Laurent Juillet, portrait d’un lauréat

Il ne s’agit pas du Festival de Cannes, mais de notre dernier Concours permanent de composition, session du printemps 2008 qui récompense, cette fois, précisément un Compositeur…de musique de film ! Une heure et demie passée en agréable compagnie pour faire la connaissance de Laurent dans un petit bistrot près des Champs Élysées. Laurent Juillet lauréat du Concours de composition de MusiComposer.fr Petit sourire sage qui éclaire un visage au menton volontaire à  la Tabarly; la démarche balancée et le port de tête d’un judoka. L’apparence n’est pas trompeuse, car le judo est, après la musique, sa deuxième passion. Le judo est le dérivatif, complément indispensable de mon activité très solitaire de Compositeur. J’ai commencé le judo aprês m’être esquinté les doigts à  la guitare. J’ai repris il y a cinq ans. Activité physique nécessaire; et puis on rencontre des gens, j’aime ça, même si j’ai horreur de me battre pour gagner (sourire angélique).
Je suis un grand timide. (On le croit, mais cela ne parait pas être un handicap. Il se raconte volontiers).
J’ai 37 ans, une femme et deux enfants. Je suis entré dans la musique très tôt avec des parents mélomanes. Ma mère était pianiste et aujourd’hui encore elle est choriste. Mon grand père jouait de l’accordéon, genre musette, en amateur, sans avoir fait d’étude, mais ma grand-mère m’a montré un tas de partitions de chansons des années trente qu’il interprétait; il devait quand même lire les notes ! J’ai fait d’abord quelques années de violon dont il ne me reste pas grand-chose, puis j’ai trouvé « mon » instrument, la guitare. Ado, je faisais du rock, et aussi du jazz, mais surtout j’ai suivi des cours de guitare classique au Conservatoire de Saint Germain en Laye avec notamment Javier Queredo comme professeur, jusqu’à  obtenir la médaille d’Or à  l’unanimité du jury (un petit sourire suit, comme pour pour s’excuser de sa fierté!)

Et en même temps, je me suis mis à  la musique de chambre avec trois autres camarades du Conservatoire : nous avons formé un quartet de guitare classique, encouragés par nos professeurs. Nous nous sommes produits un peu partout en concert, dans les autres conservatoires. Mais il fallait nous constituer un répertoire : le prof nous a proposé d’abord quelques adaptations ou réductions pour quatre guitares d’œuvres symphonique du répertoire, Britten, et puis la Carmen de Bizet : ce fut pour moi une révélation, l’événement déclencheur de ma carrière de Compositeur. Toute mon enfance, j’avais entendu jouer et chanter Carmen, et tout à  coup, j’avais sous les yeux la partition complète (il lève les mains comme pour porter un objet lourd et encombrant) d’une musique que je connaissais par cœur! Je pouvais suivre les notes! Je me suis mis comme un fou à  l’étude de la théorie musicale, l’harmonie, l’enchaînement des accords, l’orchestration. Puis j’ai commencé moi-même à  adapter les œuvres symphoniques pour notre quatuor de guitares. C’est ainsi que j’ai attrapé le virus de la Composition. A 22 ans, j’ai éprouvé le besoin de retourner au conservatoire, en classe d’écriture avec Pierre Pincemaille; mais je ne suis pas allé jusqu’au bout, trop pris par ma vie professionnelle.

Parlons-en. Tu vis de ta musique, en tant que compositeur?
(La réponse tombe comme une évidence) Bien sûr! Je compose à  temps plein. Je fais beaucoup de « musique sur catalogue » pour Cosinus. Productions destinés à  90% aux professionnels. Je fais à  peu prés deux disques par an; ça marche bien. C’est plus ou moins ce que l’on appelait autrefois de la musique d’ascenseur. C’est très formateur ! Et puis je travaille sur commande. Par exemple, je dois recevoir une commande d’œuvre symphonique pour commémorer le dixième anniversaire d’un Conservatoire. Et puis il y a les musiques de film Oui, le cinéma, c’est difficile! Je milite dans notre syndicat, j’ai d’ailleurs une réunion ce soir… Un syndicat sérieux (il faut déjà  avoir trois longs métrages à  son actif pour pouvoir en faire partie). Il faut se battre ! Nous autres, Compositeurs sommes vraiment la cinquième roue du carrosse dans ce métier! (Le téléphone sonne). Tiens justement c’était mon agent !(sourire entendu) : elle l’est depuis peu, nous faisons encore connaissance… Elle est justement bien introduite dans le milieu du cinéma. Mon ancien agent? Il était dans le milieu musical, mais (petite moue), il devenait trop gourmand…(une grimace) un drôle de milieu ! Et puis ces gens veulent tout régenter, jusqu’à  l’organisation de l’Orchestre, et ça, je considère que c’est mon boulot! J’ai mon studio à  moi. Un local spécial. Non, je ne travaille plus chez moi, (sourire : il faut garder une vie de famille, pas vrai? mais c’est à  deux pas). Le matériel ? Un Mac Pro avec Digital Performer (c’est le logiciel séquenceur), une batterie de sampleurs, deux PCs avec chacun leur Gigastudio (sampleur logiciel), tout ça relié en réseau, un ampli Avallon, une table 02R , des mackies (bref, un matériel de pro).

Oh non! Je ne privilégie pas la technique et les banques de sons, au contraire! J’ai un grand respect pour les instrumentistes, j’ai été moi-même interprète, je fais appel à  eux le plus souvent possible et leur laisse relativement la bride sur le cou dans l’interprétation. D’ailleurs mon équipe le sait bien oui, j’ai une super équipe, le meilleur des ingénieurs du son de la place…Oui, tout ça c’est sur mon site Je travaille seul dans mon studio, mais j’échange beaucoup avec mes collègues sur des problèmes techniques et autres, nous sommes reliés en permanence par internet. On « chat » sur des groupes Yahoo privés, on échange des mails en permanence, on est toujours connectés. C’est pourquoi je réagis vite, comme tu me l’a fait remarquer l’autre jour (large sourire).

Je suis modérateur du portail compositeurs.org, un gros portail (*). Oui, c’est un peu le concurrent de MusiComposer.fr, encore que la population de compositeur.org soit peut-être plus jeune? Davantage de « tout débutants »? (large sourire) C’est vrai que ce site est un peu « trusté » par les compositeurs de musique de film ! Sur internet j’ai beaucoup échangé sur la musique. Maintenant, je n’y écoute pratiquement plus rien. Çà m’a dévoré. Trop de sollicitations de toutes sortes, généralement aucun intérêt; des gens qui viennent de s’acheter un synthé et se prennent pour le nombril du monde.

Comment j’ai rencontré MusiComposer? Je ne sais plus je me ballade tellement sur internet C’est peut-être la musique de Rinaldi qui m’a accroché, je l’ai trouvé belle (*). Les autres? (Je cite quelques noms, sans insister !). Mes compositeurs préférés? Ravel, Bernstein, Stravinsky, Prokofiev, Tchaikosky, John Adams, Richard Strauss… Beethoven? Oui, j’aime bien (une mimique pour dire : comme tout le monde !). Bach, ah non! Je ne peux plus l’écouter, je l’ai trop joué, c’est fini, la page est tournée, c’est une autre époque! La musique contemporaine? Tu veux dire celles des compositeurs vivants? (Véhément), Mais si je l’aime! Non, ce n’est pas du tout mon style, c’est vrai, mais l’un de mes meilleurs amis est quand même Jean-Philippe Bec, il est joué au Capitole de Toulouse, reconnu… Oh, je ne me fais aucune illusion sur ma musique, je n’ai plus de problème d’ego, je sais que je ne léguerai rien à  la postérité.

Et puis, je n’ai pas fini d’apprendre, Pierre Pincemaille quand il me voit me dit : alors, quand viens-tu finir tes études au CNSM? Mes carences? Oh, oui, j’en ai… Reconnaître les accords et les notes, par exemple. Je suis loin d’avoir l’oreille absolue ! Non, je ne suis pas capable de chanter les notes d’une chanson que je connais, comme dans une dictée musicale.
(Je suis stupéfait : il n’entend pas, il ne reconnait pas les intervalles des notes!)
Si ! je travaille directement sur le score dans Sibelius (traduction : j’écris directement mes partition à  l’ordinateur avec le logiciel d’écriture de partition), comme en traitement de texte, sans recourir à  un instrument pour entendre ce que j’écris. Je n’utilise Digital Performer que pour mes maquettes. J’entends bien dans ma tête l’enchaînement des accords, j’entends tous les instruments de l’orchestre. D’ailleurs l’orchestration, c’est mon point fort, et j’aime les harmonies sophistiquées. Mais je suis incapable de donner les notes. Cela résulte de ma formation de guitariste. A la guitare, on connait les notes par la position des doigts, non par l’intervalle perçu à  l’oreille. On n’apprend pas les hauteurs de notes… (Nobody is perfect, ce sera le mot de la fin)

©Jean-Louis Foucart (2008) pour MusiComposer.fr

(*) En fait, du point de vue du référencement et du nombre d’adhérents, les deux sites sont de taille comparables.

 

8 réflexions sur « Laurent Juillet, portrait d’un lauréat »

  1. un traité d’harmonie mis à  terre ! …ô misère ! ô sacrilège…
    comment est-ce possible ?…
    mais non, Yves il ne faut pas être désolé !!! … de Théodore Dubois,
    éminent musicien quand même, j’ai surtout en mémoire sa "toccata" pour grand orgue …

    j’apprécie particulièrement le sens de l’orchestration du compositeur Laurent Juillet, c’est une qualité qui se remarque dès la première écoute. à  propos de "Canyon" j’en ai parlé ici : http://www.foucart.net/?2008/02/...
    et pour ses autres œuvres ( surtout les poétiques ) dont "Automne" :
    ici : musiComposer.fr/viewto…

  2. Bravo pour ce commentaire qui rend le nouveau lauréat du concours bien sympathique et attachant. Je suis désormais rassuré de ne pas être le seul compositeur associé à  ne pas avoir l’oreille ajustée aux subtilités des règles canoniques de l’harmonie classique. Quand j’ai ouvert le traité d’harmonie de Théodore Dubois, il m’est tombé des mains et je ne l’ai pas ramassé….désolé Mazurka et Jean-Armand !
    J’aime particulièrement la façon que Laurent Juillet a de créer des ambiances sonores évocatrices en jouant à  fond la carte de l’illustration sonore propre à  la fonction de la musique de film. "Canyon" utilise l’orchestre dans une optique dramatisante saisissante.
    Bravo aussi pour sa franchise lorsqu’il dénonce les mozarts de prisu qui balancent sur le Net trois notes répétitives repiquées dans les séquences pré-programmées de leur synthé acquis de fraîche date. Ils confondent l’informatique avec le talent.
    Bravo encore pour le concours !
    Yves.

  3. Oui, Laurent, tu fais bien de préciser que tu as la mémoire musicale (mais personne n’en aurait douter !)
    Quand à  ton ami Jean Philippe Bec, je signale son beau site ici :
    jeanphilippebec.com/#
    Enfin je me rends compte que j’ai oublié de rapporter beaucoup de choses de notre conversation, par exemple ce qui concerne ton concert au Chatelet qui fut un grand succès (une salle pleine). Nous aurions pu en lire le compte rendu dans "Le Monde" si les journalistes n’avaient pas été en grève ce jour là  (Ah! Stéphane, nous lis-tu? 🙁 )

  4. Merci pour cet entretien Jean Louis,

    Je voulais juste me permettre de rectifier quelques petites choses.

    C’est feu le directeur de l’ENM de Saint Germain en Laye, Mr Gilles Cagnard qui m’a incité à  transcrire pour notre quatuor.
    Mon grand ami Jean Philippe Bec à  fait un peu plus que d’être joué au Capitol. Il est le premier compositeur en résidence de l’Orchestre National du Capitol de Toulouse, et fut en résidence à  la casa Velasquez.
    Pour finir, quand je dis que je n’entends pas, comprenez que je suis très mauvais en dictée musicale, mais je rechante une mélodie sans soucis.

    Merci au Jury pour ce prix de composition.

    Laurent.

  5. Quel portrait tonique ! en toute simplicité il rend bien compte d’une vraie passion pour la musique et la composition !

    j’apprécie la brochette de compositeurs ici nommés , de Ravel, Bernstein, Stravinsky, Prokofiev, etc. à  … Beethoven " mais pourquoi réléguer Bach à  une autre époque ? c’est le plus moderne de tous !
    De quel John Adams s’agit-il ? ils sont plusieurs je crois.

    Quand on entend les enchaînements d’accords, on entend les accords , et donc les intervalles qui les constituent normalement …
    Comment faire autrement ?

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