Tannhäuser jeudi 27 décembre 2007 à  la Bastille

(Aujourd’hui, c’est Jean-Armand qui prend la plume 😉 ) Jeudi 27 décembre, três belle soirée à  l’opéra Bastille, pour cette nouvelle production de Tannhäuser avec une mise en scène de Robert Carsen qui fut un temps menacée par la gréve des machinistes. Carsen transpose la situation en faisant de Tannhäuser un peintre. Si jamais transposition fut intelligente, c’est bien celle-ci, et force est de constater que Carsen est une valeur sà»re (le Songe d’une nuit d’été, Manon Lescaut, la Femme sans ombre). On s’aperçoit que Wagner emploie, dans son texte, beaucoup de métaphores picturales. La scène du concours de chant devient une scène de dispute entre les artistes, de la façon la plus naturelle qui soit.

Dans cette mise en scêne, les chanteurs entrent plusieurs fois par la salle, chantent même depuis la salle. Amusement de voir le choeur, habillé en tenue de gala, défiler au milieu du public habillé de la même façon. La pesanteur du procédé se transforme en grà¢ce entre les mains de Carsen. Stephen Gould, dans le rôle-titre, domine três nettement les autres chanteurs. Certes, on ne l’imagine pas chanter un délicat lied de Schubert : d’une voix aux accents passionnés, il colle parfaitement au personnage de Tannhà¤user, albatros démesuré au milieu de la foule. Le choeur est souvent mis à  contribution. Sans doute Wagner souhaitait-il un grand opéra à  la française capable de rivaliser avec ceux de Meyerbeer, Halévy, Verdi Car Tannhäuser a été remanié trois fois, la version la plus jouée étant celle de Paris, en 1861. Pour autant, on retrouve la prédilection de Wagner pour l’intime dans le troisième acte. Il y avait là  une « scène à  faire » : Tannhäuser prosterné devant le pape, suppliant pour obtenir sa clémence, au milieu d’une foule de pèlerins pécheurs comme lui. Wagner, au contraire, préfère laisser son héro raconter cette scène a posteriori, comme il le fait ensuite à  maintes reprises dans le Ring. En délaissant l’action, Wagner laisse la part belle à  l’expression des sentiments. Dans cet opéra Wagner n’a pas encore tout à  fait trouvé son style ; on entend parfois des fragments de récitatif, particulièrement au début du deuxième acte. La phrase vocale s’arrête étrangement sur la dominante, et on attend la sempiternelle cadence parfaite, sans la voix, cette étrangeté ritualisée par le XVIIIiême siècle. Toutefois Wagner rompt systématiquement la cadence, signe d’émancipation. D’autres passages font penser à  Tristan : dans cet opéra maintes fois revu, on ne sait s’il s’agit là  de prémonition ou de réminiscence. Enfin il y a cette ouverture, qui se prolonge par une bacchanale écrite par Wagner pour Paris, pour respecter la tradition du lieu et les amateurs de danseuses. Tout le monde connaît les ouvertures de Wagner comme pièces de concert isolées ; les entendre dans leur contexte, c’est-à -dire suivies de l’opéra, permet de constater qu’elles ont été écrites a posteriori en juxtaposant des thèmes de l’ouvrage. Dês lors on s’étonne qu’une technique de composition aussi simple conduise à  des pièces aussi efficaces isolément. Pourrait-on composer en se contentant d’aligner des thèmes ? C’est pourtant la technique de bon nombre de pièces de Mozart.

Voici ce qu’en pense Anthony Girard, récent auteur d’un monumental traité d’Analyse que je vous recommande : « L’analyse a fait tant de dégâts, au vingtième siècle, valorisant à  l’excês les techniques, et donc les œuvres, qui se prêtent bien à “ trop bien ! “ à  la mise en évidence de structures. » Plaisante façon, pour Anthony Girard, d’excuser deux fois 400 pages d’analyse, assortis d’un nombre d’exemples musicaux abasourdissant. Je tombe donc volontiers dans le travers dénoncé pour attirer votre attention sur l’un des thèmes bien connus de l’opéra. Le voici : mi – mi (octave supérieure) – ré # – ré – sol (en-dessous) – sol (octave supérieure) – fa # – fa – si b (en-dessous) – si b (octave supérieure) – la – sol # – la – sol – fa – do – ré – mi

Un premier exercice consiste à  retrouver l’harmonie de Wagner. Je vous laisse œuvrer dans les commentaires ci-dessous.

Deuxième exercice : prenez la marche harmonique, qui va de mi à  sol # en trois répétitions de quatre notes à  une tierce mineure d’intervalle, ajoutez une quatrième répétition au lieu de la désinence, vous obtiendrez le total chromatique.

(Aujourd’hui, c’est Jean-Armand qui prend la plume 😉 )

2 réflexions sur « Tannhäuser jeudi 27 décembre 2007 à  la Bastille »

  1. Le vingtième siècle a mis en évidence les structures, grà¢ce ou à  cause de l’analyse ( trop loquace ? et réductrice ? peut-être ) …or nombre de grandes formes elles- mêmes ont connu leur apogée aux siècles précédents…( fin 18 es , 19 es ) La grande sonate pour piano ( Beethoven, Schumann, Liszt ) la ballade, le Nocturne
    ( Chopin ) pour ne citer qu’eux…
    On n’a pas attendu le plein midi du vingtième siècle pour glorifier forme et structure, d’ailleurs Eric Satie avait déjà  réagi ironiquement à  cette "manie compositionnelle" en écrivant ses morceaux en forme de poire ( pour piano 4 mains ) …

    Analyser, c’est vouloir comprendre mieux, et c’est toujours un
    " plus "…

    Merci en tous cas , Jean-Armand pour cette fine analyse ( sourires) de Tannhaà¼ser , cela m’a remémoré aussi les idées de Wagner sur l’art total…

    les 2 traités d’ Anthony Girard sont remarquables et fourmillent de tant d’exemples ! il vient d’écrire un spécial analyse " quatuor de Haydn op 76 " ( qui devrait en intéresser plsu d’un ) et un autre sur les " Préludes" de Debussy…Analyste virtuose, on le serait à  moins…

  2. Ton commentaire est tout à  fait juste. L’idée de faire du héros un peintre "maudit" conférait au propos initial une épaisseur nouvelle et intéressante sans pour autant en dénaturer le fond.
    On peut également remarquer que la chorégraphie de Giraudeau renouait avec une esthétique expresionniste en accor avec le caractère érotique, Venusberg oblige, de l’Ouverture, véritable poème symphonique à  lui tout seul.

    A Garnier, Carsen et Giraudeau se sont également chargés de la scénographie d’ALCINA de HAENDEL, bel opéra aux accents intimistes. Le décor représentait un intérieur de palais néo-classique s’ouvrant à  l’arrière sur un jardin féérique et évanescent (il disparaît à  la fin de l’opéra) rappelant un peu le procédé déjà  utilisé pour LOHENGRIN, la saison dernière à  Bastille.

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