La saison lyrique 2009-2010 de l’opéra de Paris va remettre à l’honneur, durant tout le mois de décembre, l’opéra le plus célèbre d’Umberto Giordano (1867-1948) : Andrea Chénier créé au Théâtre de la Scala de Milan le 28 mars 1896. Umberto GIORDANO (1867-1948)
Né le 28 août 1867 à Foggia, dans les Pouilles, Umberto Giordano était destiné à suivre une carrière de chimiste comme son père mais se destina à la musique dès 1881, date à laquelle il entra au conservatoire de Naples pour une dizaine d’années. Ses premières œuvres passèrent assez inaperçues à l’exception de l’ La Mala Vita, créé en 1892 à Rome et qui fit scandale car racontant la « mauvaise vie » d’une prostituée napolitaine. Depuis Cavalleria Rusticana (1890), de Pietro Mascagni (1863-1945), l’heure musicale italienne était en effet au Vérisme, courant esthétique d’origine littéraire initié par l’écrivain italien Giovanni Verga (1840-1922).
La petite histoire retiendra que Giordano s’était classé sixième lors du concours lancé par l’éditeur de musique Sonzogno et dont l’opéra Cavalleria Rusticana de Mascagni était sorti vainqueur. C’est avec Andrea Chénier (1896) que Giordano connut enfin la consécration, œuvre composée à partir de 1894 sur un livret de Luigi Illica (1857-1919), librettiste de Giacomo Puccini (1858-1924) notamment. Rapidement, cet opéra fit le tour du monde et son auteur devint un des chefs de file du vérisme italien. Auteur de onze opéras, il demeure encore au répertoire surtout grâce à Andrea Chénier et à Fedora (1898). Giordano mourut à Milan le 12 novembre 1948. Un vérisme adouci par l’historicité Le vérisme italien, continuateur du Naturalisme français de Zola, constitua une rupture esthétique majeure à la fois littéraire et musicale avec le romantisme alors en cours depuis plus de soixante ans. Renonçant à construire des intrigues artificielles et sentimentales mettant en scène des princesses et des rois évoluant dans un passé souvent schématisé voire idéalisé, le vérisme littéraire de Giovanni Verga postulait de décrire la fatalité accablant les « vaincus de la vie », c’est-à-dire les humbles gens, en dehors de toute approche folkloriste ou moralisante. C’est ainsi un univers rural contemporain fait de pauvreté, frappé d’arriération culturelle, rétif aux idées nouvelles mais fidèle à des valeurs morales séculaires que l’on brosse désormais à grands traits, dans un style dépouillé aux antipodes de toute sentimentalité romantique. C’est en tout cas celui du Cavalleria Rusticana de Mascagni, dont la création, en 1890, marque symboliquement la naissance du vérisme opératique, courant qui ne connaîtra guère d’émules en dehors de l’Italie, si l’on excepte une œuvre un peu marginale telle que Louise (1900) du français Gustave Charpentier (1860-1956). Paradoxalement, la France, plutôt rétive aux excès du vérisme musical, offrit aux librettistes et compositeurs italiens leur principale source d’inspiration littéraire. Des auteurs comme Victorien Sardou (1831-1908), auteur de la pièce Tosca ou Henri Murger (1822-1861), auteur des célèbres Scènes de la vie de Bohème, inspirèrent notamment Giacomo Puccini et Ruggiero Leoncavallo (1857-1919) pour leurs plus grands chefs d’œuvre. Cependant, un courant adouci du vérisme vit rapidement le jour au sein des compositeurs italiens, recherchant une forme de noblesse dans des sujets, certes traités sur le mode d’une vérité nouvelle, mais transcendée par l’Histoire, à l’instar du romantisme verdien. La violence exposée sur scène n’accusait désormais plus les tares sociales de l’Italie contemporaine mais celles d’individus peu scrupuleux, comme le Baron Scarpia de Tosca (1900) ou d’une société passée telle que celle de l’impitoyable Monarchie de Juillet en France (1830-1848), pour La Bohème. Les avanies de l’âme humaine ou l’Histoire d’un siècle mouvementé qui s’achevait alors volaient au secours d’une critique sociale encore malvenue dans cette Italie de la dernière décennie du XIXe siècle, arc-boutée sur un conservatisme d’obédience religieuse. Tout comme la Tosca de Puccini, l’Andrea Chénier de Giordano se déroule dans cette période violente et mouvementée de la Révolution et de l’Empire. Cette fin de XVIIIe siècle français fascinait autant pour la force novatrice des idées véhiculée que par l’horreur des excès commis en leur nom, en Italie comme ailleurs en Europe.
Andrea Chénier relate le destin tragique du poète franco-grec André Chénier, auteur favori de la reine Marie-Antoinette, né à Constantinople le 30 octobre 1762 d’une mère grecque et d’un père français et mort guillotiné à Paris le 25 juillet 1794, quelques jours avant Thermidor. D’abord enthousiaste aux idées de la Révolution, André Chénier mourut à l’âge de 32 ans d’avoir voulu dénoncer les excès criminels de la Terreur (voir le poème en hommage à Charlotte Corday à la fin de l’article). Réputé pour son talent à traduire les subtiles variations du coeur, Chénier devenait le héros idéal d’un vérisme soucieux d’historicité, la victime expiatoire d’une utopie sombrant dans un bain de sang, sacrifié en pleine jeunesse sur l’autel des vicissitudes de l’Histoire. Mais l’intrigue n’oublie pas la dimension sentimentale chère à l’opéra romantique qui unira jusqu’à l’échafaud le destin du poète à celui de la belle aristocrate Madeleine de Coigny. L’œuvre poétique d’André Chénier ne fut intégralement publiée qu’en 1819 marquant le retour de l’hellénisme en littérature. L’œuvre D’une durée d’à peu près deux heures, cet opéra se déroule en quatre actes, sur une durée de quatre ans et demi (début 1789-juillet 1794). Acte I : en ce début d’année 1789, alors qu’au dehors gronde le mécontentement de paysans affamés, une fête est organisée au château du Comte de Coigny. Secrètement amoureux de la belle Madeleine de Coigny, Charles Gérard, acquis aux idées nouvelles, ne peut cacher sa haine envers l’aristocratie, trouvant un allié inattendu en la personne du jeune poète André Chénier. La Comtesse, mère de Madeleine chasse Gérard du château. Acte II : alors que la Terreur sévit dans le Paris de ce mois de juin 1794, un Incroyable croit reconnaître en Chénier et Madeleine deux suspects qu’il s’empresse de dénoncer à Gérard, devenu tribun révolutionnaire. Bersi, l’ancienne servante de Madeleine, prévient Chénier du danger qui les menace. Chénier part rejoindre Madeleine et lui avoue son amour. Gérard surprend alors les deux amants et est blessé par Chénier au cours d’un duel. Chénier et Madeleine prennent la fuite. Acte III : Chénier est arrêté. Après avoir hésité, Gérard signe le réquisitoire contre lui. Mais voici que Madeleine vient et s’offre à Gérard en échange de la liberté du poète. Pris de remord et fidèle à sa promesse, Gérard plaide en faveur de Chénier devant le Tribunal Révolutionnaire qui condamne quand même celui-ci à mort. Acte IV : détenu à la prison Saint-Lazare, Chénier écrit un ultime poème. Madeleine parvient à corrompre le geôlier pour prendre la place d’une condamnée. L’aube paraît et les deux amants se retrouvent pour monter ensemble sur la charrette qui les conduit au supplic . La distribution vocale de l’œuvre correspond aux critères de l’opéra romantique : ténor pour Chénier, soprano pour Madeleine et baryton pour Gérard. Giordano ne fait pas ici preuve d’une grande originalité, alors que Leoncavallo n’hésitera pas à confier le rôle de Rodolfo de sa Bohême (1897) à un baryton, tessiture plutôt inhabituelle pour un jeune premier énamouré. L’orchestre correspond également à la nomenclature alors en vigueur en Italie dans l’opéra vériste avec une forte présence des cuivres (dont 3 trompettes en fa et 3 trombones), à la différence des orchestres français d’opéra de la même époque (sauf pour Louise, l’unique opéra vériste français). On reprocha d’ailleurs à Giordano une certaine lourdeur orchestrale qui a certains endroits de la partition écrase des voix chantant a mezza voce. De belles pages de l’œuvre, typiques du vérisme, sont toutefois entrées au répertoire telles que le chant des miséreux du Premier Acte (« la notte il giorno ») ou l’air de Madeleine à l’Acte III (« La mamma morta », écoutez le ci-dessous). La distribution de la production 2009-2010 de l’Opéra de Paris
Daniel Oren
Direction musicale Giancarlo Del Monaco Mise en scène Carlo Centolavigna Décors Maria Filippi Costumes Wolfgang Von Zoubek Lumières Laurence Fanon Mouvements chorégraphiques Patrick Marie Aubert Chef de Chœur Marcelo Alvarez (ténor) : Andrea Chénier Sergei Murzaev (baryton) : Charles Gérard Micaela Carosi (soprano) : Madeleine de Coigny Varduhi Abrahamyan (mezzo-soprano) : La servante Bersi Stefania Toczyska (mezzo-soprano) : La Comtesse de Coigny Maria José Montiel (mezzo-soprano) : Madelon, vieille femme du peuple André Heyboer (basse/baryton) : Roucher, ami d’Andrea Chénier Igor Gnidii (basse/baryton) : Pierre Fléville, romancier Antoine Garcin (basse/baryton) : Fouquier-Tinville, accusateur public David Bizic (baryton) : Ie sans-culotte Mathieu Carlo Bosi (ténor) : l’ Incroyable, espion Bruno Lazzaretti (ténor) : L’Abbé Ugo Rabec (baryton) : Schmidt, geôlier Guillaume Antoine (basse) : Dumas, président du Tribunal Révolutionnaire Poème d’André Chénier en hommage à Charlotte Corday (1768-1793) Quoi ! Tandis que partout, ou sincères ou feintes, Des lâches, des pervers, les larmes et les plaintes Consacrent leur Marat parmi les immortels, Et que, prêtre orgueilleux de cette idole vile, Des fanges du Parnasse un impudent reptile Vomit un hymne infâme au pied de ses autels ; La vérité se tait ! Dans sa bouche glacée, Des liens de la peur sa langue embarrassée Dérobe un juste hommage aux exploits glorieux ! Vivre est-il donc si doux ? De quel prix est la vie, Quand, sous un joug honteux, la pensée asservie, Tremblante, au fond du coeur, se cache à tous les yeux ? Non, non. Je ne veux point t’honorer en silence, Toi qui crus par ta mort ressusciter la France Et dévouas tes jours à punir des forfait. Le glaive arma ton bras, fille grande et sublime, Pour faire honte aux dieux, pour réparer leur crime, Quand d’un homme à ce monstre ils donnèrent les traits. Le noir serpent, sorti de sa caverne impure, A donc vu rompre enfin sous ta main ferme et sûre Le venimeux tissu de ses jours abhorrés ! Aux entrailles du tigre, à ses dents homicides, Tu vins redemander et les membres livides Et le sang des humains qu’il avait dévorés ! Son oeil mourant t’a vue, en ta superbe joie, Féliciter ton bras et contempler ta proie. Ton regard lui disait : » Va, tyran furieux, Va, cours frayer la route aux tyrans tes complices. Te baigner dans le sang fut tes seuls délices, Baigne-toi dans le tien et reconnais des dieux. » La Grèce, ô fille illustre ! admirant ton courage, Épuiserait Paros pour placer ton image Auprès d’Harmodius, auprès de son ami ; Et des choeurs sur ta tombe, en une sainte ivresse, Chanteraient Némésis, la tardive déesse, Qui frappe le méchant sur son trône endormi. Mais la France à la hache abandonne ta tête. C’est au monstre égorgé qu’on prépare une fête Parmi ses compagnons, tous dignes de son sort. Oh ! Quel noble dédain fit sourire ta bouche, Quand un brigand, vengeur de ce brigand farouche, Crut te faire pâlir, aux menaces de mort ! C’est lui qui dut pâlir, et tes juges sinistres, Et notre affreux sénat et ses affreux ministres, Quand, à leur tribunal, sans crainte et sans appui, Ta douceur, ton langage et simple et magnanime Leur apprit qu’en effet, tout puissant qu’est le crime, Qui renonce à la vie est plus puissant que lui. Longtemps, sous les dehors d’une allégresse aimable, Dans ses détours profonds ton âme impénétrable Avait tenu cachés les destins du pervers. Ainsi, dans le secret amassant la tempête, Rit un beau ciel d’azur, qui cependant s’apprête A foudroyer les monts, à soulever les mers. Belle, jeune, brillante, aux bourreaux amenée, Tu semblais t’avancer sur le char d’hyménée ; Ton front resta paisible et ton regard serein. Calme sur l’échafaud, tu méprisas la rage D’un peuple abject, servile et fécond en outrage, Et qui se croit encore et libre et souverain. La vertu seule est libre. Honneur de notre histoire, Notre immortel opprobre y vit avec ta gloire ; Seule, tu fus un homme, et vengeas les humains ! Et nous, eunuques vils, troupeau lâche et sans âme, Nous savons répéter quelques plaintes de femme ; Mais le fer pèserait à nos débiles mains. Un scélérat de moins rampe dans cette fange. La Vertu t’applaudit ; de sa mâle louange Entends, belle héroïne, entends l’auguste voix. Ô Vertu, le poignard, seul espoir de la terre, Est ton arme sacrée, alors que le tonnerre Laisse régner le crime et te vend à ses lois.
Derrière tout critique d’art hargneux se terre le plus souvent un artiste raté qui fait payer sa médiocrité aux autres…
d’accord avec jam, le fait de juger la beaute de qqch sur un critere de temps est plus que douteux.
Pour etre franc, je me demande comment des critiques aussi has been peuvent encore exister. Fadrait lui signaler que nous sommes au 21eme siecle, et que sa critique date un peu…
S’il ne veut pas de mise en scène passéiste, il n’a qu’à pas aller voir d’opéra du passé, ce Maxime Kaprielian. Pourquoi s’évertuerait-on à jouer sur instruments d’époque, et pas en mise en scène d’époque ? A bas les metteurs en scène démiurges !
Voici ce qu’en dit Maxime Kaprielian dans ResMusica :
sans un plateau exceptionnel et un chef d’orchestre rompu à ce répertoire, l’œuvre perd toute sa valeur. Pari réussi.
Un opéra à aller voir pour paraphraser Des Grieux dans Manon de Massenet « en fermant les yeux », tant la mise en scène insignifiante de Giancarlo Del Monaco gà¢che le plaisir. Nous revoilà dans l’opéra de grand-papa, décors somptueux, grandes robes et perruques, personnages statiques face au public la main sur le coeur. Un peu de distanciation au premier acte avec ces aristocrates au teint cadavérique, rien de plus. Le reste est de la pire des conventions, avec un final kitchissime, Andrea Chénier et Maddalena di Coigny escaladant les barreaux de la prison de Saint-Lazare Espérons que ce genre de visions passéistes ne pollue pas la scène de l’Opéra de Paris à l’avenir.
L’article entier ici :
http://www.resmusica.com/article...
Effectivement, le pathos musical de cet opéra s’inscrit dans la continuité du style romantique et post-romatique italien. On peut noter que le metteur en scène de cette production en très grande partie italienne, est Giancarlo del Monaco, le fils du célèbre ténor Mario del Monaco qui fut l’un des grands Andrea Chénier du XXe siècle. Le fils n’a pas lésiné sur le grandiose et sur l’accumulation des symboles laquelle confine parfois à l’indigestion. Mais la splendeur de certains décors et la très haute tenue musicale de cet Andrea Chénier marqueront l’entrée de cette œuvre au répertoire de l’opéra de Paris.
RINALDI.
On peut ajouter que, si le vérisme musical tranche effectivement avec le romantisme par le choix des sujets (avec toutefois les réserves qu’émet Yves), il ne tranche pas par le style musical, qui reste parfaitement romantique. Bien plus novatrice est l’évolution musicale dans les opéras de Richard Strauss (Salomé : 1904), et dans Pelleas et Mélisande (1902, mais commencé longtemps avant) de Debussy.