Vendredi 3 octobre, je retournais à la Cité de la musique pour un concert de l’ensemble Ictus, toujours sur le thème « Le fil du temps ». Le programme était le suivant :
György Ligeti Poème symphonique pour cent métronomes
Philippe Leroux De la texture
Steve Reich Drumming, premier mouvement
Paul Usher Nancarrow Concerto
György Ligeti Kammerkonzert
Georges-Elie Octors, direction
Rex Lawson, pianola
Métronome en retard
Sur le devant de la scène, cent métronomes tels une infanterie napoléonienne, sur quatre rangs en quinconce.
Après dix minutes d’attente, un quidam vient nous annoncer qu’il y a une inversion de programme : on jouera la pièce de Philippe Leroux avant le Poème pour cent métronomes.
Je me dis : bon, l’un des métronomes doit être en retard.
Le timbre et la texture sont une tarte à la crème de la musique récente, aussi j’étais méfiant. Erreur : la pièce de Philippe Leroux est superbe ! Presque entièrement basée sur des effets de hauteur indéterminée, elle les combine habilement en de somptueux enchaînements, des coloris, des tirades, des exclamations.
L’effectif comprend flûte / piccolo / flûte alto / sifflet à coulisse, clarinette / clarinette basse, guitare, percussions, piano, violon, alto, violoncelle. Ajouter plusieurs « sifflets à bruit blanc », des sifflements oraux, des cris, et bien entendu tous les bruits que l’on peut produire avec les instruments : cordes frottées du coude, tapotées, caressées par un diapason, bruits de clefs, de bocal, extrêmes graves…
Philippe Leroux était dans la salle, il viendra saluer à l’entracte. Oui, à l’entracte parce que les pièces s’enchaînent sans transition !
Philippe Leroux :
Les musiciens sortent en lançant les métronomes. Première erreur : l’un d’entre eux reste à l’arrêt, oublié ! Nous n’aurons donc droit qu’à un poème pour 99 métronomes ! Comme les Schtroumpfs cherchant un centième Schtroumpf pour danser à la fête de la lune.
Les métronomes les plus rapides sont sur les rangs du fond, les plus lents au premier plan. L’impression sonore est indescriptible. Malgré le nombre, on perçoit parfois des coïncidences, comme si tous les métronomes s’étaient synchronisés d’un seul coup. Puis les premiers combattants tombent, les tirs insensiblement se clairsèment, et puis… et puis… après un long moment, on en vient à distinguer tous les métronomes encore actifs. Et là, deuxième erreur : ils sont tous groupés au centre ! La personne qui a remonté ceux du centre a dû faire plus de tours que les autres personnes. Comme quoi même cette pièce nécessite des répétitions…
Sur cette photo de Bladsurb sur Flickr, à l’occasion d’un autre concert, les métronomes de Ligeti, et les bongos de Reich tout au fond.
La fin du poème offre des syncopes, des saccades, des rythmes se simplifiant progressivement. Puis il n’en reste que trois, plus que deux, enfin plus qu’un… Au bout d’une minute le chef d’orchestre vient sur scène, lui adresse un geste de reproche et l’arrête. Puis des musiciens s’avancent et, sans pause, on passe à la pièce de Reich.
Tambours africains
Dire, comme l’écrit le programme, que Steve Reich composa cette pièce à son retour d’Afrique, est un euphémisme : pendant quelques minutes on s’y croirait ; ou, plus près de chez nous, à l’un de ces concerts de percussions improvisés Gare du Nord.
Les percussionnistes vont de un à quatre, certains arrêtant puis recommençant, dans une mise en scène presque chorégraphique. La pièce est écrite sur un ostinato rythmique, qui se trouve rempli par d’autres rythmes. La virtuosité est extrême, le plaisir de jouer est visible.
Un effet, en particulier, est spectaculaire : deux percussionnistes frappent exactement le même rythme, très rapide ; puis il se décalent très légèrement, ce qui crée un fouillis proche du bruit inorganisé ; puis ils se resynchronisent !
Après l’entracte, le piano mécanique est préparé. Derrière un aspect Arts décos, il cache une mécanique diabolique, insensée : l’instrument comporte des « doigts » de bois recouverts de feutre, qui appuient sur les touches d’un vrai piano, auquel on l’accouple ! Je ne m’avancerai pas sur le sexe de ces deux partenaires ; d’autant qu’il y en a un troisième : l’instrumentiste, qui pompe du pied tel un shadok pour faire tourner le rouleau, commande le tempo et le volume avec l’autre pied et les mains…
Première du Nancarrow concerto de Paul Usher, avec Rex Lawson, en 2004 à Cologne, sur le site pianola.org.
Parlons-en, de l’instrumentiste ! C’est le spécialiste mondial du pianola. Il porte une barbe laineuse grise, qui lui arrive à la boucle de pantalon, comme toute cravate bien nouée. L’ami qui m’accompagnait pense que, dans un Tintin, sa barbe se serait coincée dans le rouleau du pianola…
A la fin du spectacle nous irons le voir, il nous dira, dans un excellent français, que la France est riche d’œuvres pour pianola – même Ravel ! – mais n’en fait rien.
Rex Lawson commence cette seconde partie par une surprise : la toccata pour violon et pianola de Conlon Nancarrow. Une belle pièce, où toutefois l’intérêt du pianola n’apparaît pas évident.
Vient ensuite le concerto de Paul Usher, basé sur une esquisse de concerto pour piano mécanique de Conlon Nancarrow, que celui-ci a laissé inachevé à sa mort. Le pianola est en particulier utilisé pour des fusées totalement injouables par un humain. Ce procédé finit par être lassant ; heureusement le troisième mouvement est, lui, basé sur une écriture polyphonique de type choral, là encore difficilement jouable par un humain. Le concerto comporte également un second piano qui permet des duos avec le pianola, mais l’intérêt de cette combinaison n’est pas évident. Parmi les beaux moments de la pièce, des duos en tierces parallèles de cuivres (par exemple : fa la, sol si, la bémol do), ainsi que, dans le mouvement central, l’alternance entre mineur mélodique ascendant et descendant.
Le maître revient
L’autre pièce de Ligeti pour laquelle j’avais choisi ce concert, était le Kammerkonzert.
Les procédés employés dans cette pièce sont déroutants de simplicité. Le début est un cluster qui s’élargit progressivement. D’autre utilisations de clusters sont présentes dans le morceau. Surtout, cette pièce sonne très bien – malgré le remplacement, ici, de l’orgue Hammond ou harmonium par un Yamaha DX7.
En conclusion, un superbe concert, qui montre que la musique contemporaine peut être festive, si l’on choisit correctement les pièces et si les interprêtes n’hésitent pas à se mettre en scène. Tout cela, bien sûr, dans l’écrin de la salle de concert de la Cité de la musique, à un prix particulièrement doux (12€60 pour une place au quatrième rang au centre…).
Jean-Armand Moroni
Merci à tous pour votre lecture bienveillante.
A Mazurka : Rex Lawson a seulement cité des noms de compositeurs ; j’ai malheureusement oublié qui.
Il y a des informations sur le site pianola.org :
http://www.pianola.org/history/h...
et surtout
http://www.pianola.org/history/h...
pour les œuvres de Stravinski. Ne pas manquer, vers la fin de l’article, l’enregistrement de l’intégralité du Sacre du Printemps pour pianola !
Meci pour ce compte rendu très complet d’un excellent concert !
Je confirme : très beau C.R. JAM. Je confirme aussi que le concert était passionnant et festif. Seul regret, j’aurais vrai-ment voulu voir la barbe se coincer dans le rouleau du pianola 😉
Très beau compte-rendu Jean-Armand, merci !
Tu nous donnes envie de nous rendre plus souvent au concert
de musique contemporaine ! on y « entend » presque la musique ! encore bravo !
(le spécialiste mondial de pianola a cité des œuvres précises du répertoire français ?)
Oui, le pianola « joue » le rouleau en tapant sur les touches du vrai piano.
Une des raisons de ce procédé, c’est que cela permet de graver (perforer) des rouleaux sans se soucier de l’interprétation : le rubato et le forte / piano sont donnés par l’interprète. Celui-ci peut aussi commander les pédales du vrai piano, je crois. (Voir les détails sur le site pianola.org).
L’autre procédé classique, c’est de faire enregistrer des interprétations sur des formats de rouleaux qui permettent d’enregistrer également le forte / piano et le jeu des pédales. C’est comme cela que nous avons conservé les interprétations de quelques pianistes célèbres du début du XXième siècle. Mais cela répond finalement à un autre besoin.
Ben dis-donc! A la lecture de ce compte rendu (Merci JAM !), on regrette de ne pas y être aller !
D’autant que ces pièces là sont très rarement jouées, notamment les Nancarrow.
Le pianola n’est juste que le dispositif qui « joue » les rouleaux en tapant sur les touches du piano, si j’ai bien compris?
Je pensais que les pièces de Nancarrow se jouait sur un véritable piano mécanique (piano comportant son propre dispositif de lecture des rouleaux à bande perforée)…