Cette affirmation s’applique t-elle à toute la musique? Continuons la citation :
Il faut toujours essayer d’approcher le plus possible des secrets d’écriture de l’auteur, y compris ce qui lui a échappé à lui-même.
Qui parle, là ? Un pianiste? /
Non, vous l’avez deviné, c’est Michel Bouquet interviewé dans le Monde de ce jour. Mais continuons la citation:
C’est tout ce qui échappe à l’acteur qui est le plus important, plus important que ce qu’il montre consciemment : on n’est pas maître du jeu, on n’est pas maître de soi. C’est tout ce qui échappe à l’acteur qui fait le grand acteur. Ce qu’il n’a pas prévu, ce qui l’étonne. Parce que dans ce cas, le personnage gouverne. Les personnages que l’on gouverne trop ne sont pas bons.
Remplaçons « personnage » par « partition » : pourquoi l’opinion ainsi exprimée ne s’appliquerait pas aussi à l’interprétation de la musique? Je pense au témoignage que Roger Muraro nous livre dans son DVD concernant Messiaen. Ce dernier est três pointilleux en matiêre d’agogique. Il monte une extrême minutie dans l’indication des nuances et du rythme dans ses partitions, allant jusqu’à noter au 1/10 de seconde prês la durée d’une note.
Interprête en premiêre mondiale au festival d’Avignon d’une œuvre pour piano de Messiaen, Muraro se surprend en train de « surjouer » le morceau, trop lent quand il fallait jouer lent, trop rapide quand il fallait jouer rapide. A la fin, désespéré d’avoir trahi à ce point le Maître, il se précipite pour lui demander pardon. Et celui-ci, à sa grande surprise l’assure qu’il a au contraire merveilleusement interprété cette œuvre, qu’il a magnifiquement su se l’approprier.
Ce propos ne manqua pas de rendre songeur l’interprête et de lui faire prendre conscience que le temps est une notion toute relative, même pour Messiaen. Jean-Francois Zygel faisait remarquer d’ailleurs, dans sa derniêre leçon de musique sur l’interprétation (Mairie du XXe) que Bartok avait l’habitude de jouer « tout droit », sans aucune nuance une de ses composition pour piano, ignorant superbement les indications de la partition. Et de s’interroger : qui a raison, l’interprête ou le compositeur? Et d’ajouter avec malice qu’en écoutant Bartok, on se rend compte que de toutes façons il joue tout « tout droit », même les œuvres des autres … Sacré JFZ ! Il nous a bien eu, à cette occasion en nous faisant écouter le scherzo de la 9e symphonie de Bruckner dans cinq interprétations différentes. La premiêre était de Celibidache, avec d’incroyables pizzicati de violon et un mouvement qui s’amplifie et s’accélêre lentement, évoquant la genêse d’un nouveau monde; la deuxiême, fort belle d’Eugen Jochum (ma préférée) était battue à 204 battements par minute, donc beaucoup plus rapide, la troisiême de Georg Solti, à 196 « seulement », celle de Bruno walter à 180; il nous fait entendre enfin la derniêre, três différente, ne souhaite pas nous dire de qui elle est car il la trouve mauvaise, la qualifiant de traînarde et ennuyeuse.puis il nous demande des cinq celle que l’on préfêre. Une petite majorité se prononce pour la premiêre, la seconde arrive en seconde position, la derniêre n’a aucun succês et ne recueille aucune voix.
Et là , il nous dit, content de lui, que la derniêre était la premiêre !
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Quelle peut bien en être la raison ?