Journée américaine hier à Paris, avec John Adams au Châtelet dans son Opéra, et Steve Reich à Pleyel.
Il fallait choisir et comme j’avais écouté John Adams plusieurs fois en concert, j’ai choisi le concert de S.R. avec, au programme, Clapping Music, Duet, Four Sections et après l’entracte The Desert Music
(Nota: Ce concert a été diffusé en direct sur www.citedelamusiquelive.tv, medici.tv et concert.arte.tv, où on peut encore le voir )
Mais pour commencer la soirée, à 18H30 petite causerie-interview de 3/4 d’heure du Compositeur en avant concert.
– John Adams ? C’est un bon ami; nous sommes de la même génération, une génération qui a ouvert les fenêtres fermées des conservatoires en faisant entrer le siècle, ses chansons, ses mélodies, ses rythmes dans nos musiques. En quoi, comme beaucoup de nos prédécesseurs, on n’a rien inventé.
(Et de nous citer avec une érudition encyclopédique une longue liste de compositeurs et de leur emprunts à leurs contemporains – de Pérotin à Ligeti en passant par Beethoven et bien sûr Bach et Bartók).
– Pas de problème de droits d’auteur à l’époque ! Mais John ne fait pas la même musique que moi. Moi je suis un compositeur baroque, lui est un romantique, un symphoniste. Il fait des choses incroyablement belles avec l’orchestre. Moi je ne sais pas faire,j’ai l’impression d’écrire avec une main derrière le dos. Je n’ai d’ailleurs écrit qu’une seule œuvre pour orchestre (The Desert Music), et elle est très rarement jouée car très difficile, les musiciens ne l’aiment pas. Je l’ai entendue en Allemagne récemment, depuis 30 ans qu’elle a été écrite. J’ai bien aimé, oui, rétrospectivement je suis fier de l’avoir écrite !
– Est-ce que je tire mon inspiration des grands évènement du siècle (11 septembre, etc.) Absolument pas !!!
J’ai écrit The Desert Music parce que j’aime par dessus tout ce grand poète qu’est le Docteur William Carlos William, un médecin des pauvres qui a exercé toute sa vie dans le New Jersey. Je l’ai découvert à 14 ans, attiré par son nom qingulier; en forme de boucle – je m’en suis d’ailleurs inspiré pour structurer The Desert Music. (voir l’analyse que S.R. nous en livre dans le Programme très riche du concert.)
Pour Clapping Music, l’idée m’en est venue à la sortie d’un concert en Belgique dans les années 70s. Après le concert, l’organisateur nous a emmené dans un café où on jouait du flamenco. Du flamenco en Belgique? Pourquoi pas, c’est lui qui payait… (rires). On est donc entré. Il y avait un type qui jouait de la guitare… Nul ! (rires) Puis une chanteuse… nulle ! (rires) Et tout à coup ils se sont mis à taper des mains, et là c’était génial! Je me suis dit que taper des mains cela pouvait faire de la musique quand les instruments de l’orchestre ne sont pas arrivés, ou qu’il y a une panne d’électricité (rire). C’est la dernière pièce que j’ai écrite en faisant intervenir le décalage de phase (voir cet autre billet sur ce processus utilisé dans Drumming).
– Duet a été écrit pour mon ami Yehudi Menuhin. Il était trop vieux à l’époque pour la jouer lui-même… C’était un très grand musicien, mais surtout un homme de cœur admirable.
– En quoi ma formation de percussionniste a influé sur ma musique? (notez que j’ai fait aussi du piano). Et bien par exemple, je me suis rendu compte que le son circule lentement dans l’orchestre. Ma musique nécessite que le chef et les musiciens de l’orchestre entendent le son de façon synchrone, sans le décalage rythmique que l’on perçoit quand les percussion sont en fond de scène comme c’est habituel. J’ai donc fait disposer les percussion devant le chef, et le reste de l’orchestre tout autour, comme ça tout le monde joue en même temps !
Quelques bons mots et autres anecdotes plus loin, arrive l’heure du concert.
Nous retrouvons notre compositeur sur scène en compagnie du chef, dans leur duo de mains frappantes, Clapping music.Ce duo dure quand même 5 minutes, le temps que leurs mains battent à nouveau au même rythme après le décalage de phase imperceptible qu’introduit S.R., tout au long de la pièce. Je suis trop loin pour voir si leur mains sont couleur violette au final!
Voici une video de Clapping music avec 10 musiciens frappeurs :
Les autres pièces, duet et Four sections (dont on lira l’analyse par leur auteur dans le programme) sont également intéressantes et témoigne de l’art de S.R. dans ce que l’on appelle la musique minimaliste (il n’aime pas ce qualificatif, d’ailleurs, sans nous dire pourquoi.
Mais c’est The Desert Music, cette grande pièce symphonique avec chœur qui emporte définitivement l’adhésion, servie par un orchestre exemplaire. Un grand moment de musique, une œuvre grandiose (un peu saoulant, à la fin) avec ce chœur en arrière plan qui chante des extraits soigneusement choisis par S.R. du poème éponyme du bon Docteur et poète William Carlos William (lire le programme pour comprendre la genèse et la structure de l’œuvre).
J’ai été frappé par l’harmonie toute simple, finalement très classique de cette pièce, à base de grands accords réguliers hachés par le rythme.
Un concert exceptionnel dira mon voisin. Le compositeur sera tout aussi enthousiaste, qui revient en courant du fond de la salle pour embrasser le chef et ses interprètes, sous les longs applaudissements de la salle.
Compte-rendu très intéressant de ce magnifique concert Steve Reich ! merci d’avoir
mis le lien arte.tv qui permet de le réécouter et de le visionner encore aujourd’hui.
Dans « Clapping music », on entend moins la partie « frappée » par Reich je trouve, le jeu du chef ( Järvi en l’ocurrence ) est plus percutant , un peu écrasant .
le Duet , l’hommage à Menuhin, est très bien interprété, d’autant qu’il est dirigé par Kristjan Järvi ( quel sourire !) Les autres pièces du concert sont plus imposantes, mais s’écoutent aussi avec plaisir, et facilité, pour des pièces contemporaines et …américaines 🙂 d’aucun y décélerait , de part l’omniprésence des cordes, un certain romantisme…
la prise de son est excellente, on s’y croirait Salle Pleyel !!!
Emilie