Vendredi soir était ma dernière soirée de la saison à la salle Pleyel, avec le Symphony Orchestra of New Russia dirigé par Yuri Bashmet et Gidon Kremer au violon. Au programme le concerto pour violon N°4 de Alfred Schnittke, en première partie et la 5e symphonie de Piotr Ilitch Tchaïkovski après l’entracte.
Le concerto de Schnittke avait été créé en 1984 pour son dédicataire, Gidon Kremer lui-même. Au moins est-on sûr que son interprétation était conforme au projet du compositeur. 😉
Comme toujours, cette musique gagnerait a être écoutée plusieurs fois mais aussi « visionnée » en concert– si tant est que l’on en ait le courage et les moyens… Car elle fait appel à la mémoire de l’auditeur par ses emprunts, ses collages de thèmes tonals (Schubert, Malher) ou dodécaphoniques ou simplement chromatiques. Et elle est aussi éminemment théâtrale, elle se veut même dramatique avec ses « cadences visuelles » placées à la fin du 2e mouvement et au final dans le 3e : des plages à la portée symbolique nous dit le programme où les sons du soliste sont progressivement dématérialisés pour se perdre en un geste visuel désespéré, le violoniste étant acculé au silence par l’orchestre, comme une voix que l’on étouffe.
Effectivement, le violon est carrément inaudible une bonne partie de la pièce, couvert par les cuivres, donnant l’impression permanente que « tout se déglingue ». Et l’on voit en effet par deux fois ce pauvre Kremer qui balance son archet dans les airs, regardant le public d’un air malheureux – et se retournant (avec ostentation, car le public est devant et derrière lui, on est salle Pleyel :-), l’air de dire : quelle galère, que fais-je ici? On a envie de lui répondre : et nous, alors !
Mais ce serait injuste, car certains ont trouvé cette œuvre très intéressante, avec ces dissonances inquiétantes, ces multiples clusters joués au violon, ces « cadavres maquillés », notamment dans ce troisième mouvement plus tonal, plus mélodique où le soliste joue sans arrêt, (sauf quand il fait son cinéma, archet levé); avec ce groupe des cordes de l’orchestre quasiment muet, pendant que cuivres et bois s’en donnent à cœur joie accompagnés par un section de percussions abondante, piano savamment « préparé », clavecin, celesta, etc. « Au moins n’est-ce pas ordinaire », diront les laudateurs, et l’on ne peut qu’être d’accord.
La deuxième partie du concert était donc consacré à la musique russe de Tchaïkovski. Ce fut l’occasion pour l’orchestre de nous montrer tout son savoir faire, un son joué au millimètre, avec un chef dirigeant sans baguette de ses seules mains mais avec ses dix doigts. Bel orchestre !
Je croyais ne pas connaître cette 5e symphonie de Tchaïkovski, mais je me trompais, certains des thèmes sont connus; notamment l’andante cantabile par lequel débute le 2e mouvement, et la valse du 3e mouvement. Ce qui fait l’intérêt de cette symphonie, c’est l’entrelac que crée le compositeur avec ce thème récurrent qu’il met à toutes les sauces dans chacun des trois mouvements. C’est aussi, selon moi ce qui en fait la limite : cet effet voulu de répétiton lasse. Heureusement, chez les Russes, tout est prévu pour réveiller l’auditoire : l’orchestre de la Nouvelle Russie nous gratifie de quatre nouveaux morceaux en rappel, dont les Danses polovtsiennes, certains particulièrement enlevés, un extrait du « Nez » de Chostakovitch et surtout, à la fin un « Tico tico » du carnaval cubain endiablé avec une orchestration somptueuse. Enfin, de la joie ! En voici une illustration sur YouTube.