Archives de catégorie : Musi-techniques

Pourquoi un piano Steinway ?

En 2022, la salle de concert de Toronto  a acquis un piano de concert Steinway. Le quotidien canadien “The Globe and Mail”  relate les péripéties de cette opération  « à 300 000 dollars » dans un article*  qui exalte les qualités  intrinsèques des grands pianos de la marque. En voici quelques extraits.

Presque personne n’est conscient de la difficulté de choisir un nouveau piano de concert. La plupart des gens s’imaginent que tous les pianos à queue se ressemblent, mais ce n’est pas vrai : il y a de bons pianos, des pianos grandioses, et puis il y a les pianos exceptionnels qui se comptent sur les doigts d’une main. Quand vous dépensez quelques centaines de milliers de dollars de donateurs dans un instrument sur lequel vont jouer les meilleurs pianistes du monde, les plus exigeants, devant des milliers de clients ayant payé leur place, vous voulez être sûr de dénicher un piano d’exception.

“Bien sûr, on peut dire que les instruments sont tous fabriqués de la même façon, les pièces sont les mêmes. Mais ils n’ont pas le même son, pas le même rendu pour qui en joue. Et certains sont uniques.”

L’exigence numéro un est que le piano ait le plus grand registre possible, le plus de couleur, le plus de nuances possibles. Un artiste travaille sur du son ; c’est tout ce que nous avons, souligne-t-il. Il faut que l’instrument vous permette de faire tout ce que vous puissiez rêver en matière de son.” Ou pour dire les choses autrement : “Beaucoup de pianistes s’attendent à avoir ici un Steinway de Hambourg.”

L’une des mille histoires liées au piano de concert nous ramène à Hambourg [dans le nord de l’Allemagne]. En 1850, Heinrich Engelhard Steinweg [qui allait fonder sa fabrique de pianos en 1853 et devenir Henry Engelhard Steinway en 1854] a émigré d’Allemagne pour fabriquer des pianos à Manhattan. À l’époque, il en avait déjà construit environ 400. Mais les pianos étaient devenus par excellence un signe de réussite sociale en Amérique du Nord : avant que les voitures ne fassent leur apparition, un piano était le plus gros achat que pouvait faire une famille, et sa principale source de divertissement à la maison.

Jusque dans les années 1950, avant que la télévision n’évince la musique classique comme passe-temps, le secteur des pianos était le théâtre d’une concurrence féroce : les Steinway de New York bataillaient ferme avec les Baldwin et bien d’autres en Amérique du Nord, tandis qu’en Europe les Bösendorfer et les Bechstein ferraillaient avec les Steinway de Hambourg [la branche allemande de Steinway & Sons, créée en 1880].

Mais les gens de Steinway étaient les rois du marketing. Ils dirigeaient leur société de pianos comme Nike fonctionne aujourd’hui : pendant des décennies, ils ont accordé un traitement de faveur à des pianistes célèbres qui faisaient de la publicité pour le piano de concert Steinway (Franz Liszt, Arthur Rubinstein et Cole Porter, pour ne citer qu’eux). Aujourd’hui encore, les vendeurs de Steinway sont connus pour leur mépris envers des marques moins artisanales, comme les pianos Yamaha, dont le montage est plus mécanisé. Steinway insiste sur le fait que les éléments qui déterminent le son des 2 400 pianos qu’il produit par an (tous sur commande) sont fabriqués à la main. Leurs tables d’harmonie – le diaphragme en bois du piano, qui amplifie le son – sont uniquement en épicéa de Sitka (Alaska). Mais ce n’est pas tout. Ils sont en épicéa de Sitka, débité sur quartier à partir de petits arbres poussant sur des pentes orientées au nord, qui reçoivent moins de soleil et par conséquent croissent plus lentement, en produisant un fil plus dense, ce qui donne une meilleure résonance et davantage de projection quand on joue de l’instrument. L’érable à sucre qui forme les nombreuses couches de la ceinture incurvée, si importante, vient du Wisconsin, un point c’est tout.

Aujourd’hui, les Steinway de Hambourg sont vendus principalement en Europe et en Asie, tandis que New York approvisionne les Amériques. Les Steinway de New York sont généralement considérés comme ayant un son “plus puissant”, “plus sombre”, et des basses “plus colorées”. Quant à ceux de Hambourg, ils sont réputés pour leurs aigus “chantants” et leur “plus grande douceur”, leur timbre “de cloche”.
Il est difficile de mettre le doigt sur ce qui les différencie : la société a unifié bon nombre de ses processus de fabrication. “Aujourd’hui, les pianos sont à 95 % le même piano, reconnaît Thomson, le directeur des ventes de Steinway. Mais il y a des différences.” L’une d’entre elles tient aux 88 marteaux qui frappent les cordes, dont le feutre est pressé à chaud en Europe, mais pressé à froid à New York, ce qui produit une différente densité du son et de “l’intonation”, comme disent les pianistes. Sur un piano de concert, ces détails font toute la différence.
Sur un bon Steinway, on compte théoriquement pas moins de 20 harmoniques, dont la plupart d’entre nous n’entendent que six, tout au plus. D’aucuns discutent des profondes complexités de l’accordage, de l’intonation, de l’harmonie et du rythme, comme des moines du XIIe siècle parlant d’une nouvelle technique en alchimie.

Beethoven a passé le plus clair de sa carrière à composer une musique d’une grandeur et d’une complexité qui dépassait les capacités des instruments de son époque. Lui et les autres romantiques détruisaient littéralement les pianoforte sur lesquels ils jouaient, avant que Sébastien Érard n’ait inventé l’ancêtre plus robuste du piano moderne, au début des années 1800. 

Certes, tous les pianistes ne veulent pas d’un Steinway. La Canadienne Angela Hewitt préfère un Fazioli (un fabricant de pianos italien, fondé en 1981, dont l’instrument est réputé pour son toucher quand on joue de la musique classique de la seconde moitié du XVIIIe siècle) : son propre modèle à 194 000 dollars a été détruit il y a deux ans quand des déménageurs l’ont laissé tomber. Oscar Peterson préférait jouer sur un Bösendorfer 290, dit “Impérial”, dans sa maison de Mississauga [dans l’est du Canada]. Elton John est attaché à la marque Yamaha.
Mais Steinway règne en maître. Près de 2 500 pianistes professionnels, depuis Billy Joel jusqu’à Diana Krall en passant par Lang Lang, ont choisi d’être des “artistes Steinway” – à leur propre demande, sans être rétribués en retour, souligne Steinway. Pour tous les autres, Koerner Hall loue le piano à queue souhaité par l’artiste et le fait livrer pour son concert.

En d’autres termes, choisir un piano haut de gamme est quelque chose de subjectif, voire de romantique.

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*Merci à  Ian Brown auteur de l’article et à Courrier international pour la traduction.

 

Xenakis ingénieur, architecte et grand compositeur

Merci à mon cher chroniqueur et musicologue distingué  de nous avoir signalé ce très intéressant documentaire d’ARTE TV de Stéphane Ghez  consacré au compositeur français d’origine grecque à l’occasion du centenaire de sa naissance. Il nous apprend que Xenakis n’est pas seulement le « mathémusicien  » que l’on raconte habituellement: Ingénieur en béton armé formé en Grèce, il exerce ce métier en France au service de Le Corbusier, tout en se faisant connaitre, avec l’aide de Messiaen, comme compositeur  de la musique « stochastique » à base de concepts mathématiques qu’il programme en fortran, une musique contemporaine totalement novatrice. 

Ce documentaire nous apprend aussi, avec les témoignages de sa fille, Mâkhi Xenakis , du compositeur grec Georges Aperghis et surtout de son disciple,  Pascal Dusapin que sa musique et ses partitions s’inspiraient de ses différents métiers, comme le synthétise Renaud Machard dans son portrait d’un musicien à l’oreille d’architecte :

A l’époque où leurs styles musicaux se sont constitués, Boulez entendait des hauteurs et des combinatoires ; Xenakis percevait des masses et des flux. Et l’une des qualités de l’excellent documentaire Xenakis révolution, le bâtisseur du son, de Stéphane Ghez, est de montrer comment Xenakis a fait cohabiter les acquis de ses métiers. Notamment en superposant à l’écran les graphismes musicaux de sa première partition officielle, Metastasis (1953-1954), pour orchestre, et les plans d’architecte du couvent Sainte-Marie de La Tourette (1956-1960) pour lequel Le Corbusier lui avait laissé une large part de créativité et d’intervention.

Pour ma part je retiendrai la confidence faite par Xenakis à Dusapin : « l’ordinateur n’invente rien, pas de déterminisme dans mes compositions,  c’est l’arbitraire ! L’instinct est le choix subjectif,  le seul garant de la valeur d’une œuvre ».

Xenakis révolution, le bâtisseur du son ,   documentaire ARTE tv 

Ecouter la 10e symphonie de Beethoven ?

On aimerait bien pouvoir l’écouter, cette 10e symphonie. Malheureusement Beethoven est mort en n’en laissant que des fragments épars, des idées préparatoires, telles les 11 premières secondes.

Et pourtant, écoutez  ces 115 secondes de musique :

C’est extrait d’un concert donné début septembre à Lausanne par l’orchestre suisse Nexus. La partition a été écrite par AIBeethoven, une intelligence artificielle du type  deeplearning. Florian Colombo chercheur à l’EPFL   l’a entrainé sur les quatuors de Beethoven pour créer les partitions de  tous les instruments de la symphonie, et la partition finale n’a fait l’objet d’aucune modification a postériori. 

Que faut-il en penser? Ce court extrait est suffisant pour y reconnaitre  le style des quatuors de Beethoven. La composition est bien ficelée ainsi que l’instrumentation et l’orchestration, AIBeethoven a bien travaillé. Mais cela reste une musique d’imitation, sans innovation stylistique, sans le génie créateur de Beethoven.

Pour en savoir plus sur ce projet, lire ici l’article du magazine Sciences et Avenir.

L’électronique musicale classique en déshérence

En 2021, les plus grands violonistes du monde se réjouissent de pouvoir jouer sur les 500 stradivarius que les siècles nous ont légués. Ils jouent la musique ancienne mais aussi la plus contemporaine.

En 1970, quelques petits génies sous la houlette de Pierre Boulez à l’IRCAM ont voulu révolutionner l’instrumentation musicale avec une musique dite « mixte ». Elle mélangeait des sons analogiques puis numériques à ceux des stradivarius et autres instruments classiques de l’orchestre contemporain. Mathématiciens devenus informaticiens autant que compositeurs, ils ont inventé de nouvelles machines à l’IRCAM, des synthétiseurs « à leur sauce », fabriquées à l’unité, soucieux de trouver « leur son » et d’interpréter eux-mêmes leurs œuvres, lors de rares concerts. Non contents, ils inventaient aussi, chacun dans son coin de nouvelles notations musicales aux graphismes plus ou moins abscons, soucieux que ces musiques soient jouées plus tard au plus prés de l’interprétation initiale. Ces partitions sont autant d’œuvres d’art accompagnées de modes d’emploi complexes, œuvres difficiles d’accès, comme souvent dans l’art abstrait.

Hélas, ces compositeurs et interprètes du siècle dernier ont vieillis pendant que leurs machines hors d’usage prenaient la poussière dans les caves de l’IRCAM. Trop peu d’enregistrements de certaines de ces œuvres permettent aujourd’hui d’en prendre connaissance. Leurs partitions parfois éditées à l’époque sont devenues introuvables ou inexploitables au grand désespoir de leurs auteurs, de leurs ayant droits et des éditeurs.  Tel est l’impitoyable destin de cette musique classique électronique, inventée par des apprentis sorciers insouciants de l’avenir.(*)
Autant de soucis que l’usage des stradivarius épargnent aux musiciens et mélomanes de notre 21e siècle.

(*) Voir l’enquête de Pierre Gervasoni dans Le Monde du 7 mai.