Ouverture de saison de l’Intercontemporain

Ce jeudi 2 octobre 2008, la salle de la Cité de la musique n’est pas pleine, pour le premier concert de l’Intercontemporain. Le thème de cet automne à la Cité de la musique est « Le fil du temps ». Sont donc présentées des pièces dont le traitement du temps est particulier. La musique est un art avec une dimension temporelle, ce qui la distingue de la peinture, la sculpture et l’architecture, et lui confère des propriétés particulières. Par exemple, il y a très peu de pièces musicales symétriques : certaines de Bach, Lulu de Berg (l’interlude du second acte est entièrement symétrique, le reste de l’opéra ne l’est que narrativement). Alors qu’il y a, en architecture, en arts décoratifs, une passion de la symétrie. C’est que le regard embrasse une architecture d’un seul coup, peut la parcourir dans un sens comme dans un autre, tandis que le temps passe toujours dans le même sens. Le programme était le suivant :

Elliott Carter

Asko Concerto, pour ensemble

Conlon Nancarrow

Etude 2a (arrangement pour petit ensemble Arnaud Boukhitine)

 

Etude 2a (arrangement pour petit ensemble Sébastien Vichard)

Per Norgard

Scintillation, pour sept musiciens (création)

Entracte

 

Karlheinz Stockhausen

Zeitmasse, pour cinq bois

Elliott Carter

Double concerto, pour clavecin, piano et deux orchestres Avant de commencer la pièce d’Elliott Carter, Susanna Mälkki rendit un bref hommage à Maurizio Kagel, disparu le 18 septembre, dont l’Intercontemporain a créé plusieurs pièces, puis l’orchestre joua l’une de ces pièces. Le style se caractérise par des phrases courtes très rythmées, qui passent d’un instrument à l’autre. On sent le ton ironique : Kagel était un grand clown, un anar de la musique contemporaine qui eut son heure de gloire dans les années 70. Parlons tout de suite des deux pièces d’Elliott Carter, qui commençaient et finissaient le programme : je crois que la musique de ce bientôt centenaire (11 décembre 2008) m’est profondément indifférente. A la fin d’un documentaire sur Carter, on voit celui-ci expliquer que les générations futures seront de plus en plus intelligentes, et donc que sa musique sera de plus en plus appréciée… Il doit me manquer une case, la case que posséderont les générations futures. Asko concerto est structuré en forme couplet – refrain. Chaque couplet regroupe des instruments différents, chaque refrain est une variation de la même ritournelle. Je ne perçois ni la logique, ni l’émotion : une construction froide. Le Double concerto oppose un piano et un clavecin, chacun ayant à sa rescousse une moitié de l’effectif instrumental. Le clavecin est légèrement amplifié, toutefois pas suffisamment pour rendre clairement audibles les notes qu’il joue. Vous savez : on dit que le clavecin « ferraille », le son comporte plus de bruit que de fréquences isolées. Quant à la pièce, elle comporte quelques passages solos intéressants du piano ou du clavecin, toutefois l’impression générale reste celle d’un galimatias. Même chose pour Zeitmasse de « Stock », pour flûte, hautbois, cor anglais, clarinette en la et basson : là encore, une construction complexe ne laisse aucune trace audible. La pièce explore des variations de vitesse : par exemple les instruments jouent aussi vite que possible, ou aussi lentement que possible, ou aussi rapide que possible puis quatre fois plus lent… A un autre passage on retrouve les idées de Stockhausen sur les relations entre les paramètres du son, ici entre hauteur et tempi : douze tempi s’échelonnent en progression géométrique, de 60 à 120. Plus intéressant m’a paru Scintillation de Per Nørgård. La pièce est écrite pour flûte / piccolo, clarinette / clarinette basse, cor, piano, violon, alto, violoncelle. Il s’agit de rendre des textures changeantes, d’où le titre. Le compositeur réussit assez bien à utiliser des effets instrumentaux variés sans tomber dans le catalogue ni l’incohérence. Les scintillations sont rendues par des rythmes rapides et de multiples couches : si les étoiles scintillent, c’est parce que les impuretés atmosphériques couvrent et découvrent rapidement leur éclat. Enfin, les deux Etudes de Nancarrow sont des arrangements de pièces pour piano mécanique. Nancarrow a écrit presque exclusivement pour piano mécanique… L’homme était intéressé par les phénomènes rythmiques complexes, et ne voyait qu’un piano mécanique pour jouer correctement ses œuvres. Aujourd’hui nos pianos mécaniques ont nom ordinateur. Toutefois la démarche de Nancarrow, c’est-à-dire écrire des pièces vraiment inexécutables sinon par une machine, n’a pas eu le succès que l’on pourrait attendre. Il est vrai que devant les possibilités illimitées d’une machine, le blanc de la page devient d’autant plus difficile à remplir. Paradoxe, l’Intercontemporain a donc demandé à deux compositeurs des transcriptions de pièces de Nancarrow, de ces pièces réputées inexécutables. Le résultat est intéressant et moins surprenant que ce que l’on aurait attendu. Dans la première pièce (Etude 2a), des phrases lentes contrastent avec des phrases très rapides, rythmiques, syncopées, le tout dans une ambiance jazzy. Les rythmes étaient-ils bien rendus ? J’en doute, ayant pu comparer le lendemain avec des pièces de Nancarrow dans leur version originale, c’est-à-dire sur un rouleau de piano mécanique. Dans la seconde pièce (Etude 20), plusieurs techniques de composition se succèdent. La première consiste à faire jouer à chaque instrument une seule note, mais chacun sur un rythme différent. Dans la dernière plage, tous les instruments jouent la même phrase, mais chacun à un tempo différent. L’instrumentarium est chargé : 2 flûtes (dont piccolo), hautbois, clarinette / clarinette en mi bémol, 2 cors, 2 trompettes, 2 trombones, 2 percussions, piano, 2 violons, alto, violoncelle, contrebasse, et une guitare basse électrique ! Si l’intérêt de cette dernière est de donner un timbre qui tranche avec les instruments acoustiques, alors c’est totalement réussi : la guitare ne s’intègre pas du tout, tant le son est « gros » (pas puissant pour autant), réverbéré. En conclusion, un concert en demi-teinte. Le lendemain, il y avait à la même Cité de la musique un ensemble bruxellois, Ictus, pour un programme sur le même thème du temps, mais autrement plus festif – nous aimons les saltimbanques. C’est une autre histoire, et je vous la conterai un autre jour…

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