[Recyclage d’un billet daté du 20 mars 2008]
Hier soir, j’étais au Grand Rex, un cinéma classé monument historique avec sa salle mythique de 3000 places; décoration arts déco façon 1930 avec ciel étoilé, colonnades grecques en carton pà¢te, fauteuils club très confortables, une scène plus grande que celle de l’Opéra (*)… Pas de film comme c’est habituel ici ni de spectacle de music-hall. Une sono três sophistiquée en fond de salle servie par des ingénieurs du son britanniques. Sur scêne, une foule d’instruments plus ou moins hétéroclites : outre ceux habituels de l’orchestre symphonique, un orgue Hammond, un verrophon (cet instrument fait de tubes de verre dont on joue en les frottant avec des doigts mouillés et dont le son rappelle les Ondes Martenot), des claviers (2 Tritons de chez Korg), un piano à queue, un vibraphone, kalimba, etc.
Il est 20H30, on attend toujours sagement depuis 20H00 que le spectacle commence; la salle continue de se remplir lentement, patiemment, beaucoup d’étrangers, anglais, allemands, polonais, beaucoup de gens invités… Les spectateurs qui ont payés leur place, les habitués des salles de concerts classiques arrivés à l’heure par habitude montrent à peine leur impatience. Drôle d’ambiance faite de ferveur; on se croirait dans une église mexicaine un jour de Pâques, juste avant la messe ! Enfin, à 20H45, les musiciens envahissent la scêne silencieuse, dans la pénombre; seules les ampoules des pupitres éclairent (mal) la salle. Suivent une quarantaine de chanteurs réunis en chœur en fond de scène.
Enfin, un grand type – chemise et pantalon noirs, crâne luisant dans la maigre lumière d’un projecteur – monte sur l’estrade, lève sa baguette, et tout doucement la musique nous envahit, toujours dans la pénombre. C’est « Silence, Night and Dreams« .
C’est une « suite de chansons apparaissant dans un rêve » nous dit le programme qui reprend des textes en latin et en anglais de la Bible, de Jean-Paul II et d’un poète polonais.
Zbigniew Preisner, le Compositeur dirige lui-même son œuvre interprétée par l’orchestre Colonne et les choeurs Alain Palma, pour cette premiêre partie du spectacle. Un peu soporifique diront certains… musique três lyrique qui nous fait rêver avec le compositeur, agréable détente, dirais-je.
Cette première partie du spectacle se termine dans un murmure. Preisner, visiblement ému, salue le public, sans un mot, au coté de la chanteuse, Teresa Salgueiro. La deuxième partie reprend les « airs » plus connus des grands films dont Preisner a écrit la musique et qui l’ont rendu célêbre (le Décalogue, Pour l’amour d’une femme, la double vie de Véronique, Un secret, Trois Couleurs, etc.). Cette fois c’est un jeune chef plein d’une fougue démonstrative, Kriss Russman qui est à la tête de l’orchestre. Je ne peux m’empêcher d’essuyer quelques larmes d’émotion quand la voix de l’immense cantatrice Elzbieta Towarnicka retentit dans la pénombre et chante le Concerto in E minor du Film « La double vie de véronique », accompagnée par les choeurs Alain Palma. C’est beau, tout simplement ! A la fin, Preisner remonte sur scène à l’invite du Chef. Manifestement ravi, il nous dit – dans un bon français – sa reconnaissance et son émotion face à l’accueil enthousiaste que le public français réserve à sa musique, jouée ce soir en concert avec un « vrai » orchestre – qu’il remercie aussi.
Et je ne puis m’empêcher de songer à tous ces musiciens frustrés composant surtout pour le cinéma, Ennio Morricone, Leonard Rosenman (mort récemment), Korngold ou Herrmann dont les musiques pour film les ont rendus célèbres, mais qui ont souffert du dédain manifesté pour leur catalogue de musique classique pour concert. Comme le souligne Renaud Machart, dans un article récent, en fait, ils approuvent tous, au moins implicitement, la remarque provocatrice d’Igor Stravinsky selon qui
la seule fonction réelle de la musique de film, c’est de nourrir le compositeur
(*) Je conseille vivement la visite des « Etoiles du Rex » : coulisses, arrière scène, et les combles de ce cinéma…; c’est moins cher et plus intéressant qu’une séance de cinéma ordinaire ! 😉