Merci à mon cher chroniqueur et musicologue distingué Renaud Machart de nous avoir signalé ce très intéressant documentaire d’ARTE TV de Stéphane Ghez consacré au compositeur français d’origine grecque à l’occasion du centenaire de sa naissance. Il nous apprend que Xenakis n’est pas seulement le « mathémusicien » que l’on raconte habituellement: Ingénieur en béton armé formé en Grèce, il exerce ce métier en France au service de Le Corbusier, tout en se faisant connaitre, avec l’aide de Messiaen, comme compositeur de la musique « stochastique » à base de concepts mathématiques qu’il programme en fortran, une musique contemporaine totalement novatrice.
Ce documentaire nous apprend aussi, avec les témoignages de sa fille, Mâkhi Xenakis , du compositeur grec Georges Aperghis et surtout de son disciple, Pascal Dusapin que sa musique et ses partitions s’inspiraient de ses différents métiers, comme le synthétise Renaud Machard dans son portrait d’un musicien à l’oreille d’architecte :
A l’époque où leurs styles musicaux se sont constitués, Boulez entendait des hauteurs et des combinatoires ; Xenakis percevait des masses et des flux. Et l’une des qualités de l’excellent documentaire Xenakis révolution, le bâtisseur du son, de Stéphane Ghez, est de montrer comment Xenakis a fait cohabiter les acquis de ses métiers. Notamment en superposant à l’écran les graphismes musicaux de sa première partition officielle, Metastasis (1953-1954), pour orchestre, et les plans d’architecte du couvent Sainte-Marie de La Tourette (1956-1960) pour lequel Le Corbusier lui avait laissé une large part de créativité et d’intervention.
Pour ma part je retiendrai la confidence faite par Xenakis à Dusapin : « l’ordinateur n’invente rien, pas de déterminisme dans mes compositions, c’est l’arbitraire ! L’instinct est le choix subjectif, le seul garant de la valeur d’une œuvre ».
Xenakis révolution, le bâtisseur du son , documentaire ARTE tv
Tout cela est vrai et mérite d’être rappelé. En particulier, je rappellerai que, lors de l’exposition universelle de Bruxelles, le Xenakis architecte avait conçu, et en tant qu’assistant de le Corbusier, le splendide pavillon Philips avec des surfaces que l’on appelles « réglées » -on peut les décrire dans l’espace comme engendrées par une droite s’appuyant sur une courbe, et notamment le « paraboloïde hyperbolique » , cependant que le compositeur Varèse écrivait son « poème électronique » conçu pour être émis par un grand nombre de haut-parleurs disséminés dans l’espace, ce qui implique une interaction entre musique et architecture. Xenakis n’en demandait peut-être pas tant et il y a gros à parier que cette époque de création interdisciplinaire fut un des grands moments de sa vie artistique. Malheureusement, le Belges, qui ont conservé l’Atomium qu’ils ont le plus grand mal financier à entretenir, ont cru bon de démolir le pavillon qui aurait coûté certainement infiniment moins cher? Ceci dit, il faut éviter de confondre les causes et les conséquences, la réalité et les apparences, la création et ses outils. Des critiques certes méritoires et bien intentionnés mettent au premier plan, avec un vocabulaire scientifique nécessairement approximatif donc discutable, les outils mathématiques utilisés par Xenakis pour structurer une musique conçue comme formée d’une multitude d’événements indépendants ou présentant une certaine dépendance. de plus, l(usage du tout récent ordinateur pour mener ces calculs statistiques rajoutait du piment à leurs articles. mais bon Dieu, quelle importance que ces calculs soient fait sur ordinateur, à la règle à calcul ou à la main? Souvenons nous de la Renaissance et du baroque. Des spéculations complexes et des calculs si laborieux pour l’époque étaient impliqués par la question du tempérament, chez Zarlino et mille autres dont Descartes, qui avait de fait commencé dès l’Antiquité avec Pythagore (pour qui cette question était du même ordre que le carré de l’hypoténuse), et débouché avec l’évidence revendiquée des deux livres du Clavecin Bien Tempéré de J.S. Bach et tout le substrat théorique qu’il implique. Cela conduit à voir en Xenakis un mathématicien faisant des exercices. ceci était complètement faux. Simplement, il avait besoin d’outils théoriques pour réaliser concrètement sa musique, comme Zarlino et consorts en avaient besoin d’autres pour faire jouer ensemble dans dissonances perceptibles clavecins, orgues, cordes, flûtes à bec, saqueboutes et autres.
L’art (architecteur comprise vue comme geste esthétique) a une certaine tendance, au moins par impulsions successives et décantations conséquentes, à plus de complexité et interagit de ce fait plus ou moins avec l’esprit mais aussi les outils concrets disponibles à son époque. Il faut voir en Xenakis un créateur, essentiellement compositeur mais multidisciplinaire, tout tendu vers le progrès et l’avenir, et c’est cette intention artistique et esthétique qui est première. Que, par chance, sa formation lui ait donné les moyens de ses ambitions voire l’intuition de certaines voies particulières, voilà qui est extrêmement heureux mais contingent.
Xenakis n’était pas un mathématicien comme tous ceux qui pullulent dans nos universités (doublé d’un grand combattant antifasciste). Ce fut un très grand créateur artistique du XX° siècle, et c’est cela qui fait sa gloire. A jamais.