ET SI ON PARLAIT DU CONTREPOINT ? PREMIERE PARTIE

(Jean-Armand Moroni, rédacteur invité, est l’auteur de cette chronique, la première partie diffusée ici, sera complétée par une seconde partie, mise en ligne dans une dizaine de jours.) Naissance et aperçu historique du Contrepoint du IX e siêcle à  nos jours, ses caractéristiques : intervalles, cadences, couleurs. « Jean-Armand Moroni, vous êtes intervenu plusieurs fois au sujet du contrepoint, dans les commentaires du blog et des espaces membres des compositeurs, pouvez-nous nous en dire un peu plus à  ce sujet ? » J.A. Moroni: « Oui, bien que certains aspects du « contrepoint » soient déjà  bien connus, nous allons essayer de rassembler toutes ces données et de brosser rapidement un tableau historique du contrepoint, et aussi de l’harmonie.»

Le contrepoint est né officiellement au IX e siêcle, avec les premiers chants religieux polyphoniques ; c’est-à -dire un siêcle aprês la naissance du chant grégorien, monophonique ; à  dire vrai nous ne savons pas grand-chose des traditions antérieures. Charlemagne imposa la musique de l’église romaine contre les traditions locales. Le contrepoint désigne la vision horizontale de la musique polyphonique, tandis que l’harmonie désigne la vision verticale. Au IX e siêcle, il n’est pas question d’harmonie. Au départ, le contrepoint utilise principalement les mouvements parallêles. Il permet ce qui est considéré à  l’époque comme consonance : octave, quinte et quarte. Encore faut-il ajouter que la piêce commence et finit par un unisson. Ce contrepoint primitif donnera naissance aux altérations, le si bémol et le fa diêse en premiers, nécessaires pour conserver justes les quartes et quintes et rejeter le triton. On sait que notre systême tonal actuel est basé sur la consonance de la tierce . Celle-ci est au départ considérée comme dissonante. L’adoption de la tierce comme consonance viendra d’Angleterre, on l’on pratique au XII e siêcle le gymel : un contrepoint en tierce parallêle ou sixte parallêle. Vient une période intermédiaire, au XIII e siêcle, où¹ la tierce est semi-consonante, permise au milieu des phrases mais pas dans les « accords » finaux.

Manuscrit de Bologne du XIIIe s.

On en trouve d’ailleurs une survivance (ou une réinvention ?) à  la fin du Requiem de Mozart. Aux débuts de la polyphonie, on est três loin de la tonalité telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les fonctions tonales (tonique, dominante, sous-dominante) n’existent pas, ou plutôt, on trouve des modes dont la dominante est le troisiême degré au lieu du cinquiême. Les « accords » s’enchaînent de façon surprenante. Les cadences ne ressemblent en rien à  notre cadence parfaite. Au XIV e siêcle, on trouve par exemple : – La cadence la plus répandue : la basse et la mélodie forment une sixte majeure, chaque note bouge d’un degré pour arriver à  l’octave. – La cadence Landini : au lieu d’effectuer degré VII – tonique, la mélodie effectue degré VII – degré VI – tonique. L’effet est déconcertant pour une oreille moderne. – La « double sensible » : ré – fa# – si devient do – sol – do. Le fa# est une deuxiême sensible. L’effet est encore plus surprenant que la cadence Landini. La prééminence de la tierce va créer le rejet des quintes et quartes à  vide, et aussi des quintes ou quartes parallêles, qui soulignent trop ces intervalles. En revanche les anciens mouvements qui conduisent de la tierce à  la quinte par déplacement de chaque note d’un degré, ou idem de la sixte à  l’octave, perdurent jusqu’à  nos jours. Un autre élément fondateur de la tonalité est le mode de do, devenu notre mode majeur, et le rôle de la sensible (qui n’apparaît que dans les modes de do et fa, avec toutefois une « sensible à  l’envers » dans les modes de mi et si). Il y a enfin l’attaque directe (sans préparation) de la septiême de dominante, attribuée à  Monteverdi. L’intervalle de triton entre la sensible et la septiême dans cet accord, est caractéristique de la tonalité, puisque interdit dans le systême précédent. On peut aussi dire qu’une différence importante entre le systême tonal actuel et le systême du Moyen-Age, est que ce dernier se focalise sur les relations de voix deux à  deux, tandis que notre systême envisage la consonance ou la dissonance de l’accord entier : dans la polyphonie primitive, l’analyse se réduit aux consonances des voix deux par deux. Mais c’est une hypothêse qui mériterait d’être confirmée plus en détails par les spécialistes de la musique du Moyen-Age. Les rêgles à  respecter pour écrire dans le style de l’époque vont souvent être codifiées dans des traités. Paradoxalement, le traité de contrepoint le plus connu est le « Gradus ad Parnassum » de Fux, qui apparaît en 1725, à  l’époque où¹ le contrepoint savant disparaît au profit de la mélodie accompagnée. On doit cependant se souvenir que de nombreux compositeurs du XVIII e siêcle vivaient d’une charge de maître de chapelle, pour laquelle ils avaient besoin de savoir écrire en style contrapuntique. Le contrepoint et l’harmonie vont continuer à  s’enrichir, par l’action de Schumann, Wagner, Fauré, Debussy, jusqu’à  la rupture que l’on sait par Schoenberg. Cette rupture ne doit d’ailleurs pas masquer les évolutions autres, Milhaud (polytonalité), Hindemith, Bartok Un principe de conduite des voix qui est présent dans les systêmes antérieurs au systême tonal et qui n’a pas bougé depuis, est que les intervalles larges (majeurs ou augmentés) tendent à  augmenter encore, et les intervalles étroits (mineurs ou diminués) tendent à  rétrécir.
Si l’on pense à  l’arrivée sur l’octave, la Renaissance connaît l’arrivée depuis la sixte majeure (cas três fréquent), mais aussi l’arrivée depuis la sixte augmentée. Ce cas devient, à  l’époque classique, caractéristique de l’arrivée sur le degré V.

(à  suivre)

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