de la musique au point de passer, à dix ans, des heures entières dans la boutique d’un disquaire située sur une colline de St Malo, où j’écoutais toujours le même disque qui me fascinait, un vinyle de Villa-Lobos. Quand elle me voyait arriver, la disquaire le mettait tout de suite sur la platine. Inutile de dire qu’il est rapidement devenu invendable… Mais j’y dévorais aussi les partitions. Mon père qui était guitariste amateur m’a payé en même temps ma première guitare, qui fut pour moi le moyen d’accéder à la musique. A dix ans je m’accompagnais sur « le plat pays qui est le mien ». Ensuite, j’ai fait beaucoup, beaucoup de guitare ! Aujourd’hui je n’ai plus trop envie de jouer de cet instrument, après en avoir fait tellement. J’en joue toujours, et sans forfanterie, je peux dire que je suis encore un très bon guitariste, je continue toujours d’accompagner les films muets soit seul, soit avec Dominique ma hautboïste préférée ;-). Mais c’est la composition musicale qui m’intéresse. J’ai commencé le conservatoire à St Malo à dix ans. En même temps, je n’imaginais pas faire une carrière de musicien. Je voulais être coureur cycliste. C’était l’époque de Bernard Hinault. Plus tard, j’ai eu une deuxième passion, la mer. Je passais mes étés dans le club de voile que mes parents avaient créé à St Malo. J’emmenais ma guitare sur le bateau… et j’écrivais de la musique comme un enfant, sans réellement savoir, mais j’adorais ça. J’avais des notes seulement moyennes à l’école, du fait de la musique, mais à 13-14 ans j’ai décidé que la musique deviendrait mon métier. En même temps, j’ai commencé à sécher les cours du conservatoire de St Malo, pour aller à Rennes, où je passais des journées entières chez les disquaires, au conservatoire, puis je suis allé à Vannes et j’ y ai fait mon premier concert en soliste au festival de musique ancienne de Lorient. Puis à Dijon, un an avec mon plus grand professeur de guitare : Jean Perdreau. Ensuite, Orange, Avignon… A 17 ans, les JMF(*) m’ont proposé à Avignon une tournée de deux ans comme guitariste. Comme j’étais mineur, j’ai du demandé l’autorisation de mon Père. Il a refusé, me disant: passe d’abord ton bac, finis tes études et ensuite tu feras tes tournées. Evidemment ce genre de propositions n’arrive qu’une fois… Je suis parti en claquant la porte. Apres une assez longue période, un peu difficile…, j’ai pu reprendre mes cours grâce à mon professeur de guitare à DIJON. En juin 84, j’ai eu mon prix de fin de classe supérieure, et deux mois après je réussissais le concours d’entrée au Conservatoire Supérieur de Musique de Paris. Mais je n’ai jamais suivi de cours de composition. Au conservatoire de Dijon on me les a refusés sous prétexte que je n’étais ni pianiste, ni organiste ! Je suis donc un véritable autodidacte dans ce domaine. Mais avec tous les livres existants dans ce domaine, on peut quand même apprendre énormément de choses. Ensuite, c’est affaire de travail et de volonté.
Et tu es sorti avec un prix du CNSM ?
Non, j’ai abandonné en dernière année. Je n’avais plus la motivation nécessaire; j’ai quand même le regret d’avoir quitter Pierre-Max DUBOIS, mon professeur d’analyse qui me parlait d’ailleurs plus de composition, de vie musicale que … d’analyse. Un homme à qui je dois beaucoup. J’ai aussi rencontré ma femme, et je suis retourné m’installer avec elle à Dijon.
Et maintenant?
Je suis l’assistant de Jean-Marie Senia le compositeur de musiques de films. C’est quelqu’un de très connu dans ce milieu avec plus de 300 films et télé-films à son actif. C’est lui qui m’a fait connaître le site Musicomposer.fr. Il m’a dit : « Tiens, tu devrais aller voir là! » Je m’occupe pour lui d’organiser les plannings d’écriture, les séances d’enregistrement en studio, les prises de son, les mixages. Ceci depuis pas mal d’années. Il écrit, il orchestre, moi je m’occupe du reste. Comment je l’ai connu? Il cherchait un guitariste pour un de ses films. A l’époque, j’étais copiste. Je l’ai été pendant des années. Donc j’enchaînais souvent les activités: la guitare sur les films, la copie musicale pour des œuvres contemporaines, et bien sûr mes pièces personnelles. En 1990, j’ai été l’un des premiers utilisateurs du logiciel Finale. J’ai été copiste pour la musique de Jean Guillou, par exemple, que je connais très bien. D’ailleurs, dès l’âge de 21 ans, je relevais de la musique pour gagner ma vie. C’est extrêmement formateur pour apprendre la composition, l’harmonie, etc. Mais j’ai fait plein d’autres métiers autour de la musique. Y compris de l’informatique musicale. J’ai découvert l’ordinateur avec un vieux truc que mon père avait ramené du bureau, quand j’avais treize ans. J’ai appris tout seul le Microbol, le Pascal, le Fortran, le Basic, le Z80 et sa suite le 8080, tout cela par curiosité mais surtout pour me créer un outil pour écrire de la musique; un énorme travail mais là, je m’éclatais bien ! Cela donnait des programmes curieux mais c’etait passionnant !
(Et moi, là, il m’épuise…!) Et tu vis donc de toutes ces activités là?
Oui et non. Je suis aussi commercial pour un ami qui est artisan meunier. Cela complète mes revenus de musiciens qui ne sont pas très réguliers. A cinq heures du matin, je vais visiter les boulangeries bourguignonnes… (Quel homme !) Et tu vis bien? Oui, je gagne ma vie. Disons… aussi bien qu’un prof de musique !
Et ta musique?
Quand elle est sérieuse, ce sont des « cris ». Quand elle est légère, ce sont des rires ! (Hum… belle formule!)
Comment composes-tu? J
Je ne compose pas, j’écris ! Je n’aime pas ce mot « composer », pas plus que le mot « œuvre »; je préfère dire « pièce » ou « morceau ». En fait, les idées me viennent d’un seul coup; j’ai des fulgurances, des visions de partition. Il faut que je note ça dans les deux minutes sur le premier papier venu, nappes de restaurant ou téléphone portable. Et ensuite, souvent, quand je veux m’en servir, l’idée s’avère nulle et je jette. Et je recommence. Puis je réfléchis longuement sur le sujet choisi… Je me laisse imprégner et je passe à la réalisation quand les thèmes musicaux sont au point. C’est souvent le moment que j’aime le moins… Une fois, j’ai eu une idée fulgurante et j’ai écris en une demi-heure, d’un seul jet, tout un mouvement d’un concerto pour ma femme, alors que je devais (et je n’étais pas du tout motivé) orchestrer ce qui deviendra le 2e mouvement. Elle m’a dit : « Ce n’est pas un concerto pour hautbois, le hautbois accompagne l’orchestre. » J’ai repris le score, et elle l’a regretté…
(Je sens la pointe humoristique) Et pourquoi?
(Il sourit) Parce que c’était beaucoup plus difficile ! Mais tellement mieux !
Bon, dernière question rituelle : quels sont tes compositeurs préférés?
Bach, William Walton, Sir Arthur Bliss, Mahler, Rodrigo, De Falla, et bien d’autres. Dernièrement j’ai découvert Marc-André Dalbavie, un compositeur français, magnifique…sublime, à écouter absolument.
Et tes projets ?
Une pièce pour hautbois et trio a cordes, un concerto pour hautbois d’amour, des orchestrations pour un concert que nous allons faire avec Dominique et ses collègues du conservatoire, un vrai spectacle. Puis bien d’autres choses…
L’entretien s’achève car les participants, jurés et compositeurs associés arrivent pour signer et remettre solennellement son 1er prix à Frédéric Jacqmin.
09/11/2009)- Diner/Réunion MusiComposer (Photo prise par Emilie – Deux absents du fait de la grêve RATP)
Un peu plus tard, il sera coopté comme Compositeur associé, et à ce titre ne pourra plus se présenter aux prochains concours. Il devra écouter les musiques des adhérents compositeurs, commenter et voter pour les prochains concours. « J’accepte avec grand plaisir, j’adore écouter de la musique », nous dira t-il aimablement. Merci, Frédéric!
JLF
(*)JMF: Jeunesses Musicales de France
Mais heureusement qu’ils lui ont refusé ! Papa t’as toujours été autonome, ou plutôt obligé de l’être, apprendre par toi même c’est ce que tu maitrises à son apogée, quand tu dois te référer à quelqu’un d’autre, ta gentillesse te perd, j’ai le sentiment que tu écoute le père que tu n’as jamais eu, alors que tu as plus de qualités personnelles que beaucoup de gens, je le dis parce que t’es mon père, mais surtout parce que je le pense, et tu devrais protéger un peu plus ta sensibilité et ta créativité (mais ça maintenant tu sais). D’avoir appris la composition tout seul t’amène à écrire des pièces (dont les gens diront plus tard que tu as "composé des œuvres" je l’espère) qui te ressemblent, à un moment donné de ta vie, qui sont foisonnantes d’idées, et pleines d’énergie, parfois très puissantes, alertes et lucides, parfois mélancoliques, étouffantes et oppressantes. Quand j’écoute ce que tu écris je te vois, et toutes l’ambiance de tes pièces te représente, et tel un bon fils un peu chiant j’ai toujours envie de dire "rebelle toi là te morfond pas", "ou on se calme un peu c’est pas la fête ici", mais mieux encore "vas-y continue la dedans c’est super ça" ou tout simplement "waou"… j’ai envie de dire ça comme si c’était toi que j’écoutais et pas ta musique, et ça de mon avis personnel ça la rend plus vrai que nature, sans artifice, juste intime, et émouvante… et je suis très très fier de ce que tu fais, je l’ai toujours été, même si je ne suis pas du genre à lancer des fleurs dans tous les coins, et je suis fier de toi rien que parce que ta musique est vrai, alors imagine comment je suis fier si en plus je te dis qu’elle me plait…
C’est un beau portrait de Frédéric Jacqmin que nos découvrons là , vivant et franc, émouvant même, il ressemble un peu à sa musique.
J’aime beaucoup le passage décrivant l’enfant qu’il était si curieux de musique, refaisant inlassablement le même chemin sur la colline de Saint -Malo pour y réécouter un disque de Villa-Lobos .Si j’étais cinéaste ce serait la toute première scène du film.
Finalement pour devenir un jour un vrai compositeur ne faut-il pas mieux avoir été " autodidacte"
" je n’ai jamais suivi de cours de composition." on me les a refusés…peut-on lire dans l’interview, et
Quel refus scandaleux et incompréhensible ! Pourtant,
ce fut peut-être une chance aussi : celle de rester curieux et avide de musique, d’être à l’affà»t. Il n’est pas donné à tout le monde de "dévorer" jeune, traités, partitions et enregistrements musicaux. Beaucoup vont au cours de musique en traînant les pieds, voire à reculons.
Bien sà»r l’idéal voudrait qu’un "prof" soit un éveilleur de talents, et que l’élève trouve de lui-même son "univers" ( le mot est à la mode ) plutôt qu’un dépisteur de fautes de texte. Bref, la composition s’enseigne t-elle vraiment ?
( Une découverte pour moi le compositeur anglais cité ici par Frédéric Jacqmin : Arthur Bliss auteur de nombreux opus dont un Concerto pour orchestre et violoncelle dédié au grand Rostropovitch )
Merci à JLF et à Frédéric Jacqmin pour ce partage musical
Emilie