L’édition musicale parisienne : une pluralité en trompe l’oeil

Yves Rinaldi, rédacteur invité, est l’auteur de ce billet. Paris fut dês le XVIIIe siêcle une plaque tournante de tout premier plan dans le domaine de l’édition musicale en Europe, avec Vienne et Londres. Le rêgne de Louis XIV marqua le début de l’hégémonie culturelle française dans le monde occidental pour un peu plus de deux siêcles et demi. La musique fut également de la partie. A partir de 1750, Paris connut une activité musicale intense. Les três nombreux concerts qui s’y donnaient alors nécessitaient une activité d’impression des programmes et surtout des partitions et autres matériels d’orchestre, favorisant ainsi la création de maisons d’éditions spécialisées et attirant également de nombreux compositeurs européens désireux de faire carriêre dans la capitale des arts de l’époque. Mozart fut l’un d’entre eux, même si le manque de musicalité du public parisien refroidit définitivement son ardeur francophile en la matiêre


 »Mozart ! » Si vous deviez faire éditer vos œuvres aujourd’hui quelle maison d’édition choisiriez-vous en ce début de XXI e siêcle ? La mienne …sur la toile ! ou alors, oui…peut-être bien : toutes ! tutti ! répond Mozart dans un rire narquois ! (Le maestro entend bien l’italien…devrait-on traduire « tutti » par cosi van tutte ? ) Quels éditeurs, copistes ou imprimeurs ? Non, sérieusement je n’ai pas d’idée préconçue, mais je me souviens d’une mésaventure qu’on réserva à  Paris, au manuscrit d’ une de mes symphonies concertantes pour vents! Nous étions en 1778, il est vrai , et je la raconte à  mon pêre dans une lettre datée du 1er Mai.]
( à  suivre…dans nos commentaires)


En effet, depuis la suppression du monopole d’impression musicale exercé par la famille Ballard pendant tout le XVIIe siêcle et la généralisation du procédé de la gravure à  la place de la typographie, l’édition musicale prospérait car Paris offrait des ressources économiques et logistiques uniques ainsi que de nombreux mécênes et clients susceptibles d’alimenter ce marché en pleine expansion. De trois éditeurs à  la fin des années 1730, Paris passa à  plus de quatre vingt éditeurs, dans les années 1820-1830. Le XIXe siêcle amplifia le phénomêne, l’organisation étatique des études musicales depuis la Révolution et l’Empire avec les conservatoires et les prix alors décernés, officialisant le rôle incontournable des éditeurs. C’est sous ce siêcle et au tout début du suivant, que furent créées les plus célêbres maisons d’édition musicale telles que Durand, Eschig, Salabert ou Leduc. Entre Berlioz et Poulenc, l’opéra français et la musique symphonique connurent un à¢ge d’or qui fit de Paris un pôle éditorial où¹ la diversité le disputait à  l’audace. C’est ainsi que des compositeurs comme Debussy et Ravel purent être édités et joués à  une époque où¹ leur musique semblait bien difficile à  bon nombre d’auditeurs. Qu’en est-il aujourd’hui ? La crise de l’édition, musicale notamment, est passée par là  Les éditeurs eux-mêmes ne s’en cachent pas : vendre des partitions, du papier, non seulement n’est plus un créneau lucratif, mais encore est devenu déficitaire. Les logiciels d’édition de partitions permettent aux compositeurs d’obtenir les mêmes résultats que les éditeurs. Désormais, seuls les partitions des concours officiels et les ouvrages pédagogiques des conservatoires offrent encore des possibilités économiques aux éditeurs, largement couvertes par l’argent public, celui des subventions allouées par le contribuable aux institutions concernées.. En un mot : éditer de nouveaux talents est devenu un luxe pour la plupart des maisons d’édition musicale ! Internet pourrait constituer un nouvel Eldorado pour elles. Ainsi l’édition musicale semble se dématérialiser, sauf peut être pour le matériel d’orchestre, et encore Pour palier la crise, les éditeurs se sont regroupés, imitant de ce fait l’édition littéraire, la plupart conservant leur nom mais ne constituant plus que des filiales de grands groupes et donc toutes soumises à  une même politique artistique et éditoriale. Qu’on en juge à  l’énumération suivante : Durand regroupe aujourd’hui Salabert, Eschig, Amphion mais aussi Ricordi, le plus grand éditeur italien, celui de Verdi et de Puccini notamment ! Depuis 2000, Durand est devenu une société affiliée au groupe américain BMG devenu depuis 2004 Sony-BMG music. Quant aux éditions Alphonse Leduc, elles ont absorbé de nombreux fonds éditoriaux, tels que ceux de B.G, Bornemann, C.Y, Gras, Hamelle, Heugel, Hortensia, King et ont l’exclusivité de la représentation en France de sociétés comme Carl Fischer, Mercury ou Warner Chappel Music France, dans les secteurs de la vente et de la location. Et la liste n’est pas exhaustiveL’effet artistique de ce phénomêne de concentration économique est désastreux en terme de diversité musicale. Désormais seuls quelques directeurs artistiques tout puissants rêgnent sans partage sur l’avenir de l’édition musicale française. Derriêre de nombreux éditeurs on retrouve le plus souvent les mêmes potentats artistiques désormais obsédés par un marché sous « flux tendus » et plus soucieux de vivre sur un catalogue éprouvé plutôt que désireux de faire preuve d’audace et de créativité. Yves Rinaldi

6 réflexions sur « L’édition musicale parisienne : une pluralité en trompe l’oeil »

  1. Je parlais de Pleyel évidemment "première salle" "rue Cadet" à  Paris, qui le resta jusqu’en 1839, celle que nous connaissons rue du Faubourg Saint-honoré s’est fait connaître un peu avant les années trente …dès 1927.

    Si les éditeurs éditent ce que veulent acheter le public, faudrait peut-être initier de plus près le public, …elle est inscrite dans un cercle logique cette histoire là  ! Plus on entendra de la musique d’aujourd’hui (éditée) plus nos oreilles se feront non pas une raison, mais apprivoiseront ce nouvel univers sonore, l’écoute n’est pas statique, elle doit évoluer aussi…et donc peut-être que certains d’entre eux seront aussi amenés à  l’interpréter… ? Il suffit sà»rement de commencer.

    Si on avait attendu que Debussy, Ravel, Bartok, Stravinsky soient unanimement appréciés de leur vivant par tous les mélomanes de salon acheteurs de partition, on aurait rien édité du tout ! ni rien joué ! " audace, risques, paris, "ce sont des mots qui ont été sà»rement gommés du vocabulaire en ce début du XXI es siècle, légèrement conformiste ?…
    M.

  2. Jean-Armand a écrit : "En revanche à  l’époque de Mozart, on
    jouait du Mozart,"c’est vrai …sauf quand parfois on empêchait
    sa musique d’être copiée pour être remise aux musiciens interprètes…!

    Au XVIII e siècle, les compositeurs se faisaient connaître par
    les concerts, ils devaient faire "copier" leurs œuvres, ils étaient
    aussi dépendants des " copistes" que nos contemporains des éditeurs…On peut se rappeler l’anecdote du "manuscrit Mozartien… oublié" en cette année 1778 !

    Mozart devant faire jouer à  Paris sa symphonie concertante pour vents, l’avait confié à  Joseph Le Gros directeur du concert spirituel, qui le lui avait lui-même commandée, et qui était aussi chargé de la faire copier

    Contre toute attente, Le Gros s’arrange pour que la partition soit totalement ignorée. On suppose que le compositeur Cambini, jaloux de Mozart, aurait fait moult pression sur Joseph Le Gros pour retarder cette copie. Une lettre datée du 1 er mai 1778, écrite de la main même de Mozart l’atteste. Il relate à 
    son père ce fait étonnant :

    « Le Gros l’avait depuis quatre jours pour la faire copier ()
    Enfin de compte, avant-hier, ne la voyant plus, je la cherche
    sous les partitions – je la retrouve cachée. Je fais mine de rien
    et demande à  Le Gros :
    « A propos, avez-vous fait copier la symphonie concertante ? »
    « Non. Je l’ai oubliée. » Comme je ne peux naturellement pas
    lui donner l’ordre de la faire copier ou jouer, je ne dis rien… »

    Etrange et tragique réfexion de Mozart:" je ne dis rien",
    le silence d’un génie comme réponse à  la mesquinerie…
    cela nous laisse songeur…( Mais je ne crois Mozart qu’à 
    moitié quand même, est-il vraiment resté silencieux ?…)
    Combien de spécialistes et d’éditeurs s’intéresseraient encore
    aujourd’hui à  un manuscrit de Mozart retrouvé et encore inédit ?

    Quand à  Bach, c’est vrai on l’a oublié pendant longtemps,
    c’est vrai il a vécu un "purgatoire" …jusqu’à  l’arrivée de
    Mendelssohn qui le fit redécouvrir en majesté en re- "créant"
    "la Passion selon Saint-Mathieu" si je me souviens bien !
    Personne ne l’oublie plus depuis…D’ailleurs son thème
    "Sib la do si !" B. A. C. H.) hante bien des pièces du grand
    répertoire musical n’est-ce pas ?

    M.

  3. En fait au XVIII e siècle en entendait la musique dite « savante » surtout dans les milieux aristocratiques, chez les princes et les mécènes
    Si par la suite, la musique s’est pratiquée dans les maisons bourgeoises c’est surtout grà¢ce aux développements de la facture instrumentale, particulièrement la fabrication de pianos droits , plus accessibles à  un plus grand nombre.
    La bourgeoisie est entrée progressivement dans ce monde musical. L’apprentissage du piano devient un passage obligé pour tout jeune bourgeois. C’est vrai on faisait de la musique chez soi, mais on ne jouait pas forcément les pièces les plus intéressantesEn s’y mettant à  plusieurs, au moins à  deux pour jouer à  quatre mains , le troisième tournant les pages, « les pianistes à  domicile » pendant les soirées musicales permettaient d’entendre les œuvres symphoniques des maîtres transcrites pour piano, innombrables à  cette époque ! Pour s’attaquer au grand répertoire pianistique très virtuose, il était nécessaire de maîtriser une technique parfaiteCe n’est pas anodin de constater que les grands virtuoses compositeurs écrivaient aussi des pièces plus brèves « de salon » justement, destinées à  ce public là . Mais pour le répertoire de mélodies, c’est un peu différent, quoique
    En tous cas au XIX e siècle, les grands facteurs de piano comme Pleyel, ont bà¢tis leur propre salle de concert et de prestige pour assurer une publicité suffisante à  leurs nouveaux « modèles » ( je ne parle pas des pianistes ). Attirant les plus grands artistes d’EuropeLiszt, Chopin, ThalbergEn ce temps, tout était lié : créativité, édition, concert, facture instrumentale, salle de concert, échanges culturels et artistiquesEtaient étroitement liés aussi les lieux de vie artistique et les personnalités de France, d’Europe et du Monde, les artistes et les artisans de l’artAujourd’hui, peut-être souffrons nous de trop de spécialisation sans réelle communication possible entre divers réseaux souples et intelligents ?
    M.

  4. Oui, c’est vrai pour les auteurs que tu cites. En revanche à  l’époque de Mozart, on jouait du Mozart, à  tel point que les auteurs baroques étaient oubliés, Bach en tête. A l’époque de Beethoven, on jouait du Beethoven, je l’ai lu récemment dans un ouvrage sur sa 6ième symphonie. A l’époque de Wagner, on se pressait à  Bayreuth. Les auditeurs ont effectivement commencé à  se désolidariser de la musique qui leur était contemporaine à  la fin du XIXième siècle.

    Et puis au cours du XXième siècle la musique populaire a pris une telle importance qu’elle représente actuellement presque 100% de la consommation de musique. S’intéresser à  la musique savante aujourd’hui, c’est se placer d’emblée dans une longue tradition, d’où¹ le poids de Chopin, Brahms et consorts.

  5. Cher Armand, tu as raison sur le fond mais n’oublie pas qu’il y a un siècle on ne jouait pas la musique des auteurs contemporains dans les maisons bourgeoises. Satie, Ravel, Debussy, Stravinsky et Bartok étaient boudés ; on leur préférait des auteurs reconnus, généralement déjà  morts… Je reprends le qualificatif de "reconnu" qui m’a été avancé comme motif de refus de jouer ma musique à  l’auditorium du Louvre par la directrice de la programmation, il y a quelques mois(je suis pourtant un ancien élève de l’Ecole du Louvre).
    Pour ces beaux esprits, un compositeur "intéressant" est forcément un compositeur mort ou sur le point de l’être.
    En 1900, seuls quelques audacieux se plongeaient avec délectation dans les partitions des contemporains. Le temps et le talent de ces derniers ont fait le reste. Pour les autres, la musique s’était arrêtée avec Chopin ou Brahms….

  6. Yves, je suis d’accord avec toi sur le constat, mais il me semble que le plus grand danger, c’est que plus personne n’a envie de jouer de la musique nouvelle. Les éditeurs éditent ce que les gens veulent bien acheter.

    Au XIXième siècle, on faisait de la musique dans les maisons bourgeoises, chaque famille avait son piano, même à  la campagne chez les propriétaires terriens. On chantait beaucoup. Aujourd’hui, quasiment plus personne ne fait de la musique chez soi, et quand on en fait c’est de la musique d’il y a au moins 80 ans.

    Les éditeurs, en négligeant la création et en se concentrant, ne font que suivre la demande.

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