(aujourd’hui, je passe volontiers la plume à Jean-Armand) En lisant le résumé de l’action de « Faustus, the Last Night », ce soir au Châtelet, avant la représentation, j’ai failli sortir immédiatement. On ne pouvait imaginer salmigondis plus indigeste. Grand bien m’a pris de rester ! Le spectacle était parfaitement réussi, c’est pourquoi j’écris ce billet.
Sorte de discussion métaphysique, l’opéra de Dusapin ne raconte rien, en tout cas rien de commun avec les opéras traditionnels. On comprend un jeu de pouvoir entre Faustus et les deux démons, on comprend que Faustus abaisse et humilie les démons pour finalement s’incliner lui-même devant le néant, seule réponse à ses interrogations. J’ignore le texte de Marlowe et si Dusapin lui est fidèle. La seule chose importante est que cette action immobile, cette inaction est rendue passionnante par une musique immobile elle aussi. On n’est pas ému, intrigué, remué, diverti par cette musique, on est hypnotisé, par la musique et par un texte qui navigue à la limite de la perte de sens. Oh, des intentions, il y en a, c’est à craindre. Mais Pascal Dusapin les noie volontairement ou involontairement dans le bavardage incohérent des protagonistes. Rien de pire qu’un opéra à thèse, surtout si celle-ci est pleine de bons sentiments (je pense à « Adriana Mater » de Katia Saariaho). La musique est construite sur quelques très longues harmonies : tierce mineure (à 2 voix), quinte diminuée, septième diminuée, accords plus complexes avec septièmes majeures. Cette harmonie est animée par des notes de passage entre les notes constitutives de l’accord. On retrouve le principe de la pédale, marque décidemment caractéristique de notre époque. L’orchestre est limpide, on comprend à tout moment ce qui se passe. Il laisse constamment audibles les voix et ne les écrase jamais bien qu’il paraisse souvent jouer fort. Un tel miracle est sans doute du en partie à la lenteur d’évolution de la musique. De Dusapin, je ne connaissais que Perelà, uomo di fumo. On retrouve des procédés similaires dans Faustus ; la partition de Faustus est plus calme du fait du sujet. La mise en scène a le bon goût de ne pas chercher plus de sens que ce que contient le texte. Elle est sobre et esthétique à la fois, montrant par la position des personnages sur l’horloge géante l’évolution de leur prépondérance. Hélas, si l’opéra devient un classique, il est probable que la grande liberté d’interprétation qu’il offre lui vaudra des « Faustus en Irak », « Faustus à l’asile », « Faustus renouvelé des Tchétchènes », etc. Il n’y eut aucun sifflet à la fin de la représentation. Le compositeur fut particulièrement applaudi. Voici un demi-siècle, une telle approbation de la foule petite-bourgeoise eut constitué l’ultime déchéance. Jean-Armand
Au fait, le prénom de Saariaho, c’est Kaija, pas Katia (je corrige mon texte…).