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Trois textures différentes – mais complémentaires – caractérisent la musique:
La monophonie est l'émission d'une ligne mélodique unique, éventuellement doublée à l'unisson ou à l'octave.
L'homophonie est l'émission d'une mélodie accompagnée par des accords. Elle constitue l'immense majorité de la musique de variétés aujourd'hui. Elle obéit – en principe! – aux règles de l'harmonie que nous avons étudiées.
La polyphonie enfin combine plusieurs lignes mélodiques simultanées. Elle trouve son origine dans le contrepoint, technique d'écriture qui est à la base de l'harmonie moderne.
Définition
On peut définir la mélodie très prosaïquement comme une suite de sons découpée par un rythme. Mais là où l'harmonie est le corps de la musique, la mélodie en est comme le visage qu'on voit d'abord et que l'on reconnait ensuite.
Pour le mélomane, ce peut ête une chanson enfantine toute simple aussi bien que La Marche de la Garde montante de Carmen, la Petite Musique de Nuit, ou la série dodécaphonique d'ouverture du Concerto pour la mémoire d'un ange; on en perçoit l'air et on le mémorise de façon plus ou moins naturelle et spontanée.
(Fig.1) Concerto pour violon "à la mémoire d'un ange" de Alban Berg
Pour le compositeur, c'est la recherche esthétique du motif ou du thème mélodique, la recherche du "chant" [1] qui servira de base aux variations. Dans l'organisation de ses matériaux musicaux; le compositeur s'efforce en effet de privilégier le temps et l'espace mélodiques autant que le climat ou les couleurs harmoniques et instrumentale, même dans les musiques contemporaines.
Ainsi, de Shubert, grand mélodiste, Paul Dukas disait : "Il n'est pas de sujet où l'inspiration de Schubert ne soit répandue en ondes abondantes et pures : certaines de ses mélodies sont développées à l'égal d'une scène de drame, d'autres tiennent en une page, mais dans tous les genres où il s'essaye, quelle que soit la dimension qu'il donne à son oeuvre, il rencontre l'accent juste et profond et le cri passionné : son chant va droit à l'âme."
Vue historique
Au
temps des musiques monodiques gréco-romaines et du plain-chant médiéval, le
chant est l'événement musical unique, sans complément sonore ou association
instrumentale, et la mélodie est reine. Puis le musicien innove en inventant la pédale, note continue autour de laquelle s'enroule la mélodie. Enfin s'installe la pratique de faire
entendre simultanément plusieurs lignes mélodiques qui se rejoignent
périodiquement pour former consonance sur l'unisson, la quarte, la quinte ou
l'octave: c'est le début du contrepoint.
A partir de la pre-renaissance (Josquin des Près), la musique a ses deux axes, l'axe horizontal mélodique et l'axe vertical harmonique; mais
l'axe mélodique prédomine encore, avec des sons joués legato dans un ambitus
réduit qui garde la trace de ses origines vocales.
A
l'époque classique, et surtout au 19e siècle, l'harmonie chromatique
prend le pas sur l'art du dessin mélodique[2].
Toutefois, des compositeurs tels Brahms, Chopin, Wagner ou, plus tard Ravel savent entrelacer mélodie et harmonies modulantes de sorte (et en cela ils
se montrent de vrais mélodistes)
qu'on ne sait si c'est le jeu tonal qui contient la mélodie ou la mélodie qui
s'accompagne d'accords modulants.
Les secrets d'une bonne mélodie
Si tant est que la recette existe, nous reprendrons un extrait du billet publié sur notre blog en février 2006 :
Le secret [d'une bonne chanson] ? La mélodie. Pour qu'elle se retienne facilement, rien de tel que de jouer la simplicité en utilisant la symétrie et/ou la répétition de motifs mélodique ou rythmique dans le thème, par exemple quatre rondes suivies de quatre croches brèves, ou notes disposées par groupes (par exemple quatre plus trois, ou successions de notes égales, huit noires, etc), ces notes étant conjointes ou au contraire piquées (mais là, on rejoint l'interprétation). Et surtout garder une téssiture "humaine", ne jamais aller chercher les notes dans les aigues car les paroles seraient incompréhensibles (cf. les opéras!).
Le rythme contribue également à la qualité de la mélodie. Sur un rythme de danse connue, la mélodie se retient mieux: le branle au 16e siècle (deux pas à droite, deux pas à gauche!), la valse depuis Mozart (encore lui!) avec ses déclinaisons viennoises ( 2e temps anticipé), berlinoise (rythme très carré d'un Kurt Weill), musette, tango des familles, etc.
Notons également que les mélodies basées sur les marches harmoniques (exemple) sont également plaisantes (cf. Chap.15, Fig.11, Variation sur une marche harmonique).
Le contrepoint est un procédé stylistique d'écriture qui consiste à superposer des lignes mélodiques indépendantes et complémentaires sur le plan rythmique et harmonique, en privilégiant l'originalité de chacune des parties (ou voix).
C'est la rencontre dissonante de plusieurs mélodies qui en fait l'intérêt musical. Cette technique développée à l'époque classique a connu son apogée avec Jean-Sébastien Bach.
(Fig.2) Invention en Do majeur de Jean-Sébastien Bach, exemple de contrepoint
Le contrepoint continue d'être enseigné comme discipline indispensable aux apprentis compositeurs.
Le contrepoint scolaire s'appuie sur un certain nombre de règles rigoureuses constituant autant de corsets à l'invention mélodique, le but étant de "développer l'imagination mélodique dans le respect de l'oreille"[3]. On distingue le contrepoint simple, le contrepoint renversable et les imitations.
Les lignes mélodiques superposées (8 maximum) sont composées à partir d'une suite de notes en valeurs longues et égales qui sert de trame au travail de contrepoint, dans les modes majeur, mineur, et modes anciens (modes de RE à LA). C'est le cantus firmus - cf. exemple ci-dessous en (1) -,
Le principe fondamental est que les voix se combinent au cantus firmus et entre elles de façon à se retrouver toujours en consonance au premier temps de chaque mesure. Les intervalles consonants sont ceux des accords parfaits majeurs et mineurs, dans leurs différents renversements. Ceci permet de distinguer les notes harmoniques (2) - notes consonantes de l'accord - des notes mélodiques (3) - notes de passage, retard, broderies, etc.
(Fig.3) Exemple de contrepoint fleuri en mode de RE (cas d'école)
On distribue les rythmes en sorte que deux mesures voisines d'une même voix n'aient pas le même rythme et que dans une même mesure, deux voix n'aient pas de rythme identique.
Le contrepoint fleuri admet les notes syncopées (retards), les blanches pointées (en 4/4), ainsi que "quelques" croches ce qui rend l'exercice plus musical.
Les entrées de voix doivent être aussi rapprochées que possible, mais jamais simultanées.
Au delà de l'aspect pédagogique, le contrepoint fleuri à 3 et 4 voix, ainsi que le contrepoint à double chœur (2 fois quatre voix) sont les plus intéressants à expérimenter.
Les règles de composition s'analysent en règles mélodiques (disposition des notes sur l'axe horizontal) et règles harmoniques.
Règles mélodiques
Les règles suivantes sont applicables à partir de 2 voix jusqu'à 8, au maximum, sachant qu'il est difficile de conduire des lignes mélodiques intéressantes dans un contrepoint comportant plus de 5 voix. Les règles en sont d'ailleurs assouplies au-delà de 4 voix.
1. Mouvements conjoints et mouvements contraires étant l'essence même du contrepoint, ils doivent être prolongés le plus longtemps possible. Les arpèges ordinaires sont déconseillés, surtout quand ils passent la mesure[4].
2. Les sauts de notes sont autorisés quand ils ne dépassent pas la sixte mineure ou qu'ils vont à l'octave juste. Les sauts par demi-ton (intervalles chromatiques) sont interdits.
3. Tout mouvement de 3 ou 4 notes franchissant un intervalle de quarte augmentée doit être précédé ou suivi d'un mouvement conjoint de même sens.
4. La quinte augmentée franchie en 4 notes doit se poursuivre par un mouvement conjoint de même sens.
5. La septième (voir exemple en (1) ci-dessous) et la neuvième franchies en 3 notes doivent comporter un mouvement conjoint. (2)
(Fig.4) Exemple de contrepoint fleuri en DO maj., simple
6. Le saut à l'octave (3) doit être précédé (4) et suivi (4) d'un mouvement de sens contraire.
7. Le retard (5) est la seule note dont la préparation est obligée; cette préparation (6) doit avoir la durée d'une blanche. La résolution du retard doit se faire obligatoirement au 2e temps de la mesure. (5).
8. Toutes les notes mélodiques (retard, notes de passage et broderies) sont astreintes au mouvement conjoint (Hé oui!). Mais aucune note harmonique, même la sensible n'a de mouvement obligé.
9. Notes répétées interdites: Il ne faut pas faire entendre 2 fois de suite la même note, à aucune voix, quel que soit le rythme!
10. Répétition de motifs mélodiques: Comme la mélodie doit être le résultat d'une perpétuelle invention, sans symétrie ni redites, on doit éviter le mouvement disjoint à intervalle régulier, toutes les 4 ou 8 notes par exemple, ou la répétition de motifs mélodiques.
11. En mode mineur, le mode mélodique ascendant et descendant est recommandé. On évitera les fausses relations (coexistence du FA# et du SOL naturel, par exemple), mais elles sont admises dans une même mesure si elles sont à l'octave entre 2 voix, et si elles ne sont pas frappées en même temps.
Règles harmoniques.
Les règles de l'harmonie classique que nous avons étudiées dans les chapitres précédents résultent historiquement de la plénitude harmonique du contrepoint. Dès lors que l'accord est formé, c'est à dire à partir de 3 voix, ces règles s'appliquent sur le temps fort de chaque mesure. La suppression de la tierce doit être exceptionnelle dans la première et dernière mesure, où l'accord de tonique doit figurer à l'état fondamental.
Les règles ci-dessous concernent donc plus particulièrement le cas d'un contrepoint à 2 voix.
1. Le mouvement contraire, ainsi que le mouvement oblique doivent être privilégiés. Les rencontres de notes harmoniques et mélodiques par mouvements contraires et obliques sont bienvenues.
2. Tierces, quartes ou sixtes parallèles et plus généralement le mouvement direct sont à éviter ( éviter plus de 3 tierces, quartes ou sixtes consécutives en valeurs égales).
3. Quintes et octaves parallèles sont interdites, sauf si elles sont séparées par l'équivalent d'une ronde au moins (une mesure). L'unisson est assimilé à l'octave.
4. Quinte et octave entre parties extrêmes: Il est interdit d'arriver sur une quinte ou une octave par mouvement direct, sauf dans la cadence finale à condition que les parties supérieures y arrivent par mouvement conjoint.
Remarque: On peut arriver par mouvement direct sur une quinte diminuée. De même on admet l'arrivée à l'octave ou à l'unisson par seconde majeure, jamais par seconde mineure.
5. Seconde : les intervalles de secondes sont à éviter.
6. Septième, neuvième : Il est permis d'arriver sur ces intervalles par mouvement direct surtout s'il s'agit d'une septième mineure ou d'une neuvième majeure.
Bien que le contrepoint classique parte d'un cantus firmus donné, il est également intéressant de partir d'une ligne mélodique, et d'y adapter les autres voix.
Ainsi dans l'exemple ci-dessous nous avons repris en 1ère voix le fil mélodique de l'exemple précédent.
(Fig.5) 2e exemple avec même ligne mélodique que l'exemple fig.4
Le contrepoint renversable
C'est un cas particulier de l'écriture contrapuntique; il consiste à juxtaposer plusieurs motifs mélodiques indifféremment les uns au-dessous des autres sur plusieurs voix. Il est utilisé dans l'écriture du contre-sujet de la fugue (cf. Chap.18, Les formes de la musique)
Le contrepoint moderne
Dans le contrepoint moderne à 2 voix (2 instruments monodiques), il importe de choisir les notes les plus représentatives des accords. Autant que possible, on garde la tierce et la note qui caractérise cet accord, par exemple (voir ci-dessous):
(Fig.6) Notes à garder dans les accords du contrepoint
Lorsqu’une phrase mélodique énoncée par une partie est reprise par une autre, mais sur un autre degré de l’échelle musicale, il y a imitation. La partie proposante s’appelle antécédent, la ou les parties qui imitent se nomment conséquent.
L'imitation est régulière quand le conséquent reproduit les mêmes intervalles que l'antécédent, irrégulière sinon. L'imitation régulière impose souvent la modulation; a contrario on utilise l'imitation irrégulière pour conserver la tonalité.
L'exemple de contrepoint en imitation proposé ci-dessous est construit sur un motif en RE-mineur dont le conséquent est à la dominante. En deuxième ligne, l'antécédent initial est ré-exposé en RE mineur, et le conséquent reste dans le même ton ce qui entraîne une imitation irrégulière.
(Fig.7) Exemple d'imitation régulière et irrégulière
Mouvements du conséquent
L'imitation est caractérisée par quatre types de mouvements qui affectent la conduite des voix et le rythme du conséquent:
- mouvement direct,
- mouvement contraire ou renversé, (à ne pas confondre avec le contrepoint renversable)
- mouvement rétrograde ou récurrent (ou encore à l'écrevisse[5]),
- mouvement rétrograde et contraire.
Exemple de tels mouvements à partir de l'antécédent de l'exemple précédent:
(Fig. 8 ) Les différents mouvements de l'imitation
Le canon est une forme musicale dans laquelle l'antécédent et le conséquent énoncent la même phrase simultanément, chacun dans sa partie, mais avec un léger décalage.
La chanson enfantine Frère Jacques est le type le plus simple et le plus parfait du canon, où le thème initial se répète fidèlement, quel que soit le décalage imposé au départ. Le finale de la Sonate pour piano et violon de César Franck ou le Scherzo du Trio pour piano N° 2 de Schubert en sont d'autre exemple célèbre.
(Fig.9) Scherzo du Trio pour piano N° 2 de Schubert
(Fig.10) Exemple d'un canon à 3 voix
Tous ces artifices du contrepoint semblent issus de la panoplie du parfait "grand rhétoriqueur" du 15e siècle; Mais on les retrouve par exemple dans la musique sérielle du 20e siècle, par exemple dans le Concerto pour violon de Berg (cf. Fig.1, ci-dessus). Ainsi le contrepoint, même sous ses aspects les plus modernes et contemporains, garde t-il ses attaches avec ses origines médiévales.
Pour terminer, voici le dialogue de Jean-François Zygel et Stéphane Delplace enregistré lors de leur émission "Le cabaret classique "consacrée à la fugue sur France Musique.
(Fig.11) "Canon et imitation", par J.F.Zygel et S.Delplace
[1] Comme nous le verrons plus tard (cf. infra, Chap.18, Les formes de la musique) le motif mélodique est une suite de sons structurée sur un motif rythmique. Le motif comme le thème est très souvent associé au "chant" (Rachmaninov disait : "N'écris que ce qui chante en toi!") mais aussi à "l'idée mélodique" dont il est convenu de dire qu'elle est la marque du génie créatif.
[2] On en arrive, à notre époque, à une situation paradoxale: la qualité artistique de l'oeuvre musicale est jugée à l'aune de sa complexité harmonique. Les compositeurs actuels se croiraient déshonorés s’ils ne mettaient pas toute leur science, tout leur art dans une structure harmonique qui se développe aux dépens mêmes de la mélodie.
[3] Dixit Noël Gallon et Marcel Bitsch dans leur Traité de contrepoint (Durand éditeurs), ouvrage de référence en la matière.
[4] D'où l'expression populaire…
[5] Ceci date de l'heureux temps où l'on voyait encore les écrevisses nager "à l'envers" dans les ruisseaux!