Chapitre 11 - Modulations

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La modulation est l'action par laquelle on passe d'une tonalité dans une autre.

Il est extrêmement rare qu’une pièce de musique classique garde la même tonalité du début à la fin. En général, elle a une tonalité principale, souvent annoncée dans son titre (symphonie en ut mineur) tout en adoptant des tonalités autres, on dit alors qu'elle module.  Elle peut moduler de façon passagère, sur quelques mesures ou beaucoup plus longtemps, et dans un ton voisin, sa gamme relative par exemple, ou plus lointain.

Historiquement, la musique classique a beaucoup évolué dans sa façon de traiter la modulation. On passe d'une extrême timidité aux XV e-XVIe s., où les modulation sont longuement préparées pour ne pas "brutaliser" l'auditeur, à l'audace la plus extrême d'un Wagner avec sa  modulation perpétuelle!

De fait, l'art de la modulation  varie beaucoup d’un compositeur à l’autre et constitue souvent un des signes majeurs de sa personnalité.

C’est une modulation qui utilise un ou plusieurs accords communs à deux tonalités.

Dans l'ensemble des trois accords I, IV et V, le premier degré, DO, et le cinquième, SOL, apparaissent chacun deux fois, les autres une seule. Ce premier et ce cinquième degré sont appelés les pivots du mode; ils affirment la tonalité.

Ceci correspond d’ailleurs à la donnée naturelle représentée par le rapport de quinte (DO-SOL), seule consonance parfaite reconnue en Grèce antique, avec son renversement, la quarte (SOL-DO), l’octave et l’unisson.

 Modulation entre deux tonalités majeures :

Dans l'exemple ci-dessous, l'accord pivot SOL/RE/SI est du 5e degré en tonalité de DO et du 1er degré en tonalité de SOL.

Modulation entre  tonalités majeure/mineure:                                                                                    

(Fig. 1) Exemples de modulations entre tonalités majeure et mineure

Exercice de modulation:

(Fig. 2) Exercice de modulation

Les gammes  et leurs tonalités sont plus ou moins voisines suivant le nombre d’accords qu’elles possèdent en commun. On distingue habituellement deux degrés de voisinage :

Le premier degré qui concerne les modulations aux tons voisins : les armures ne diffèrent pas de plus d'une altération.

Le deuxième degré qui concerne les modulations aux tons éloignés. Dans ce cas, les tonalités d'origine et d'arrivée comportent peu, (ou pas) d'accord ayant des notes communes). Exemples: DO vers LAb, ou FA vers MIb.

Le tableau ci-desous illustre quelques-uns de ces exemples en montrant les accords communs :

(Fig. 3) Degré de voisinage

Les liaisons figurent quelques accords communs (majeurs en rouge, mineurs en vert) susceptibles de servir d'accords pivots.

Ils sont nombreux, et nous n'en verrons que quelques-uns dans ce chapitre[1]:

  1. Modulation par utilisation de l'accord de septième de dominante du ton suivant

  2. C'est la façon la plus simple de moduler. Je veux moduler de DO Majeur vers LA Majeur: Je vais chercher l'accord pivot qui est le septième de dominante de LAM, soit: MI-SOL# -SI. Pour adoucir la transition, je peux préparer la modulation en passant par l'accord intermédiaire MI-SOL-SI qui est aussi le III de la tonalité de DO et en même temps le Vmineur de la tonalité de LA:

    (Fig. 4) Modulation directe

  3. Modulation par l'accord de la sous-dominante du ton suivant
  4. Je veux moduler de DO vers LA : => je vais vers le RE, accord de seconde en DO, qui est aussi accord de 4e degré (sous-dominante) dans la tonalité de LA.

    Deux façons de moduler: par modulation directe ou par modulation préparée.

Modulation directe(ou immédiate, subite, "brutale") avec un seul accord pivot

(Fig. 5) Modulation directe

Modulation préparée[2]

   

(Fig.6 ) Modulation préparée avec plusieurs accords pivots  

Par exemple, je veux moduler de DO vers FA: je vais vers le SI, avec un accord de 3e degré en DO, accord de 4e degré en FA.

3.   Modulation par l'accord de  tonique du ton suivant

Nous en avons vu un exemple simple au début, pour passer de DO en SOL via l'accord commun V = I. Autre exemple, pour passer de DO en SIb mineur:  

(Fig. 7) Accords de tonique ou de quinte

Pour que la modulation soit audible, il est important d'affirmer la nouvelle tonalité par  d'autres accords dans cette nouvelle tonalité.

Cas particulier

Modulation directe avec note de passage fonctionnant comme la tonique du ton suivant.

On peut considérer une note de passage (note en mouvement conjoint sur temps faible) comme un accord  de tonique réduit à sa plus simple expression. 

Le procédé consiste à renforcer cet accord en le répétant sur le temps fort suivant, par exemple avec un accord parfait complet.

   

(Fig. 8) Ex. modulation de DO mineur vers RE majeur

4.  Modulation chromatique

Elle tire partie du mouvement d'un demi ton ascendant ou descendant que font tierce, sixte et septième quand on alterne ou mélange les modes majeur et mineur[3].

L'accord pivot contenant la quinte ascendante (qui vaut septième augmentée dans la gamme relative) est le V ou le VII.

- 1er exemple: modulation chromatique de DO vers LA

 

 (Fig. 9) modulation chromatique de DO vers LA

 - 2e exemple: modulation chromatique de DOM vers MIM

 (Fig.10) modulation chromatique de DOMvers MIM

5.   Modulation avec utilisation de la pédale:

Comme son nom le suggère, la pédale est une note située généralement à la basse qui se prolonge pendant que les autres voix varient en accord avec elle, en respectant les règles de l'harmonie (cf. Chap. 2).
La note formant pédale est la tonique et/ou la dominante dans la tonalité.

Les modulations se construisent à partir d'accords pivots incluant donc la tonique (accord avec 4e et 6e degré) ou la dominante (accord de quarte et sixte, de dominante, de sixte sur la tierce) en majeur et mineur.

 Exemple: Modulation avec pédale sur tonique et dominante

   

(Fig. 11) Modulation avec pédale sur tonique et dominante  

Faut-il moduler dans l'accompagnement d'une mélodie? Cela dépend bien sûr de la mélodie, mais aussi du climat  musical que l'on veut obtenir.

Voici trois exemples construits sur une mélodie très simple, DO-RE-SOL-DO (les trois derniers accords forment une cadence composée du 1er degré, cf. Chap.9):

- 1er exemple sans notes accidentées, n'appelant pas de modulation; - 2e exemple avec modulation:

- Enfin la même mélodie  avec modulation dans des tons différents (LA mineur harmonique, puis Sib harmonique), ce qui permet un mouvement intéressant de la basse, mais la cadence est rompue.

   

(Fig. 12) Emploi de la modulation dans l'accompagnement d'une mélodie   

Les modulations chromatiques et modulations par note de passage altérée permettent de réaliser des thèmes mélodiques qui n'ont plus de tonalité principale bien définie[4].

La seule règle à respecter dans ces enchaînements polytoniques est d'éviter les fausses relations (cf. chap. 8).

Exercice: 

Etude modulante avec succession polytonique (Fig. 13) :

   

Au delà des multiples modulations, on remarquera qu'une tonalité "moyenne" en DO dièse mineur  baigne cette petite étude, ce qui fait son unité et peut-être…son charme!

 

 

- Fin du Chapitre 11 -

 


[1] Nous reprendrons et complèterons le sujet au Chapitre 15, avec les accords enharmoniques et les marches (ou suites) modulantes.

[2] La modulation préparée est de rigueur dans l'harmonie classique. L'harmonie moderne l'utilise pour le climat musical particulier dû à la polytonalité  qui résulte des accords pivots successifs.

[3] Cette altération, immédiatement perceptible, la distingue donc des modulations diatoniques où les accords pivots peuvent entretenir, par leur double appartenance, un doute sur la tonalité.

[4] C'est le cas du jazz moderne, ce qui peut justifier que la notation des accords ne réfère pas à une tonalité donnée, mais seulement à la position des voix par rapport à la basse.