LA POLYCHORALITE ESPAGNOLE AU XVIe SIECLE

C’est Castafiora, rédactrice invitée qui signe cette chronique du concert donné à l’Eglise des Blancs Manteaux à Paris le 3 mai 2007, concert de ARSYS Bourgogne et Les Basses Réunies dirigé par Pierre CAO dans des œuvres de PUJOL, CEREOLS & COMES Dans le programme des Grands Concerts Sacrés (Philippe Maillard Productions), j’ai choisi ce concert à cause des termes "Polychoralité" et "espagnole" et à cause du chef, Pierre Cao. Ce billet me donne l’opportunité de vous parler 1. d’un concert rare interprété par Arsys Bourgogne et Les Basses Réunies 2. de Pierre CAO, chef d’orchestre et chef de choeur 3. de Thomas de Grunne, facteur d’orgues

Le Concert La polychoralité fait appel à plusieurs chœurs disposés dans plusieurs endroits de l’église. En Italie, on appelle cela les « cori spezzati ». Développés au XVI° siècle, les chœurs séparés (cori spezzati) étaient nés à la basilique Saint-Marc de Venise où deux tribunes se font face au-dessus de l’autel. Le public est entouré par les voix des chanteurs accompagnés ou pas par des instruments. Le comble de cette polychoralité est le fameux motet à 40 voix de Thomas Tallis (1505-1585) que j’ai eu la grande chance de chanter plusieurs fois : 8 chœurs de 5 voix (SATBB = Soprano-Alto-Ténor-Baryton-Basse) répartis tout autour du public et le chef au milieu qui dirige ses chanteurs. L’effet sur le public est assez remarquable et le succès garanti si bien sûr les chanteurs et le chef réussissent cette prouesse. La performance est acclamée et toujours bissée. Pour en revenir au concert, les compositeurs sont très peu connus mais la musique est familière pour ceux qui connaissent d’autres œuvres de la même période en Europe. Le programme de ce concert est bâti autour de deux messes « de bataille » qui rappellent celles de Jannequin et de Victoria, puis des motets aux textes très connus par les catholiques : Magnificat, Laudate Dominum, Regina coeli, Salve Regina. On est porté par un son très homogène soutenu par quelques instruments : la basse de viole, le théorbe, la contrebasse et l’orgue au centre du chœur et – à l’arrière – les trois sacqueboutes avec leurs cuivres étincelants qui soutiennent avec délicatesse les voix graves. Par moment, la voix de la soprane perce le son d’orgue du chœur – les voix se répondent, se fuguent, s’enlacent,…. On entend des cris de guerre, des plaintes, une grande douceur dans le Credo quand « Il (Jésus) a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme », quelques rythmes espagnols bien caractéristiques parfois. Des notes finales en point d’orgue me laissent en apnée et me donnent envie de fermer un instant les yeux et de m’imaginer au Paradis. « O temps suspends ton vol » …. Mais il faut revenir à la réalité car le public ne peut s’empêcher d’applaudir. Moi, je resterais bien quelques secondes de plus pour savourer et méditer cet instant intemporel… Un concert magnifique qui me rappelle les messes en latin de mon enfance, la magie des ors et de l’encens, la solennité du lieu, ma culture chrétienne… indépendamment de toute croyance religieuse. Pierre CAO, le chef Pierre Cao Un monument avec ses 40 ans d’expérience. Vous trouverez sa biographie dans Google ainsi que plusieurs photos et sa discographie. J’en avais beaucoup entendu parler car il est très connu dans le milieu du chant choral et j’imaginais un vieux monsieur tout rabougri. Je suis allée le voir diriger la Passion Selon St Jean de Bach il y a environ trois ans, prête à m’enfuir au moindre ennui. J’ai été immédiatement saisi par l’admiration et le respect que lui portent son choeur et tous ses musiciens. Pierre Cao dirige de façon très classique et peu spectaculaire. Son grand talent tient à la façon dont il recrute chaque membre de son ensemble, dont il obtient l’excellence de chacun, son grand talent consiste aussi à motiver, dynamiser, entraîner ses musiciens afin d’obtenir d’eux un son d’une homogénéité parfaite. Aucune voix ne doit ressortir (sauf nécessaire – j’ai évoqué les aigus de soprane parfois comme des petits cris évoquant une plainte). J’ai pu discuter avec quelques-uns de ses chanteurs après la St Jean ; ils m’ont dit à quel point Pierre Cao était impitoyable avec certains et qu’il n’hésitait pas à se séparer de ceux et celles qui ne lui convenaient pas ! Pourtant, il est très aimé et très admiré par l’ensemble de ses musiciens. Pierre Cao est toujours passionné par son métier et ne cesse de se renouveler et d’insuffler à ses musiciens l’envie de se dépasser. Thomas de Grunne, le facteur d’orgue J’ai rencontré Thomas pour la première fois le 27 mars aux Blancs Manteaux, lors du concert d’Akadêmia dirigé par Françoise Lasserre. On donnait Matthaäus-Passion SWV 479 de Heinrich Schütz. Françoise Lasserre a très judicieusement agrémenté cette Passion austère entièrement a cappella par des Motets de Schütz accompagnés par un petit orgue positif joué par Emmanuel Mandrin (très connu également dans le milieu du chant choral). Ce soir-là, un grand jeune homme très sympathique s’est assis à côté de moi et –après avoir échangé quelques mots avec lui – le concert a commencé. J’ai ressenti un tel bien-être à ses côtés que j’ai été persuadée que je me trouvais à côté d’un musicien ami de certains chanteurs… A la fin du concert, nous avons discuté et j’ai appris qu’il avait construit entièrement l’orgue positif que tenait Emmanuel Mandrin. J’ai retrouvé Thomas de Grunne au concert de Pierre Cao ; le petit orgue positif semblait un joyau au milieu du chœur. Il était entouré de ces merveilleux instruments de musique que sont la basse de violon (Bruno Cocset), le théorbe (Benjamin Perrot), la contrebasse (Richard Myron). Bertrand Cuiller tenait le petit orgue sous le regard paternel de celui qui l’avait fabriqué avec amour : Thomas de Grunne. Thomas a travaillé pendant 10 ans comme facteur d’orgue pour un patron puis il a eu envie de construire son orgue de A jusqu’à Z et de se mettre à son compte. La photo que vous voyez ici n’est pas l’orgue de Thomas mais elle lui ressemble. Elle vous donnera une idée de cet instrument. Le buffet (le meuble) de l’orgue est en merisier. Sa couleur est claire mais avec le temps, elle deviendra rouge foncé. Les panneaux ont été sculptés par Thomas de Grunne. Quant au clavier, Thomas de Grunne m’a fait remarquer qu’il avait lui-même choisi le genévrier et qu’il avait apprécié l’odeur délicate de ce bois en le travaillant. Ensuite, il a créé toute la mécanique de l’orgue et ça a été un travail très long, très minutieux et très difficile. Comme c’est sa première « œuvre d’art », Thomas suit son orgue lors de chaque concert qui l’emploie. Il faudra bien un jour qu’il le laisse partir pour se consacrer à d’autres travaux. En particulier, Thomas a commencé une formation de continuïste qui va durer deux ans. Je lui souhaite longue vie et la réalisation de tous ses projets. Son site n’est pas encore prêt, peut-être en reparlerons-nous un jour sur ce blog. Ajout : je ne voudrais pas oublier les sacqueboutes, Fabien Dornic, Stefan Legée, Fabrice Millischer qui ont illuminé (au propre comme au figuré) ce très beau et très original concert.

13 réflexions sur « LA POLYCHORALITE ESPAGNOLE AU XVIe SIECLE »

  1. Oui bien sà»r Thierry Escaich est non seulement compositeur mais un très grand viruose, tu as raison je devrais écouter l’œuvre dont tu parles au plus vite merci Bianca…
    Ah ! l’orgue de Saint-Etienne du Mont, (l’église au "jubé " si célèbre ! )… il faut l’entendre aussi…(C’était celui des grands organistes Maurice Duruflé et de Marie-Madeleine Duruflé )
    N’empêche que j’aimerais tant écouter une œuvre du XXI es avec "percussions, tambour d’eau , tam tam, bala, grand orchestre et grand orgue…c’est cela que j’aimerais entendre ! … "y a qu’à  t’y mettre à  la compo "…tiens ! lança l’écho…
    c’est une idée !

    ps : sinon oui je plaisantais pour "Knowledge"…évidemment ! Savante Bianca en toutes œuvres chantées !!!

    M.

  2. C’est superbe : j’ai visité. Je te signale que Thierry Escaich a fait une grande messe pour voix, grand orgue, orgue de choeur et trompettes ! Je l’ai chanté en exclusivité avec le Madrigal et je peux te dire que ça en jette. Thierry Escaich était aux grandes orgues. C’était avant qu’il ne soit nommé titulaire de Saint Etienne du Mont. Un grand moment et un grand plaisir pour nous les chanteurs – nous étions moitié fous de joie de chanter ça ! knowledge veut tout simplement dire "savoir" en anglais – to know – substantif knowledge).
    Quant au brave Dr Schweitzer, j’ai vu le film "Il est minuit Dr Shweitzer" quand j’étais petite, c’est un grand souvenir ! A plus tard, chère Mazurka.

  3. Bianca, je ne connais cette basilique que par ouà¯e dire ( c’est le cas le dire ) je ne suis pas encore allée, mais j’en ai beaucoup entendu parlé pour sa magnificience …par des amis. Pour son acoustique je n’en sais rien en fait ! mais tout dépend ce qu’on y joue, un lieu est "acoustiquement bon" pour certaines musiques seulement… il y a une interaction entre lieu et composition d’ailleurs …C’est ce dont tu parles justement avec Saint-Marc de Venise dans ton excellentissio billet !!! On peut donner aussi l’exemple des grandes symphonies pour orgue de Louis Vierne, on devine bien qu’il les destinait à  la Cathédrale …(de Paris) n’est-ce pas ? avec ces grands plans sonores qui s’opposent…La réverbération quel atout tout de même ! ( avant d’être parfois un inconvénient )…Ceci dit cette basilique ivoirienne "Notre Dame de la Paix" a été dessinée et construite à  partir des plans de la basilique de "Saint Pierre de Rome" ( un geste grandiose et osé par les concepteurs !) : l’acoustique de la basilique à  Rome elle est comment déjà  ?…(sourires)…

    Pour la Basilique de Yam’… on voit la console de l’orgue sur le web là  tout en bas :
    http://www.abidjan.net/cotedivoi...
    les boutons des nombreux "jeux" sont visibles de part et d’autre de la console, c’est un trois claviers…pas mal…Je n’en sais pas plus…Je crois que c’est un digital" Allen "cependant pas un orgue à  tuyaux…(Il doit avoir de nombreux problèmes dont thermiques à  résoudre par le facteur d’orgue…C’est fragile un orgue, sensible aux variations de température, à  l’humidité…) le Dr Schweitzer en personne , l’aurait bien joué celui-là  quand même !!! N’empêche écrire une symphonie pour « grand orgue et percussions » au XXI e siècle ,et pour cet édifice là  ça aurait de l’allure ? et même ( excuse me « Ladies and Gentlemen »…so sorry ) ça aurait de la …"gueule"..de LION !!! Vive La musique du Monde !

    M.

    ps: Chère Bianca au fait, c’est vrai, je "t’astornische " alors , pauvre de moù¢a? oh la la la …! Je suis très curieuse de nature c’est tout et bavarde comme une pie…! mais …what is it this word : "knowledge "??? …"know -all" ? or a "know a thing or two "?…know or snow .."snow and ledge" or "ledge or board"…ah ! yes …"snowboard" ?…So ! am I Miss "Know-how" yeeeeeees , a little…all except "great music"…!!! (rires !)

    amicalement à  toi…merci encore pour ton beau billet sur la musique du XVI e s
    Mazurka

  4. Ca sonnait japonais et je n’imaginais pas que ça se trouve en Côte d’Ivoir !
    Belle visite, comment est l’acoustique ?

  5. Boucourechliev est un compositeur et musicologue. Il est réputé pour plusieurs livres, et, en tant que compositeur, pour "Archipels", l’exemple le plus connu de forme ouverte. Une forme ouverte est une pièce où¹ le compositeur laisse à  l’interprète le soin de déterminer une partie de la composition, par exemple l’ordre dans lequel on joue les différents morceaux.

    Bon, Google en sait infiniment plus que moi sur André Boucourechliev, alors je m’arrête. 🙂

  6. Mais je ne suis pas maussade ! J’avais oublié d’enlever cet adjectif inaproprié !
    Je suis très rieuse ce soir grà¢ce à  tous ces com’s en commençant par celui de notre Altesse :-))

  7. J’espère aussi que tu rencontreras Thomas de Grunne un jour. J’ai son e-mail mais pour l’instant il suit son orgue dans une tournée avec Pierre Cao. Nous en reparlerons en privée. J’espère que Thomas lira ce billet et qu’il pourra y apporter son commentaire personnel.
    Mazurka !!!! je ne connais pas Boucourechliev ni Yamoussoukro ! (russe et japonais ?). Tu m’astorniches avec ton knowledge (why not ?) !

  8. J’espère que Gerschwinou va vite nous expliquer ce qu’est un "orgue positif" …
    je ne m’en souviens plus très bien…
    M.

  9. Bianca merci pour ce très bel article qui m’a appris beaucoup de choses ! Que ne m’as-tu pas invitée, enfin, à  venir à  ce concert ?…Tu exagères tout de même !!! (rires !!!) Merci pour tes coups de coeur partagés… C’est un peu de soleil chaque fois sur le blog pour nous ! Et bien tu en as chanté de belles œuvres ?…

    Ce qui est étonnant c’est aussi d’entendre le son circuler dans ce genre de pièces,
    beaucoup de contemporains d’ailleurs ont repris ces idées de musique et de répartition dans l’espace, je pesne à  Boucourechliev et à  Stockhausen…

    Le facteur d’orgue "Thomas de Grunne" est donc très talentueux et "complet"…il est sculpteur ?…j’espère le rencontrer un jour, et admirer ses orgues , toutes ses réalisations , tu nous tiendras au courant n’est-ce pas ? C’est un métier savant et rare de nos jours.
    (Au fait le Grand Orgue des Blancs Manteaux: l’est pas mal du tout non plus !!!)
    Tu dis que la photo n’est pas l’orgue de Thomas mais lui ressemble, c’est très amusant !!! On dirait un coffre à  jouets magnifiquement sculpté !! Mais on comprend que tu as voulu nous donner une idée de la finesse de l’ouvrage.

    Je partage ton enthousiasme pour l’acoustique de Saint-Marc de Venise et ce genre de répertoire vocal qui a été donné ce soir là …

    Un autre de mes souhaits les plus chers : entende un jour une immense symphonie, voir une armée de percussions et d’instruments à  cordes chanter de concert dans la Cathédrale de …Yamoussoukro !!!

    Merci Bianca !
    M.

  10. un petit rectificatif en ce qui concerne le prix de l’abonnement aux 8 concerts annuels de l’OPPB
    130 euros pour les seniors + 60 ans, 200 et qq pour les _ de 60 ans, l75 euros sont réservés aux étudiants,
    ceci étant dit, bc de bonheur pour pas cher et tte l’année! Framboisine

  11. Encore une fois un grand merci, Bianca de nous faire partager tes passions pour la musique chantée.
    Une petite question : c’est quoi ce tromblon tarabiscoté, en fin du billet? Et comment donc peut-on en jouer, sauf à  avaler à  la fois l’embouchure et le pavillon? 😀

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.