Les Pêcheurs de Perles : un chef d’ œuvre à  redécouvrir

(Notre rédacteur invité Yves Rinaldi signe cette chronique).

Créé le 30 septembre 1863 à l’Opéra Comique, « Les Pêcheurs de Perles » est un opéra en trois actes d’un jeune compositeur âgé d’à peine 25 ans : Georges Bizet. La France, lancée en pleine aventure coloniale, connaît une vague orientaliste dans les arts, juste retour de l’exploration et de la découverte d’autres horizons et d’autres cultures. On ne dira jamais assez combien les expositions universelles qui vont se succéder à partir du début de la décennie 1850 vont jouer un rôle décisif dans l’évolution des arts européens et français

notamment. 

Georges Bizet

Avec « Les Pêcheurs de Perles » dont l’action se situe au Sri-Lanka alors dénommé Ceylan, Bizet inaugure un genre qui connaîtra son apogée avec « Lakmé » (1883), célèbre opéra de Léo Delibes qui se déroule dans les Indes colonisées par les anglais. Les deux opéras ont en commun de jeter un regard nouveau sur le phénomène de l’intolérance religieuse – hindoue en l’occurrence -, hélas toujours d’actualité. Autant le texte mis en musique par Delibes en fait le moteur dramatique de son œuvre, autant pour les deux librettistes de Bizet, Michel Carré et Eugêne Cormon, l’interdit religieux articule l’action au second plan, l’amour et l’amitié demeurant les fils conducteurs de cet opéra. Le thême de l’intolérance religieuse n’était pas nouveau. L’opéra « La Juive » d’E-F.Halévy l’avait déjà  courageusement mis en scêne en 1834, suscitant l’admiration des plus grands compositeurs de l’époque, Berlioz et Wagner pour ne citer qu’eux. L’Opéra de Paris a eu la judicieuse idée de le reprogrammer cette saison derniêre, histoire de nous rappeler que « La Juive » fut un des plus grands succês de la scêne lyrique jusque dans les années 1930. L’opéra de l’amitié triomphante Mais c’est le thême de l’amitié entre les deux protagonistes masculins, Nadir (ténor), jeune pêcheur et leur chef Zurga (baryton) qui est le véritable sujet de l’œuvre. Tous deux amoureux de Léà¯la (prénom pas du tout hindoue mais l’époque n’est pas três regardante sur la précision culturelle d’un orient encore lointain et confus) et s’étant autrefois mutuellement jurés de renoncer à  cet amour par fidélité à  leur amitié, Nadir et Zurga vont redevenir rivaux lorsque le premier, « parjure à  son serment », retombe amoureux de la belle dont la vision soudaine ravive sa flamme, suscitant la haine jalouse de son ami. Mais le dénouement heureux de l’histoire fera triompher l’amitié et le pardon : Zurga permet aux deux tourtereaux de s’enfuir, alors qu’ils s’apprêtaient à  subir le supplice du bà»cher pour crime de profanation du « temple saint », Léà¯la, promise au culte de son dieu, ayant enfreint ses voeux sacerdotaux pour le beau Nadir. C’est d’ailleurs pour un « crime » semblable que la Lakmé de Delibes sera vouée aux gémonies et contrainte au suicide par son intégriste de brahmane de pêre.

Le livret initial prévoyait une issue tragique mais une seconde version, celle jouée depuis plus d’un siêcle, fait triompher l’amitié et l’abnégation de Zurga qui pourtant avait fait emprisonner les deux amoureux. Pour les épargner, il n’hésite pas à  incendier le temple du village, histoire de provoquer une diversion. Enfin un opéra dramatique mais pas tragique ! Bizet se ravisera avec « Carmen ». Une suite ininterrompue d’arias Le grand apport de cet opéra réside dans sa densité musicale. Là  où¹ les compositeurs se contentaient d’arias entrecoupées de récitatifs à  l’intérêt musical moyen, Bizet compose un opéra par morceaux, forme la plus usitée du temps – la mélodie continue wagnérienne n’ayant pas encore conquis le genre- mais sans aucun récitatif (il reviendra en arriêre avec « Carmen » en réintroduisant des dialogues parlés entre les arias). L’écoute de cette œuvre révêle sa grande unité : tous les mots sont chantés et ce n’est qu’une suite ininterrompue d’airs de grande qualité, Bizet démontrant déjà  son génie de la formule mélodique. Le choeur des villageois joue un rôle de tout premier ordre, tant sur le plan dramatique que sur le plan musical, intervenant à  de três nombreuses reprises dans l’action et occupant à  maintes reprises le devant de la scêne vocale. Quant à  l’orchestre, il développe une puissance symphonique toute nouvelle dans l’opéra français qui le cantonnait jusque là  à  une fonction de fond sonore accompagnant les prouesses des chanteurs. Il faut dire que Bizet venait de connaître la consécration avec sa « Symphonie en Ut ». Malgré toutes ces qualités, « Les Pêcheurs de Perles » reçut un accueil indifférent. Le malheureux Bizet connaîtra une gloire exclusivement posthume (c’est une grande spécialité française que la « nécrolatrie »), mourant brusquement d’une rupture d’anévrisme lors d’une répétition de « Carmen », opéra également boudé par le public de l’époque. Et pourtant, quelle postérité!

Georges Prêtre et Alain Vanzo (1928-2002)

Deux arias ont notamment consacré « Les pêcheurs de Perles » : le duo Zurga-Nadir du Premier Acte intitulé « Au fond du temple saint » et « La Romance de Nadir » chef d’œuvre de pureté mélodique requérant de la part du ténor un sens des nuances rare.
La version qu’en a donné le regretté Alain Vanzo sous la direction de Georges Prêtre en 1978 (EMI CLASSICS) est empreinte du charme un peu désuet de cette diction « à  la française » qui fit les beaux jours de nos gloires d’antan.
A redécouvrir impérativement !
Yves Rinaldi

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