J’avais repéré ce petit groupe d’anglophones qui dînaient tranquillement au fond du restaurant. Ils sont partis subitement à 19H30, sans prendre de dessert. J’y ai vu le signe qu’ils allaient eux aussi au concert et qu’ils voulaient arriver en avance… Je ne pensais pas les retrouver sur scêne, d’abord l’homme à la petite moustache grise, Eric Kamau Gravatt derriêre sa batterie; Gerald Cannon à la contrebasse; le « Special guest », Gary Bartz au saxophone, un digne émule de John Coltrane. Et puis ce petit vieux au visage émacié arrivant sur scêne à petits pas précautionneux, comme on entre dans un compartiment de chemin de fer quand il y a du monde, le sac de voyage à l’épaule. Il le pose soigneusement au pied du grand Steinway, avec ce même mouvement lent et fatigué du bras qu’il aura pour le reprendre et pour le reposer, lors des rappels. Et puis il s’asseoit au piano et, surprise! sans coup férir, il entame un premier morceau sur un tempo étonnant d’énergie. C’est McCoy Tyner, le pianiste qui, dans les années 60s se fit un nom à 22 ans dans le monde du jazz dans le légendaire quartet de John Coltrane.
Nostalgie ? Ce fut un bon concert mais je n’ai pas retrouvé tout à fait le pianiste inspiré du quartet de John Coltrane des années 60s ou de ce magnifique Soliloquy, un CD des années 90s paru chez Blue Note, l’un de mes plus beau disque de piano-jazz. Le seul petit bout de programme à la disposition de l’auditoire était cette présentation rédigée par l’organisateur, Loop Productions : 🙁
Avoir été le pianiste de John Coltrane est une chose. Etre un génie de l’instrument en est une autre. A 70 ans passés, McCoy Tyner, qui n’a strictement plus rien à prouver, se fait certes plaisir, mais cherche encore, comme en livrant son jeu percussif et fougueux ou délicat et brillant, à l’entrelacs onirique de ses complices de l’instant, connus ou inconnus, jeunes ou vieux. La magie McCoy se love toujours dans le courant de ses phrases, dans son improvisations-fleuve sans doute hérité d’un certain chamanisme coltranien, dans ce toucher unique également, reconnaissable immédiatement. Ils ne sont malheureusement plus três nombreux ces géants de la note bleue. Surtout lorsque leur voix sonne aussi jeune, jamais usée, jamais blasée. McCoy maintenant !
Et bien qu’il me soit permis de n’être pas tout à fait d’accord. Sa façon de jouer m’a paru un peu « datée années 60s » justement, ce soir, avec cette main gauche três percussive et omniprésente à la façon d’un Errol Garner, loin du piano jazz actuel me semble t-il. Peut-être n’était-il pas au mieux de sa forme, paraissant 80 plutôt que 72 ans, manquant un peu d’inspiration dans les parties solos. Le voici dans une vidéo où ¹ il donne le meilleur de lui-même, en solo dans Giants steps de Coltrane (voir l’analyse dans mes 20 leçons d’harmonie).