L’informatique recrée le jeune Glenn Gould

(Três intéressant, cet article publié dans Le Monde du 16 aout 2007) :

Publié en 1956, l’enregistrement des Variations Goldberg, par le pianiste canadien Glenn Gould (1932-1982), est immédiatement devenu l’une des meilleures ventes de la Columbia Broadcasting System (CBS). Le jeu de Gould y est d’une vélocité qui ne doit rien aux délires digitaux des lions du clavier héritiers du post-romantisme, rien non plus au style recto tono des machines à  écrire néoclassiques. Il est d’une effervescence rythmique jubilatoire três rock’n’roll, d’une clarté qui éclaire la polyphonie complexe des variations composées par Jean-Sébastien Bach d’une nouvelle lumiêre. Gould lui-même, à¢gé de 23-24 ans, détonnait un brin par sa tête d’adolescent attardé et rigolard, son attachement à  un vieux piano fatigué et par une forte personnalité. Elle ne tardera pas à  faire naître une légende qui rejaillira sur la façon dont le public écoutera les concerts du pianiste. Et bientôt ses seuls disques : en 1964, aprês avoir joué jusqu’en Russie, où¹ il provoque un séisme dans le public et chez les musiciens, Gould réservera son art aux seuls micros et caméras de la CBS, de la Radio Canadienne, et du réalisateur Bruno Monsaingeon. Rééditées en microsillon des dizaines de fois, reprises en CD à  leur tour réédités, ces Goldberg enregistrées en 1955 continuent de se vendre, bien qu’elles souffrent d’un son monophonique maigrichon. Certes, Gould était revenu dans les studios pour réenregistrer ces Variations en 1981. Sa nouvelle interprétation était moins radicale que la premiêre, un peu plus introspective, mais surtout moins Gould jouant comme Gould, ainsi que dans quantité d’œuvres qu’il avait enregistrées en vingt-cinq ans. L’artiste ne disait plus  » je  » de la même façon. Le jeune dandy avait laissé place à  un maître un peu prisonnier du style signalétique qui était devenu le sien – son côté Keith Jarrett – et qui semblait vouloir s’en défaire. Le  » systême  » Gould (jeu surarticulé, grognements sur la musique) avait fini par se faire entendre avant la musique. Vingt-cinq ans plus tard, Gould abordait un virage dont avait heureusement déjà  témoigné un enregistrement de quelques sonates de Haydn et des Quatre ballades de Brahms. La mort le stoppait net. Reste que ces vieilles Goldberg, coup de génie d’un jeune homme encore libre, appartiennent à  la légende… et restent préférées de bien des mélomanes. Mais elles sonnent mal. Plutôt que de nettoyer la bande de ses défauts, Zenph a eu l’idée de l’analyser à  l’aide d’un logiciel pour le rapprocher informatiquement des paramêtres du jeu de piano (vitesse de frappe des marteaux, jeu de pédales, etc.). Aprês avoir mélangé le tout (on vous la fait courte), Zenph a réalisé un fichier qui a été placé dans le lecteur d’un ordinateur commandant un mécanisme sophistiqué actionnant les touches et les pédales d’un grand piano à  queue de concert… qui a été enregistré en 2006 dans le studio où¹ Gould avait réalisé son disque en 1955. Plein de raisons nous faisaient penser que, pour sophistiqué qu’il soit, ce piano  » mécanique expressif  » ne reproduirait pas le jeu de Gould dans la plénitude de l’infiniment petit de ses plus infimes nuances. Et voilà  qu’il n’en est rien. Mieux, la perfection sonore de cette recréation décuple l’effervescence rythmique du jeu du pianiste, donne aux voix de la polyphonie une indépendance fascinante et euphorisante. Manquent évidemment les grognements du pianiste. Ils auraient donné plus de vraisemblance encore à  cette recréation, que l’on peut explorer sur le site zenph.com ou acheter chez son disquaire, puisque Sony vient de la mettre sur un CD (88697 03530 2) étonnant qui comporte deux enregistrements, dont l’un, spécialement conçu pour l’écoute au casque, met l’auditeur sur la banquette du pianiste. Reste plus qu’à  grogner.

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