Opéra néoclassique en trois actes d’Igor Stravinsky, sur un livret de W.H Auden et Chester Kallman,
The Rake’s Progress – Prod. de Robert Lepage – La Monnaie, avril 2007. The Rake’s Progress est donné en ce moment même à Covent Garden, et j’ai pu y assister !
Cet opéra créé en 1951, et dont le livret est directement inspiré de Don Giovanni, est une sorte de pastiche. On peut en lire l’argument ici
et y voir des photos conformes à la mise en scêne présentée ce 18 juillet à Covent Garden .
Sous la direction de Thomas Adês, dans une mise en scêne de Robert Lepage, une chorégraphie de Michael Keegan-Doolan, l’opéra a été interprété dans la distribution suivante:
Patricia Bardon as Baba la Turque,
Peter Bronder as Sellem,
Charles Catronovo: Tom Rakewell,
Jonathan Coad: l’infirmier de l’asile,
Darren Jeffrey: Trulove (le pêre),
Sally Matthews: Anne Trulove,
John Relya: Nick Shadow,
et Kathleen Wilkinson: la Mêre l’Oie. Pour plus de détails sur la mise en scêne de Robert Lepage : voir ici . Je ne vais à l’Opéra que de temps en temps et je n’en regarde qu’occasionnellement dans l’année. Jusqu’à présent j’ai toujours cru que c’était un genre dont la médiocrité était absente, quelque soit l’argument, à condition que l’interprétation et la mise en scêne soient de qualité. Quels que soient le livret, l’époque ou le choix de mise en scêne, je suis toujours ressorti « soufflé » à la fin. Même Simone Boccanegra de Verdi, mis en scêne de façon controversée par Johan Simons, m’avait donné cette impression. Sa mise en scêne était à la fois ultramoderne et dépouillée – les acteurs jouaient même certaines scênes devant un rideau baissé – mais cela servait l’œuvre et permettait de tirer parti de son livret pourtant difficile à exploiter, car il est tout, sauf cohérent.
Je me souviens que le malheureux metteur en scêne avait essuyé des sifflets. Cela m’avait choqué, j’avais trouvé ça injuste et déplacé de la part des « siffleurs », d’autant que le spectacle m’avait ému et même retourné (et une bonne partie du public présent à l’Opéra Bastille ce soir là avait éprouvé la même chose). Bizarre ? Vous avez dit bizarre ..rie Pourtant, The Rake’s Progress est une vraie bizarrerie, du moins est-ce mon avis. Ce Vendredi, à Covent Garden, tout était pourtant aussi parfait qu’à l’accoutumée dans cette salle prestigieuse. Des musiciens incroyables (l’orchestre de l’opéra royal, en l’occurence), des acteurs tout aussi incroyables (ces artistes me fascinent par leur talent), une mise en scêne três audacieuse et pleine d’astuces. Ce sont vraiment le livret et la partition qui pour la premiêre fois m’ont fait me dire que « là , vraiment, ça ne marche pas ! »
Habituellement, Stravinsky me surprend. Il parvient toujours à glisser des choses que je trouve complêtement inattendues dans sa musique, et qui m’incitent à en « redemander » juste aprês m’en être remis… Or, pour cet opéra, c’est tout le contraire qui s’est produit ! Un résultat plat et décevant : Chaque scêne est évidemment écrite à la perfection, le plan est propre et même impeccable, mais le résultat, assez plat. Des passages attendus, sans surprise, sans dissonnance, sans tension ni détente, sans le moindre risque. Un côté easy listening qui devient vite assez lassant.
Seul l’acte III, de la scêne de la malédiction aux scênes de l’asile, m’ont donné une excellente impression, riche et parfois tendue. Comme si Stravinsky avait commencé son écriture par là , avant de se demander comment il allait écrire la suite, et reléguer les autres scênes et actes à du remplissage. Une écriture enchevêtrée et difficile à suivre Partout ailleurs, les rares moments forts se trouvent cassés par l’écriture des três nombreux duos, réalisés sous forme de solos superposés extrêmement difficiles à suivre. Leurs rythmes s’entrechoquent et s’annulent au lieu de se valoriser mutuellement. Les phrases de longueur différente et au rythme changeant , chantent en même temps, sans qu’il soit possible de les distinguer avec profit l’une de l’autre . Il en ressort une impression désagréable de brouillon, de brouillage sonore. La faute à qui ?…au livret !? Il faut dire que le livret n’est pas des plus faciles à mettre en musique.Les répliques souvent três longues et sans rebonds, détaillent l’histoire au cas où¹ l’on ne la comprendrait pas. Tout doit y être dit explicitement, aucun doute sur l’interprétation ne doit subsister. Lorsque qu’un moment fort survient, on l’explicite et on le souligne plutôt que de laisser le spectateur le vivre librement. Et au cas où¹ cela ne serait pas suffisant, le dernier acte est suivi d’une explication détaillant la morale de l’histoire. Chaque personnage vient expliquer la signification de son rôle et révéler de façon explicite le message véhiculé . Le spectateur sait donc ce qu’il doit retenir, et comment l’interpréter, comme s’il suivait un mode d’emploi. C’est effectivement le cas dans Dom Juan et The Rake’s Progress s’en inspire, mais ça ne fonctionne malheureusement pas, faute d’humour ou bien faute de prise de distance avec l’œuvre source. Du bon goût ?… Enfin, et je ne sais si c’est imputable au livret ou à la mise en scêne, c’est aussi la premiêre fois qu’à l’opéra je voyais un manque de bon goût. Je ne parle pas du fait de heurter, ce qui ne me dérange pas du tout (comme par exemple, Lady McBeth de Chostakovitch, qui est d’une dureté incroyable), mais bien d’un certain manque de réserve ( « quel manque de classe ! » diraient certains ) d’un humour un peu militaire, lorsque par exemple, Baba la Turque retire son peignoir pour aller dans sa piscine, et que des touffes de poils sont attachées à ses bras et ses jambes, pour bien montrer à quel point elle est repoussante – on avait bien compris qu’elle l’était,en découvrant son visage barbu. Un petit temps d’arrêt permettait au public de rire un peu, ce qui donnait à la scêne un côté vaudeville.
Les réactions du public : Tout ceci n’est qu’une opinion évidemment. Pour ceux qui se demandent quel a été l’accueil de la salle, je l’ai trouvé en partie courtois et en partie enthousiaste. Il n’y a pas eu de réelle ovation contrairement à ce qui se produit souvent. L’acteur le plus applaudi étant John Relya (Nick Shadow), Sally Matthews (Anne Trulove) et Charles Catronovo (Tom Rakewell) n’ont reçu que des applaudissements « normaux », bien que sincêres. Patricia Bardon (Baba) n’a reçu que de légers applaudissements. Cet accueil du public reflête plutôt sa réaction envers la piêce qu’envers les acteurs eux-mêmes. John Relya était tout à fait excellent. Quant à Sally Matthews et Charles Catronovo, il est certain que la piêce ne leur a tout simplement pas laissé l’occasion de réellement briller, certainement à cause des duos dont je parlais plus haut et de la quasi absence de moments forts, écrasés à la fois par les situations, la musique et les répliques. Patricia Bardon, la malheureuse, n’avait pour ainsi dire aucun rôle en héritant de « Baba la Turque ». Côté musique, l’accueil du public a été identique . Je crois que la partition est plus à critiquer et même à blà¢mer que les musiciens et leur chef, car ce qu’ils ont interprété ce Vendredi 18 juillet était parfait. Cette représentation fut tout de même plaisante et intéressante, malgré ce que peut suggèrer ce billet . J’estime devoir ce bon moment musical au talent des interprêtes, du metteur en scêne, et des designers, bien plus qu’à l’œuvre proprement dite. Vincent Poulain
Salut JLF,
Oui, je crois qu’elle est passée à Garnier effectivement.
Sinon, ce n’est pas tant la distance par rapport au sujet, mais bien la façon dont c’est fait.
La partition, produisant une musique trop générique, neutre, à mon gout. La mise en musique des dialogues, parfois difficile à écouter car les voix s’écrasent mutuellement, au lieu de se compléter. Des choses comme ça…
Le livret lui même ne m’a pas séduit car trop "explicite". Rien n’est suggéré, tout est dit… et longuement dit, comme si on avait peur que l’auditeur ne comprenne pas. On lui donne le manuel, comme ça on est certain qu’il peut suivre.
Sinon, les pilosités en question relèvent de la mise en scène oui. C’est peut être la seule chose de cette mise en scène qui ne m’ait pas plu, car sinon elle est plutôt de nature à relever tout ça. Mon amie a déploré les décors et le climat western mêlé d’années 50, mais résolument Américain (des puits de pétroles, des revolvers à la ceinture, des chapeaux typiques de l’Amérique du XVIIIè siècle, des bordels à allure ClintEastwoodesque… et des voitures des années 50, des caméras à double bobine aussi), tandis que le livret n’a de cesse de se référer à Londres (c’est là que c’est supposé se passer). Ca m’a moins gêné qu’elle, mais je comprends que ça puisse déranger.
Je ne savais pas pour Stravinsky et l’humour, dis m’en plus? C’est étonnant car tout dans cet opéra suggère que c’est fait avec humour… tandis qu’effectivement il est tout sauf perceptible 🙂
Cette œuvre passait à Paris (Garnier) ce printemps, si je ne m’abuse? je me rappelle avoir eu envie d’y aller, au vu de l’affiche.
En fait, ce que tu reproches à cette musique, c’est sa relation au sujet : Trop ou pas assez de distance par rapport au sujet? Le livret a t-il été écrit en même temps que la musique? Qu’en pensait Stravinsky?
Stravinsky n’était pas réputé pour son humour…
Concernant les poils choquant de ta "sorcière", cela relève de la mise en scène, non?
Ceci étant, je ne connais pas du tout cet opéra, mais ce que j’en ai lu ne laissait pas penser que c’était LE chef d’œuvre du compositeur.
N’empêche, j’aimerais bien voulu le voir ! 🙂