, Grand concert hier soir à Pleyel.
Ce n’est pas tous les jours qu’un compositeur mondialement connu vient diriger lui-même une œuvre en création à Paris – mis à part notre Boulez national, bien sûr ! 😉
Grand, sec, démarche nerveuse, la cinquantaine bien entamée, petit visage poupin et souriant que souligne un léger collier de barbe blanche, John Adams dirige son LSO en grande formation – le plateau est rempli jusqu’aux bords- avec beaucoup d’énergie, bien carré sur ses jambes écartées, le geste vigoureux mais précis.
Le programme nous annonce d’abord deux préludes pour piano de Debussy, Le vent dans la plaine et Ce qu’a vu le vent d’Ouest, revisités pour orchestre symphonique par Colin Matthews.
Est-ce un hommage que ce compositeur anglais contemporain voulait rendre à notre compositeur français préféré ? Le résultat ne relève pas de l’entente cordiale. La main gauche est vaguement jouée par les cordes, les cuivres font la main droite avec des PA PA PA PA de la trompette, et de temps en temps c’est l’inverse… Bref! Ces pièces sont à peine reconnaissables.
L’orchestre se rattrape ensuite avec les Valses nobles et sentimentales de Ravel. Un son superbe, une exécution d’une grande précision. Il est vrai que Ravel avait pris la précaution en 1912 d’en écrire lui-même l’orchestration pour en faire une musique de ballet, six ans après que la version piano ait reçu un très mauvais accueil du public.
Vient ensuite le troisième et dernier morceau avant l’entracte, un morceau de choix : Le concerto pour piano et vent de Stravinski créée en 1924 à Paris. Trois mouvements, le premier, un largo qui devient rapidement allegro, un second mouvement largo, assez lugubre, et enfin un troisième mouvement « Largo, Agitato, Lento, Stringendo ». Les deux tiers de l’orchestre ont quitté le plateau, il reste les bois, les vents, les contrebasses; le grand Steinway a été tiré au milieu. Notre ami pianiste et blogueur, Jeremy Denk pénètre rapidement sur le plateau, suivi par John Adams. – Tiens, le blog de Jeremy semble ne plus fonctionner ce soir. Heureusement le site officiel de John Adams est toujours là!
Jeremy s’installe, veste sombre et pantalon noir (ou l’inverse?).
Il attend patiemment que l’ouverture soit jouée par l’orchestre, puis il entame une longue promenade rythmée sur le clavier. Quelques accords bien martelés percent le plafond sonore des cuivres. Ces derniers se calment, on entend enfin, on admire le phrasé du pianiste. On regarde à la jumelle s’agiter ces grandes mains. On imagine le petit Stravinski jouant ce concerto pour la première fois à Paris sous la Direction de son compatriote Koussevitzky. Le programme de notre concert raconte cette anecdote : à la Première, Stravinsky eut un trou de mémoire avant d’attaquer le 2e mouvement et demanda à voix basse à Koussevitzky les premières notes. Ensuite, tout se passa bien…
Le premier mouvement se termine et un petit groupe de japonais se met à applaudir frénétiquement au 1er balcon à droite, puis s’arrête rapidement quand Jeremy, immobile sur son tabouret, les fusille du regard. Le chef, lui, s’est retourné avec un large sourire…
Le 2e mouvement reprend sur le même rythme (« L’istesso tempo ma poco rubato »).
C’est lugubre. On est vraiment très loin du Stravinski du Sacre. On est en 1924, plus de dix ans se sont passés. Je me souviens pour l’avoir lu dans la biographie que lui consacre André Boucourechliev que dès les années 20, Stravinski avait résolu d’arrondir ses fins de mois en devenant le pianiste virtuose de ses nombreux concerts, et il travaillait ses classiques. Czerny était son préféré !
Amoureux du piano, il déclarait plus tard, parlant de ce concerto et de son instrument que « sa sonorité nette et claire, ses ressources polyphoniques convenaient à la sécheresse et à la netteté que je recherchais dans la structure de la musique que je composais ». Ce concerto sera la première œuvre qu’il jouera lui-même
Le troisième mouvement se poursuit avec des accents de musique de Broadway, un peu surprenants, puis se termine en reprenant le thème du début qui évoque toujours pour moi la marche funèbre de Chopin.
Je suis content d’avoir entendu ce concerto de Stravinsky. Ce n’est pas l’œuvre mineure que j’avais imaginée à la lecture de maintes critiques.
On en a dit en effet beaucoup de choses.
A sa création, Darius Milhaud déclarait que « ce concerto nous montrait l’avenir, enfin débarrassé de tant d’inutiles complications, avec les fortes traditions de l’architecture de Bach ». Et c’est vrai qu’il y a dans le premier largo un passage qui évoque le contrepoint de Bach.
Bach, Chopin, cela justifie t-il d’apposer à cette musique le qualificatif (légèrement péjoratif) de « néoclassique »?
En tout cas, après l’entracte, la musique n’a plus rien de néoclassique.
L’orchestre s’est réinstallé au grand complet, le piano a regagné sagement sa place au fond à gauche, près des deux harpes et du célesta.
Et la musique de « City noir » de John Adams se fait entendre à Paris, deux jours après Londres, six mois après sa création à Los Angeles.
La demi-heure qui suit est pour moi jouissive.
Musique tour à tour sautillante et joyeuse avec parfois des accents hollywoodiens, envolées de saxophone, longues tirades mélodiques du piano reprises et amplifiées par les cordes et les bois et ponctuées à contretemps par de petits jappements des cuivres.
Suivent des moments de grand tumulte des bois et des cordes, des solos de trombone absolument inouïs.
Puis tout se calme, la musique se fait lente, inquiétante, avec de beaux solos de saxophone et de trompette. A nouveau, l’orchestre déploie une énergie folle qui nous inonde, nous anéantit dans une nouvelle frénésie de coups d’archets, de coups de trompette.
Tout s’arrête, la salle hurle son plaisir.
Beau triomphe. Belle soirée. Vive la musique contemporaine !
PS. Ce matin, 18 mars, quand je poste ce billet, c’est le printemps. Ma tortue, toute terreuse est sortie de son trou hivernal.
Mon humour de mauvais goût mis à part, c’est vrai que les concerts à la Cité de la Musique sont excessivement bon marché. Avec un abonnement, on s’en tire à 12€ par place. A l’opéra Bastille, pour avoir une place qui ne soit pas à trois kilomètres de la scène, il faut compter au moins 5 fois plus… Je ne parlerai pas du Chà¢telet ou de Garnier, où¹ là le risque avec une place bon marché c’est de ne pas voir la scène du tout.
Vous me direz, pour des concerts de musique contemporaine, 12€ c’est encore trop cher puisqu’il y a de nombreux événements gratuits : festival Radio-France, concerts de l’ensemble 2E2M au conservatoire rue de Madrid… (Ca y est, je retombe dans l’humour de mauvais goût).
Merci JAM ! de la part de tous ceux qui ne peuvent pas aller au concert (travail, jardinage, famille, fauché, trop loin, etc.) 😀
Bonjour Arthur,
Effectivement, effectivement, les comptes-rendus sont passés assez bas dans ma pile de priorités, après les activités familiales, l’activité professionnelle (10h de travail + 2 fois 1h30 de déplacement), les cours de musique (5 h par semaine), les concerts auxquels j’assiste, la composition, la participation au forum, quelques autres activités Internet, le dépannage de mon PC qui m’en fait voir, le jardinage, l’écoute de musique, la lecture. Autant dire qu’à ce niveau de priorité, il n’y a plus rien qui sort. 🙂
Et c’est bien dommage, car j’ai assisté à quelques concerts mémorables ces derniers mois.
J’encourage tous ceux qui liront ce billet à aller au plus grand nombre de concerts possibles à la Cité de la Musique : c’est très bon marché, c’est de très haute qualité, et vous n’aurez plus besoin de nos comptes-rendus à Arthur et moi puisque vous aurez assisté aux concerts.
J’étais pour ma part au concert du 27 mars, à la Cité de la Musique. John Adams y dirigeait le Asko/Schà¶nberg Ensemble, un groupe de hollandais spécialisés dans la musique contemporaine. Le programme – 100% Adams – était à la fois plutôt "traditionnel" (pour du Adams), et en même temps bien intéressant et très agréable. Je veux dire par là qu’il a interprété ses œuvres probablement les plus connues, mais que sa musique vaut vraiment d’être connue. Fraiche, spontanée, pas ennuyeuse (même si inspirée en partie de la musique répétitive). Du sport pour les instrumentistes aussi, comme ce "Shaker loops", tout en trémolos, ou encore la Chamber Symphony, avec une partition toute en virtuosité et en pièges rythmiques.
Etait également au programme la (le ?) son of Chamber Symphony, inspiré de la Chamber Symphony, mais moins "extême" et ponctuée d’un peu d’électronique.
La direction, à la fois ample et précise, la gaîté et la vigueur du monsieur sont assez communicatives, et il a été longuement ovationné à la fin du concert. En bref, un très bon moment.
P.S. JAM est allé à un autre concert de John Adams, mais malheureusement il est en pleine grève des comptes-rendus je crains donc que nous n’en sachions pas plus 😉
Très intéressant et vivant cet article: manque plus que l’illustration sonore…
Selon John Adams, " les compositeurs, quelle que soit leur culture, doivent beaucoup à la France, car la France a donné Debussy, Ravel, Messiaen…
Ecoutez-le s’expliquer : http://www.cite-musique.fr/franc...
(voir dernière vidéo en bas de page " Domaine privé, John Adams, le minimalisme américain")
Consultez aussi le programme musical autour de " John Adams" à la cité de la musique : http://www.cite-musique.fr/franc...