Propos de baroqueux

Gustav Leonhardt, célêbre claveciniste, organiste et chef d’orchestre était interviewé chez lui à  Amsterdam par Jacques Drillon dans le Nouvel Observateur, cette semaine.
Certains de ses propos m’ont particuliêrement réjoui. 🙂

Sur la dure vie des grands artistes :Vous enseignez toujours?
– Non, et je dois dire que cela me manque un peu. Toute ma vie j’ai joué en solo, voyagé, et les élêves seuls m’offraient des contacts humains. – Combien donnez-vous de concerts par an?
Cette année 80, mais d’habitude une centaine. – Vous prenez beaucoup de plaisir à  jouer?
Non, pas en jouant, je n’ai pas le temps. Déjà , il ne faut pas faire de fausse note, et ce n’est pas rien. Et vous ne pensez à  rien d’autre qu’à  ce que vous jouez, vous ne pensez même plus à  vos doigts, c’est trop tard, même pas à  la beauté de ce que vous jouez, elle est pour les autres. Le professionnel ne joue pas pour lui mais pour les autres, ceux qui sont venus, ont garé leur voiture, payé leur billet. Il doit être expressif, mais pas enthousiasmé par ce qu’il joue. Et s’il gesticule, il est vulgaire. – Certains chefs vont ont marqués? Karajan?
Non. Il n’était d’ailleurs pas un bon chef. Il n’avait pas de rapports avec les musiciens, seulement avec le public. Il avait une charisme du dos. Cela existe ! Mais il n’était pas un bon musicien. Sur l’enseignement de la musique :Vous aviez trouvé une méthode d’enseignement?
Non, aucune. Il n’est pas bon d’avoir une méthode. J’écoute un élêve, je vois ce qui lui manque, ce n’est jamais la même chose, on travaille là -dessus. S’il ne sait pas pourquoi il joue une basse ainsi, il doit trouver pourquoi. Ce type de raisonnement s’enseigne, pas la beauté. Sur le style en musique : – Le style, cela ne s’apprend pas?
Un peu…Ou du moins peut-on apprendre ce qui va conte le style. Je peux l’expliquer. Mais entre les marges de choses possibles, il y a tant de variétés… Schubert, Beethoven Je les admire beaucoup, surtout par comparaison avec leurs contemporains. La musique moyenne était si vulgaire, dês 1800 ! Seuls les génies ont survécu. Mais il ne faut pas oublier qu’un génie absolu comme Beethoven a écrit nombre d’œuvres misérables, qu’il n’a pas mis à  son catalogue. Les autres sont toutes géniales, sauf la 9e. Cette ode à  la joie est d’une vulgarité ! Et le texte! Complêtement puéril. Comme votre Marseillaise, texte et musique. Terrible ! (Rires)
Schubert aussi a fait des choses si primaires, si grossiêres ! On ne trouve pas cette situation au XVIIIe siêcle : le niveau moyen était bien plus élevé. – On vous a déjà  proposé de diriger Beethoven ou Schubert?
Je ne peux pas. J’admire Beethoven, c’est superbement fait, ça tient ensemble, c’est d’un métier incroyable, mais je n’aime pas. Cet héroù¯sme est ridicule. Quant à  Schubert, je n’aime pas ce qui est sentimental non plus. Les baroqueux – Le petit noyau des baroqueux un peu fanatisés a explosé…
C’est vrai, il n’y a plus l’esprit des catacombes…Mais il y a de bons cotés. Maintenant le public a entendu beaucoup de choses, il peut comparer et juger la composition comme l’interprête. En revanche, les musiciens ont tout sous la main. Tout est là , c’est absurde. Tout, tout de suite, pour tout le monde. Quel gà¢chis ! Internet, c’est trop facile, je n’en veux pas. Je suis heureux, comme ça, dans ma maison, à  lire. Je donne autant de concerts que je peux, je ne veux rien de plus.

9 réflexions sur « Propos de baroqueux »

  1. pour en revenir a ces tonalités éloignées, elles sont aussi et surtout durant la periode romantique de moins en moins preparées, avec parfois de tres "brusques" modulations, quasi inatendues…. (je pense a Liszt entre autre…….)

  2. , et oui, les 7e, 9ve, preparations, resolutions……….aussi bien sur…..
    beaucoup de facteurs il y a………….et meme la notion de nationalisme est a prendre en compte sur cette periode fille et petite fille de la revolution, nombre d’idées nouvelles se devellopent…………………….

  3. merci jean-armand pour toutes ces precisions que je n’ai eu le courage de mettre…..tu as raison c’etait tres tres vite dit…….il ne s’agissait la que d’un point precis…….
    oui Charles Rosen……………a lire……

    pour ce qui est des modulations, effectivement ça ne suffit pas a tout expliquer, n’empeche que le gout pour des tonalités eloignées (alors qu’il etait assez marginal neamoins chez Bach, mais reel), devient avec le fil du temps une habitude, largement devellopée alors dans le romantisme le plus recent….(Liszt, Wagner….), habitude ne chocant plus alors a l’epoque…..on peut effectivement tjs trouver des contres exemples partout, on a bien trouvé il y a qques temps une "resolution" III-I chez mozart, qui a fait grande polemique (en ce qui me concerne ce n’etait pas un III, mais bon……)

    pour ce qui est de Mozart, je n’ai pas assez de recul…..(je fait neamoins une distinction entre musique vocale, et strictement instrumentale, car dans la musique vocal, l’eclairage musical du texte peut souvent amener le compositeur a des choix surprenant, cherchant telle ou telle intention, tonalité ou discours exprimant un mensonge par exemple, comment faire???opera)

    tu as raison, les tiroirs c’est dangereux………

    merci de parler aussi de la carrure du langage classique, qui tend a se derigidifier avec le temps……
    Chopin tres carré, au niveau des phrases peut etre (quoique deja le jeu des nuances de rythme casse deja cette carrure…..), mais au niveau des motifs, tout deviens moins sur (nombre de glissandi dans une phrase qui casse allegrement cette carrure………

    quoiqu’il en soit merci d’avoir pris le temps de donner tant de precisions…..
    effectivement, ranger tant de compositeurs sous une seule et meme banniere n’est pas sans poser des problemes et des contradictions….ceci ne sert en fait beaucoup qu’a essayé d’avoir une vue globale sur l’evolution du langage musical

    a mediter egalement, ces fameux tiroirs a compositeurs, dans quelle mesure sont t’ils pertinents??

  4. Pour Rosen, le spécialiste de la période classique, Beethoven est le dernier des classiques. Il dit même que Beethoven est le musicien "le plus tonal" de l’histoire de la musique. Rossini est bien placé aussi, certes avec un niveau de qualité inférieur (à  mon goût) – et Rossini pose le même problème de classification.

    En fait, l’éloignement des modulations n’est pas un critère facile à  prendre en compte, car Mozart et surtout Haydn modulent aussi très loin. Et que dire de Bach, dont un prélude pour orgue passe consciencieusement en revue les 12 tons, par des transitions répétitives à  base de septième diminuée ? – mais il paraît qu’il s’en servait pour vérifier le tempérament d’un instrument…

    Quand on veut caractériser la différence classique / romantique sur des critères précis, on se mord les doigts, car rien n’est simple. Par exemple :
    – Au XVIIIième siècle, l’enchaînement de très loin le plus fréquent est I II V I, tandis qu’à  la fin du XIXième siècle, on trouve souvent I IV V I. O๠s’effectue la transition ? Beethoven utilise volontiers I IV V I… mais certains romantiques comme Schumann préfèrent I II V I.
    – L’absence de préparation des septièmes et neuvièmes d’espèce est une caractéristique du romantisme "mà»r" (ex. Wagner). Mais Berlioz, qu’on croirait l’archétype du musicien romantique, critique ces libertés chez Wagner.
    – Les classiques écrivent en principe de façon plus carrée, plus prédictible. Carrure de 4 mesures, 1/2 cadence, carrure de 4 mesures, cadence parfaite, etc. Cependant Mozart respecte de moins en moins ces principes lorsqu’arrive sa maturité ; quand à  Chopin, il écrit le plus souvent de façon parfaitement carrée malgré son étiquette romantique.
    – Quand à  la prétendue différence sur l’objectivité / la subjectivité de la musique, elle est sujette à  caution : les valses brillantes de Chopin, comme de nombreux mouvements de symphonie de Mendelssohn, sont objectifs, tandis que certains passages de Mozart ou Haydn sonnent subjectifs. Mais peut-être y a-t-il une forme de logique : Chopin vénérait Mozart et n’appréciait que modérément Beethoven ; quand à  Mendelssohn, on l’a appelé le "classique des romantiques".

  5. en ce qui me concerne je ne range pas Beethoven dans le tiroir romantique, meme si il en a été entre autre contemporain (du premier romantisme),
    Beethoven enfermé dans sa surdité n’a a aucun moment pris de liberté tonal vis a vis du langage classique (meme si il a poussé le langage classique a ses limites, la forme, l’orchestration, laissant ces contemporains dos au mur),

    d’ailleurs sur la fin de sa vie, il etait putot considéré comme un vieux maitre a respecter que comme un genie qu’il etait alors…….

    regardé ses modulations, on ne peut plus classiques, meme si le gout de l’experience a donné lieu a un puissant jeu sur la forme (la neuvieme symphonie….wahou), jeu sur ambiguité harmonique….

    etudions des partitions de romantiques, on verra tres vite arriver massivement des modulations a des tons bien plus eloignés notamment……………………………………..(romantisme caracterisé notamment techniquement par une prise de liberté croissante vis a vis du langage classique pur et dur……, emancipation qui n’existe pas encore chez Beethoven, mais qu’importe, il n’en avait pas besoin…………….)

    pour en revenir a la 9e de Beethoven, quel genie!!!, et que d’humour dans ce final (finallement!)

  6. Oui, et Schubert était aussi à  l’honneur sur la 5, hier soir, émission de notre Zygel national qui n’a pas hésité à  faire le pitre au Chatelet devant un parterre de "vieilles dames du premier rang", en se faisant pomponner pour et devant les caméras, en plein milieu du spectacle avec ses musiciens !
    Pitre, provocateur, mais toujours aussi brillant et bon pédagogue avec ses démonstrations, au piano ou en compagnie de ses comparses habituels.
    Une excellente leçon. Et puis, il faut le noter, Schubert, à  la télé, à  une heure de grande écoute…20H40 !

  7. Que voulez-vous, le romantisme est à  la musique, ce que le nectar est aux boissons plus ordinaires , "il est nécessaire de ne point en abuser, et bien s’y préparer pour savoir l’apprécier."
    Il faudrait sà»rement être au moins pianiste ou chef d’orchestre, pour "entendre" Beethoven et Schubert quitte à  abandonner clavecin, épinette et virginal !!!

    Au fait, Schubert est à  l’honneur dans les folles journées de Nantes 2008 , Arte va retransmettre ces concerts tout le Dimanche 3 février 2008 .

  8. Non Leonhardt a raison. Les sentiments exacerbés du romantisme sont ridicules et dangereux. Les œuvres de Schubert son sinistro-morbides (lisez les textes) . Quant a la 9 e symphonie c est grotesque !! le pompon du genre symphonico romantique … et la aussi les parles d un ridicule a se rouler par terre !!! Cette oueuvre est bien indigne d un bon compositeur !!! bouuhhhhhhhhhhhhh

  9. Leonhardt et Ludwig

    Merci JLF, pour ce billet très intéressant !

    N’empêche que je ne suis pas tout à  fait d’accord…avec le grand Leonhardt dont j’apprécie énormément les interprétations par ailleurs…

    On peut comprendre ses réserves en tant que "baroqueux" et claveciniste-organiste-chef d’orchestre, pour l’exubérance et la puissance démesurée d’un Ludwig Von Beethoven ! Mais je m’étonne de son rejet de la « sentimentalité » d’un Schubert ! Car quoi de plus sentimental que le répertoire baroque, (Rameau, Couperin, et même parfois Bach et ses fils ? )
    Mine de rien quoi de plus sensible et proche de la sentimentale- musique, que ce royaume des « affects » ?

    Quant à  la "neuvième symphonie", cette œuvre colossale et son "ode à  la joie", toutefois, mérite mieux que l’adjectif « vulgaire » ( à  moins qu’il ne s’agisse de la "vulgate", "commune" à  tous les peuples et "populaire"….proche du message humaniste ?…)
    Oeuvre gigantesque pour une symphonie ! Une heure de musique, le résumé de toute une vie de compositeur estiment certains

    Le final à  lui seul est une symphonie à  part entière. Ce morceau de choix est à  analyser, écouter, digérer durant de longues heures sur une année entière !
    ( Pitié ? dirons certains ? tant pis ! ) tant il est fourmille de joyaux !
    C’est sà»rement la plus belle strette musicale réalisée par un génie( et je pèse mes mots ) Observez le final, beaucoup de formes y sont représentées,
    ( thèmes et variations, choral, fugato, récitatifs, fantaisies ) outre le côté
    « humaniste de l’ode de Schiller » qu’on n’est pas obligé d’apprécier, l’œuvre ,n’est-elle pas aussi une leçon de musique à  la fois sérieuse et ironique ?
    Etrange que Beethoven qui n’a jamais eu trop de chances avec le répertoire vocal et lyrique ait tenu à  y insérer ces choeurs ? Une revanche ?

    En cas d’allergie à  Beethoven, persévérez ! ré écouter l’appassionata, le concerto pour piano et orchestre, quelques légères bagatelles

    Mazurka

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