THESEE de LULLY au Théatre des Champs Elysées

ou la (Re)naissance de l’Opéra Français.

Depuis maintenant plus de vingt ans, l’opéra baroque est de nouveau prisé des musiciens et du public, certains sociologues et musicologues spécialistes des comportements culturels n’ayant pas hésité à  qualifier le «baroque» de musicalement «correct». Il est vrai que l’engouement actuel a de quoi dérouter un auditeur contemporain lambda dont la sensibilité est largement tributaire des bouleversements esthétiques subis par l’art lyrique depuis Mozart.jusqu’à  Manoury.
Peut-être les français entretiennent-ils une vague nostalgie pour les fastes de Versailles et, plus globalement, pour une époque où les arts européens se conjuguaient à  la mode française. Quoi qu’il en soit c’est à  l’italien Giovanni Batista Lulli devenu par la seule volonté de Louis XIV, le grand ordonnateur des divertissements musicaux royaux, que l’opéra français doit son existence. En effet, alors que l’opéra italien régnait sans partage sur le reste de l’Europe, Lully sut concevoir un genre lyrique nouveau taillé sur mesure pour ce gigantesque laboratoire des arts que fut le chantier du château de Versailles.

 Louis XIV et Lully à  l'époque du Thésée de Lully (1675)

Il fallait satisfaire les exigences de grandeur et de faste du roi et flatter également l’orgueil de cette population grouillante de « talons rouges » qui tentaient quotidiennement de s’assurer les faveurs du monarque rayonnant, à  chaque détour des nombreux couloirs et antichambres du tout nouveau palais. Aux gentilshommes qui protestêrent lorsque Louis XIV anoblit ce génial musicien d’origine fort modeste en l’élevant à  la dignité de Secrétaire du Roy, le monarque rétorqua que c’était à  eux d’être honorés de se voir placés au même rang qu’un esprit aussi supérieur. Le roi savait bousculer les conventions quand il s’agissait de reconnaître le talent de ses meilleurs sujets.
L’opéra français : un art de cour
L’origine politique de l’opéra français détermina son destin jusqu’à  la Révolution : un divertissement avant tout destiné à  vanter la gloire du souverain. Porté sur les fronts baptismaux par la Cour de Versailles, l’opéra français fut pendant plus de deux siêcles assujetti aux rêgles rigides d’une tradition aulique, ce qui entrava considérablement son évolution ; « Les Indes Galantes » de Rameau, archétype du grand spectacle de Music Hall à  la sauce exotique, demeurent une exception qui confirme la rêgle.
Mais de quelles rêgles s’agit il exactement ?
Tout d’abord, l’opéra français se doit d’obéir à  la rêgle du « Grand Style » et doit puiser son inspiration dans la mythologie grecque, tout comme les statues qui ornent les jardins de Versailles. Les noms des divinités et héros helléniques sont traduits du latin et l’on n’hésite pas à  mêler au récit des allusions aux évênements politiques du moment. C’est ainsi que « Thésée » évoque clairement le désir de Louis XIV d’établir sa cour à  Versailles à  une époque où¹, rentrant victorieux de la campagne de Franche-Comté, le roi veut établir un lieu de gloire et de paix. C’est pourquoi l’on voit Minerve reconstruire magiquement le palais de Thésée détruit par la fureur jalouse de Médée. De plus, les amours de Mars et de Vénus font ici référence à  celles du roi et de la nouvelle favorite, la volcanique Marquise de Montespan. Avec «Thésée», Lully rompt définitivement avec l’influence tragi-comique vénitienne pour ennoblir le genre en se calant sur la veine héroù¯que de la tragédie racinienne, le héros étant identifié au roi. Cependant, si elle obéit à  la découpe en cinq actes du genre théà¢tral, elle n’en respecte pas la rêgle d’unité de temps. Le texte versifié devient la pierre angulaire du nouveau genre, en l’occurrence celui de Philippe Quinault pour « Thésée ». A l’instar de la dramaturgie racinienne, l’intrigue fait la part belle aux dilemmes « cornéliens » comme le conflit entre amour et devoir.
Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Les opéras de Lully inaugurent un nouveau rapport entre les airs et les récitatifs. Alors que les italiens accentuaient de plus en plus les premiers au détriment des seconds, Lully confêre une plus grande homogénéité à  l’ensemble en n’établissant pas de rupture nette entre les arias courtes et formellement simples et les récitatifs, les deux restant dominés et unis par un texte de grande qualité littéraire, véritable épine dorsale de l’œuvre.

Ce parti pris littéraire et unitaire annonce la conception wagnérienne de l’œuvre lyrique « totale ». Avec Lully le duo devient une piêce lyrique de choix, même s’il ne tient pas forcément compte de la personnalité des protagonistes. La construction linéaire et horizontale des lignes de chant lui permet d’élaborer de longues scênes de duo alternant avec de courtes arias et des récitatifs. De même, Lully invente le principe du motif récurrent qui n’est pas à  proprement parler un « leitmotiv », car nullement investi d’une charge psychologique symbolique univoque comme plus tard chez Wagner, mais qui se voit traité tantôt en mouvement orchestral, tantôt en aria ou encore en duo. Cette liberté d’emploi d’un même motif musical annonce celle dont Vivaldi usera – et abusera – avec ses propres inventions.

La nature devient un thème propice à  la description orchestrale que Lully affectionne tout particulièrement lorsqu’il s’agit de d’évoquer les phénomènes terrifiants ou bien les charmes bucoliques d’une nature « civilisée » par l’homme, tout comme les fameux jardins « à  la française ». Enfin la danse joue un rôle prépondérant, rappelant que Louis XIV fut dans sa jeunesse un danseur émérite. Présente à  quasiment chaque acte, elle se présente sous la forme d’un intermède allégorique souvent sans lien directement identifiable avec l’action.

On reprocha à  Lully d’avoir exercé sur la musique, l’opéra en particulier, un monopole préjudiciable à  l’essor du genre lyrique en France. Ce même reproche fut adressé par la postérité au peintre Charles Le Brun (1619-1690), ordonnateur des décors du château et de la statuaire des jardins de Versailles. On déplore aussi que cette hégémonie contraignit les autres compositeurs comme Marc-Antoine Charpentier (1634-1704) à  se limiter au chant sacré. C’est sans doute vrai mais c’est à  ce prix que Lully put établir des bases durables à  l’opéra français et lui conférer une grande homogénéité, à  l’instar des autres formes d’expression artistique, le tout contribuant à  forger ce « Grand Style » fondateur du rayonnement culturel de notre pays pendant presque trois siècles.

«THESEE» de J-B LULLY, livret de P.QUINAULT, au Théàtre des Champs-Elysées, jusqu’au 29 février, sous la direction d’Emmanuelle Haïm.

On pourra notamment y entendre la soprano Aurélia LEGAY, présente dans notre Salon de Musique (Musiques des Compositeurs Associés, mélodies et arias d’Yves RINALDI).



	

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