Nous sommes heureux d’accueillir ici un nouveau rédacteur. Il souhaite rester anonyme, mais je pense que vous le reconnaitrez facilement.Voici son premier billet sur la musique de Gluck. Il nous a promis de nous en livrer deux autres, plus sérieux, l’un sur Wagner, l’autre sur Beethoven. On verra bien s’il tient ses promesses…(Le premier qui trouve son nom gagnera… toute notre considération !) 🙂 Au mois de décembre 1859, M. Carvalho, directeur du Théatre-Lyrique a osé entreprendre de remettre en scêne l’Orphée de Gluck, et a obtenu par ce coup d’audace un des plus grands succês dont nous ayons été témoins.
Orphée de Gluck commence à avoir une vogue inquiétante. Il faut espérer pourtant que Gluck ne deviendra pas à la mode. Que le théà¢tre soit plein à chacune des représentations du chef- d’œuvre, tant mieux ; que M. Carvalho gagne beaucoup d’argent, tant mieux ; que les moeurs musicales des Parisiens s’épurent, que leurs petites idées s’agrandissent et s’élêvent, tant mieux encore ; que le public artiste se complaise dans sa joie exceptionnelle, tant mieux, mille fois tant mieux. Mais que les Polonius (c’est le nouveau nom de monsieur Prud’homme) se croient obligés maintenant de rester éveillés aux représentations d’Orphée, qu’ils se cachent pour aller voir leurs chêres parodies dans un théà¢tre qu’il est interdit de nommer, qu’ils feignent de trouver la musique de Gluck charmante, tant pis! tant pis !
Pourquoi chasser le naturel, puisqu’il ne tardera pas à revenir au galop! Pourquoi, quand on est un respectable Mr Prud’homme, un Polonius barbu ou non barbu ne pas parler la langue de son emploi, faire semblant de comprendre et de sentir, et ne pas dire franchement avec tant d’autres : » C’est assommant, ah! c’est assommant ! » (Je ne cite pas le mot en usage dans la langue des Polonius, il est trop peu littéraire.) Pourquoi baisser la voix pour dire, comme je l’ai entendu dire si haut : « Veuillez m’excuser, madame, de vous avoir fait subir une telle rapsodie; assister à ce long enterrement ; nous irons voir guignol demain aux Champs-Elysées pour nous dédommager ; car nous sommes volés, dans toute la force du terme, volés comme on ne l’est pas en pleine forêt de Bondy.
Ce sont ces imbéciles de journalistes qui nous ont amenés dans ce traquenard. – Ou bien: « c’est de la musique savante, três savante ; mais s’il faut étudier le contre-point pour la bien goutter, vous avouerez, ma chêre madame Prud’homme, qu’elle est encore au-dessus de nos moyens ». Ou bien : » Il n’y a pas deux mesures de mélodie là -dedans ; si nous autres jeunes compositeurs nous écrivions de pareille musique, on nous jetterait des pommes de terre. » – Ou bien : » C’est de la musique faite par le calcul et bonne seulement pour des mathématiciens. » Ou bien : » C’est beau mais c’est bien long. » – ou bien : » C’est long, mais ce n’est pas beau. »
Et tant d’autres aphorismes dignes d’admiration.
Oui, tant pis, tant pis si ce nouveau genre de tartuferie vient à se répandre ; car rien n’est plus délicieux et plus flatteur pour les gens organisés d’une certaine façon que de voir les choses qu’ils aiment et admirent insultées par les gens organisés d’autre sorte. C’est le complément de leur bonheur. Et dans le cas contraire ils sont toujours tentés de paraphraser l’aparté d’un orateur de l’antiquité et de dire : » Les Polonius sont enchantés, admirerions-nous une platitude?…
Mais rassurons-nous, Gluck ne deviendra pas à la mode, et Guignol, depuis quelques jours voit grossir le chiffre de ses recettes, tant il y a de gens qui vont le voir pour se dédommager.
Dans son traité d’orchestration, Berlioz cite les œuvres de Gluck à tout bout de champ.
Bravo Slublu ! (mais tu avais d ja gagné notre considération 🙂
Berlioz, extrait de "A travers chants" ?
Baudelaire?