Des Corps du Monde à  la Musique Mystique

C’est en esthète des mots, des corps et de la musique religieuse que Castafiora nous fait revivre sa promenade vers le temple de la rue des Billettes pour un concert de musique mystique. Dans le catalogue bien fourni de Philippe Maillard Production, je choisis toujours deux ou trois concerts qui m’intriguent, me font rêver, et dont je ne connais rien. Les Sonates du Rosaire n°11 à 15 de Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) [ Les Mystères du Rosaire III ] m’ont séduites. Il était dit : "Lumineuses dans la Nativité, tragiques dans la Crucifixion, les Sonates du Rosaire s’achèvent dans une Résurrection Glorieuse. Renforcé par Masato Matsuura, étoile de la danse Nô dont la gestuelle hiératique répond idéalement à la grandeur de Biber, AUSONIA (l’ensemble des trois musiciens) parvient au terme de son grand cycle".
Ca donne envie d’aller écouter et voir, non ? 😉 Ce Vendredi 11 mai 2007, j’arrivai tout près de Notre Dame de Paris et je décidai de me rendre à pieds aux Billettes, temple protestant de la rue des Archives, un bijou d’acoustique, de sérénité, de simplicité, de convivialité, d’intimité… C’est devant Notre Dame que j’ai assisté aux premières chorégraphies de mon court voyage : des jeunes virtuoses du roller acclamés par des fans en liesse. Evoluant avec grâce et vélocité, ils slalomaient entre des verres de couleur (en plastique) posés par terre.

J’ai quitté "mes" rollers si gracieux dans leur tenue bleue jeans car je voulais être en avance aux Billettes. En effet, le placement y est libre et j’aime être au premier rang pour "voir" et écouter les artistes. J’ai marché d’un pas léger et joyeux jusqu’à l’Hôtel de Ville, fait un petit tour par le BHV Hommes qui est une vraie merveille. La façade est végétale et évolutive ; elle a été imaginée par Patrick Blanc, déjà créateur de la décoration végétale du Musée du Quai Branly. Arrivée dans la rue des Archives, j’hésite à prendre un thé et une douceur dans l’un de mes deux cafés préférés quand je rencontre un des collaborateurs de Philippe Maillard devant le Temple. Nous discutons agréablement, d’autres collègues arrivent et je vais prendre un délicieux gâteau et du thé quand là, choc des cultures, trois superbes brésiliens au corps d’ébène nous font une démonstration de capoeira ! Quand je pense que je vais bientôt voir un danseur japonais, je me dis que j’aurai fait le tour du monde entre Notre Dame de Paris et les Billettes !
C’est tellement acrobatique que je rate mes photos sauf celle où l’un des trois réclame une participation en espèces avec une perche terminée par une sorte de calebasse pour cette trop courte démonstration scandée par un genre de tambour. Il est temps maintenant d’entrer dans le Temple – une place est libre au premier rang sur l’extrême droite. Frédérick Haas l e claveciniste-organiste (encore un petit orgue positif) accorde son clavecin posé sur le « buffet » de l’orgue et me permet de la prendre en photo. Un grand silence règne, le concert va commencer.
Une japonaise en kimono traditionnel arrive à petits pas pour allumer les grandes bougies placées devant le premier rang et sur les côtés. Elle offre un visage impassible et blême, empreint d’une grande intériorité.  L’Ensemble Ausonia fait son entrée : Mira Glodeanu , violon, est née à Bucarest en 1972. C’est elle qui a créé l’ensemble Ausonia avec Frédérick Haas. Elle se produit également comme soliste un peu partout dans le monde et je l’ai déjà vue avec Arpeggiata, Le Poème Harmonique, La Petite Bande…… Mira est (entre autres activités) professeur de violon baroque au Conservatoire royal de Bruxelles. En plus d’être l’excellente musicienne reconnue par tous, elle a beaucoup de charisme par son sourire, son regard, sa présence même quand elle ne joue pas, l’impression qu’elle donne de soutenir ses collègues, de vivre chaque partition, chaque instrument, chaque silence et de donner son amour du métier à tous.

  • Mira jouera sur deux violons : Violon Marcin Groblicz, 1604. Cinq violons seulement sont connus aujourd’hui de cet immense luthier. Violon Louis Gersan, Paris, 1757.
  • James Munro , l’australien, a étudié la contrebasse à Sidney. Il vit maintenant en Hollande où il se produit dans de nombreux ensembles. Il joue un violone de Ruggieri (Cremone, 1690) dans ce concert, et continue de jouer sur une contrebasse de Panormo (Italie, fin XVIII° siècle).
  • Frédérick Haas, orgue et clavecin, est né en 1969. Il a étudié aux Conservatoire d’Amsterdam et de Bruxelles et a fait une licence de musicologie à la Sorbonne à Paris. Frédérick joue sur un clavecin cordé en boyau, d’après un analyme napolitain du XVI° siècle (copie par Augusto Bonza, Milan, 1999).

Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704) et les Sonates du Rosaire (Sonates des Mystères) « Les dites Sonates des Mystères sont un cycle de sonates où (presque) toutes les pièces requièrent la scordatura c’est-à-dire un changement dans l’accord ordinaire des violons. Elles sont conservées dans un manuscrit splendide mais non daté. Il existait à Salzbourg, ainsi que dans plusieurs autres villes, au moins depuis la première moitié du XVII° siècle, la Confrérie du Rosaire dont Maximilian Gandolf, comte de Kuengerg, archevêque de Salzbourg à partir de 1668, fut un fervent partisan jusqu’à sa mort en 1687. Les 15 sonates de Biber furent composées pour les offices de cet ordre. » (Greta Haenen dans le livret du CD-608 BIS – Ensemble Saga plays HIF Biber) Le Temple est très peu rempli ce qui donne encore plus le sentiment d’être dans un groupe de prières, de ne former qu’une seule âme et un seul cœur vers cet inexplicable art qu’est la musique qui me transporte, m’élève, me donne l’impression que je me promène en pensée dans chaque recoin de l’église. Je vis un rêve éveillée, je suis en hypnose, en méditation, dans une atmosphère familière et bienfaisante. Entre les sonates, Froberger et Bach s’immiscent sans que je m’en aperçoive, c’est écrit sur le programme c’est pourquoi je le sais, mais je me laisse porter, sans songer à faire le distinguo entre les compositeurs. Et c’est alors qu’arrive le CHOC ! Celui qui va faire régner encore plus le silence, celui qui va nous transformer en statues de marbre, avec un cœur qui s’emballe à l’intérieur de nos cuirasses, des yeux qui s’agrandissent, un esprit qui s’emballe…….. Masato MATSUURA entre en scène au moment de la « Résurrection » du Christ Il a un masque sur le visage et une tenue très féminine mais on sait qu’il est un homme. Il marche à petits pas, comme un automate, fait des gestes lents et harmonieux avec ses bras, joue avec ses amples manches et son éventail. Par moment, il psalmodie en faisant des notes vibrées, des sons nasillards, tantôt graves, tantôt médium…. Il est très impressionnant. A l’extrême gauche, un jeune papa tient une enfant blonde sur les genoux. L’enfant est médusée par le danseur qui va souvent vers elle et semble la fixer. Le papa est totalement immobile, toute son attention est concentrée sur le danseur. Le tableau est admirable. Il semble que le papa donne à sa fille le goût et le respect de la musique et de la danse par son comportement tendre et attentif. Plus tard, dans les coulisses, je retrouverai le papa, sa petite fille et Masato et nous évoquerons ce moment magique qui a enchanté le danseur et qui l’a inspiré. Ce qui me touche beaucoup, c’est ce mélange des cultures aussi différentes. Je me demande comment un japonais, maître en arts martiaux, en sabre, en danse nô, « vit » et exprime la culture chrétienne et la musique allemande du XVII° siècle.
Vous pouvez aller visiter le site de Masato Matsuura. Je ne peux m’empêcher de penser au chef Masaaki Suzuki qui a fondé le Bach Collegium of Japon après avoir étudié auprès de Ton Koopman, Herreweghe, Kuijken et qui enregistre toutes les cantates de Bach (j’en suis à mon 30me CD-dans la collection BIS) – c’est une merveille de pureté et d’étrangeté célestes. Comme d’habitude, je suis allée saluer quelques personnes : Masato Matsuura m’a très gentiment accueillie et a essayé de répondre à mes naïves questions. J’ai pu dire toute mon admiration à Mira Glodeanu. Et enfin, j’ai un peu interviewé Philippe Maillard pour savoir quels délices il nous réservait la saison prochaine. Par ces réponses alléchantes, je crois bien que je vais doubler ma fréquentation à ses concerts ! Une bonne nouvelle : ce disque de Biber que j’ai acheté il y a deux ou trois ans et que j’écoutais sans grand plaisir, eh bien je m’en délecte maintenant. Comme quoi, chez certains, le plaisir passe par une étude approfondie – une vision – une atmosphère – une explication….

3 réflexions sur « Des Corps du Monde à  la Musique Mystique »

  1. Masato Matsuura m’a envoyé un petit mail ce matin pour me dire qu’il était très heureux de ce billet !
    Quant à  Frédérick Haas, il me semble qu’il jouait des deux instruments : clavecin et orgue (tu vois que le clavecin est posé sur l’orgue sur la photo).
    J’aimerais avoir un cours très long sur l’accord des violons parce que ce doit être passionnant cela.
    Merci de tes commentaires toujours si riches et qui me font très plaisir !

  2. Merci chère Bianca Castafiora, merveilleuse rédactrice entre toutes, pour cette jolie promenade musicale si exaltante !
    De Notre-Dame de Paris au temple des Billettes il n’y a que la Seine à  franchir pratiquement mais tu le fais avec une telle réceptivité au monde environnant qu’on s’y croirait ! Quelle bonne idée de nous suggérer de découvrir ou de nous remettre à  l’écoute des Sonates de Biber, les 15 mystères du Rosaire ( en fait maintenant il en manque encore 5…de mystères, ils ont été ré actualisés ( si on peut s’exprimer ainsi !) nouvellement institués par le Pape "voyageur", si je me souviens bien, ce sont les mystères "lumineux"…qui s’ajoutent aux joyeux, douloureux, glorieux)…la Lumière ça devrait inspirer nombre de compositeurs amoureux de l’art sacré…Qui nous offrira un heureux et génial complément aux sonates de Biber ?…Acte sacrilège ?…mais non ! on a bien complété le Requiem de Mozart,laissé inachevé…
    N’empêche que l’alliance des musiques de Biber et du théà¢tre nô c’est très original ! Tu as su nous traduire au mieux toutes ces émotions d’esthète…
    Au fait l’organiste jouait de l’orgue ou du clavecin ? ou un clavecin "organisé"…je parle de ces instruments hybrides assez rares cependant. Merci encore !
    M.

  3. Quel monde fascinant dans lequel tu vis Castafiora.
    Et quel beau rêve que tu viens de me faire partager.

    Je t’embrasse…

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